La loi DADVSI sera examinée par le Sénat à partir du 4 mai
Publié par La rédaction le - mis à jour à
Les sénateurs devront voter le texte dans les mêmes termes que les députés. Il veulent « se donner le temps de la réflexion »
Après un marathon épique à l'Assemblée nationale, le projet de loi DADVSI (droits d'auteur et droits voisins pour la société de l'information) sera examiné par les sénateurs à partir du 4 mai prochain.
Mais contrairement aux députés, qui ont été soumis à une précipitation voulue par le gouvernement, les sénateurs souhaitent prendre leur temps. C'est en tout cas la volonté de Jacques Valade, président de la commission des Affaires culturelles du Sénat, cité par les Echos. Les parlementaires de la Haute Assemblée devront voter le texte dans les mêmes termes que leurs homologues du Palais Bourbon. Ce qui n'est pas gagné. Car certains sénateurs contestent certains points importants votés comme la fameuse interopérabilité des fichiers sur n'importe quels supports. Une interopérabilité qui ulcère les industriels, et notamment Apple. Bref, encore une fois, les débats risquent d'être longs et tendus et pourraient déboucher, comme à l'Assemblée, sur des surprises de taille. Même si les sénateurs ne sont pas connus pour mettre en pièces les projets de loi soutenus par le gouvernement, et votés par la majorité parlementaire. Par ailleurs, la procédure d'urgence voulue par le gouvernement impose une seule lecture par Chambre. Mais si les termes sont différents, le gouvernement s'est engagé à prolonger les commissions paritaires entre les deux chambres autant que nécessaire. Enfin, la loi devra être validée par le Conseil constitutionnel. La loi DADVSI telle qu'elle a été votée par l'Assemblée: Après un vote coup de théâtre rejetant la première mouture du texte le jeudi 22 décembre, et instaurant le principe de licence légale contre le droit au téléchargement, le gouvernement avait dû revoir sa copie. L'examen du texte s'est déroulé dans une ambiance extrêmement tendue au début du mois de mars. Pourquoi la loi DADVSI ? Il s'agit d'un projet de loi qui résulte de l'obligation de transposition en droit français de la directive européenne EUCD datant de 2001. La France est l'un des derniers pays de l'UE à transposer ce texte, et l'Europe s'impatiente. D'où la procédure d'urgence (une seule lecture par chambre) choisie par le gouvernement pour faire adopter le texte au plus vite. La philosophie de la loi DADVSI Cette loi s'inscrit dans la tendance visant à verrouiller fermement la diffusion des oeuvres culturelles sur Internet. Il s'agit d'empêcher, ou au moins de contrôler, l'échange et le partage de contenus -même au titre de la copie privée. Elle prévoit également de pénaliser les éditeurs de plates-formes de P2P (en les assimilant à des contrefacteurs) et toute tentative de contourner les protections logicielles (DRM) des supports (CD, DVD.). Les principales mesures de la loi -Adieu la licence globale L'idée maîtresse de cette licence était de demander aux internautes de payer un forfait optionnel pour avoir le droit de télécharger gratuitement des oeuvres. Cette licence serait redistribuée par la suite aux ayants-droit. Finalement, malgré la pression des associations, les députés ont rejeté ce concept de licence globale après l'avoir adoptée une première fois par surprise en décembre. -Les sanctions contre les téléchargeurs Plus de prison, mais des amendes graduées: -le pourvoyeur de moyens de contournement s'expose à 6 mois d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, -le 'hacker' qui décrypte individuellement la mesure technique de protection de l'?uvre encourt 3.750 euros d'amende -le détenteur ou l'utilisateur de logiciel mis au point pour le contournement est passible d'une contravention de 750 euros. -enfin, les simples internautes téléchargeurs qui se font repérer (on ne dit pas comment) seront redevables d'une amende de 38 euros pour le téléchargement de fichiers protégés et de 150 euros s'ils mettent à disposition des fichiers protégés. Rappelons que 98% des téléchargements en France se font par le biais des sites de P2P. Reste que l'on ne voit pas vraiment comment le gouvernement va mettre en place la surveillance des réseaux. Va-t-on voir se créer une police du P2P en charge de surveiller ces vastes réseaux d'échanges, de relever les adresses IP et de procéder à l'arrestation des internautes ? Les FAI devront-ils fournir les identités des contrevenants - comme en Chine ? En tout cas, l'idée d'une police du Web n'est pas si farfelue, puisque le ministre de la Culture a déjà évoqué cette possibilité. Cette police surveillerait les fichiers « marqués » et non pas les internautes. -Légalisation des DRM les outils de DRM (Digital Rights Management), ces verrous techniques visant à protéger les supports (CD et DVD) de la copie illicite, sont désormais autorisés. Alors que la Justice a plusieurs fois condamné ces DRM assimilés à des « vices cachés », le Parlement a légalisé une fois pour toute ces protections et pénalise leur contournement. Et pour rassurer les associations de consommateurs qui condamnent ces protections, qui empêchent, par exemple, de lire un CD sur certains appareils, les députés ont adopté un amendement. Cet article prévoit que les DRM « ne peuvent faire obstacle au libre usage de l'oeuvre dans la limite des droits prévus par le code de la propriété intellectuelle et ceux accordés par les détenteurs des droits ». Une clarté limpide. D'autant plus que les DRM posent des problèmes de sécurité. Souvenez-vous de l'affaire du 'rootkit' de Sony. Les députés ont donc également adopté un amendement (UMP) « pour éviter que la gestion des droits d'auteur ne compromette de facto la sécurité des utilisateurs individuels, des entreprises et des administrations ». Il prévoit que les verrous « permettant le contrôle à distance, direct ou indirect, d'une ou plusieurs fonctionnalités, ou l'accès à des données personnelles, sont soumis à une déclaration préalable ». Une protection a minima: « Ce devrait être une interdiction, non une déclaration », a soutenu le président de l'UDF, François Bayrou en dénonçant une « usine à gaz ». -La copie privée préservée a minima Même avec ces amendements, la légalisation des DRM pose problème. Notamment pour l'exercice du droit à la copie privée, un droit payé par tous les consommateurs lorsqu'ils achètent des supports vierges (taxe pour la copie privée). Comment concilier DRM et copie privée ? Les députés ont donc garanti, en votant un amendement du rapporteur Christian Vanneste (UMP) « le bénéfice de l'exception pour copie privée », rédaction qu'ils ont préférée à une formule présentée dans un premier temps par Laurent Wauquiez (UMP) prévoyant de garantir « le bénéfice du droit à la copie privée ». Comment sera appliqué ce « bénéfice de l'exception pour copie privée » ? Mystère. Le gouvernement va mettre en place un collège fixant le nombre de copies autorisées à partir d'un support verrouillé. D'ailleurs, l'opposition s'est émue du retrait d'un amendement adopté en commission, prévoyant que le nombre de copies privées « doit être au moins égal à un ». L'amendement de substitution adopté ne prévoit en effet aucun chiffre minimal de copies privées autorisées. -Mais la copie de DVD est interdite Les députés ont rendu possible une interdiction totale de copier un DVD. Pour justifier sa décision, le rapporteur UMP Christian Vanneste s'est appuyé sur un arrêt de la Cour de cassation restreignant le droit à la copie privée d'oeuvres de cinéma sur DVD, après une plainte déposée par un amateur de cinéma. Ce dernier estimait contraires au droit de copie privée, reconnu par le Code de la propriété intellectuelle, les mesures techniques de protection insérées dans un DVD commercialisé par StudioCanal et Universal Vidéo, « Mulholland Drive » de David Lynch, qu'il avait voulu copier pour son usage personnel. Mais la Cour de cassation lui a donné tort. « La jurisprudence a acté le problème du DVD, nous en tirons les conséquences », a déclaré Christian Vanneste. « C'est un texte inféodé à des intérêts financiers, qui bafoue le droit minimal des consommateurs. Aujourd'hui, on peut acquitter une taxe pour copie privée et en même temps ne pas pouvoir exercer ce droit », a dénoncé Didier Mathus (PS). Pour autant, comme la loi inclut un amendement permettant « le bénéfice de l'exception pour copie privée », il faudra bien se mettre d'accord. La mise à mort de la copie privée se poursuit donc. La taxe qui la finance, prélevée sur chaque support vierge vendu dans le commerce, est donc de moins en moins légitime. -La pénalisation des éditeurs de logiciels d'échange « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende le fait de mettre sciemment à la disposition du public ou de communiquer au public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public, non autorisée, d'oeuvres ou d'objets protégés. » Le texte prévoit également des peines pour les éditeurs qui pourraient « inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, l'usage » de ce type de logiciel. Le législateur a cependant tenu à apporter une précision: « Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération des droits d'auteur. » La loi vise donc très clairement à condamner les développeurs de solutions d'échange de données en 'peer-to-peer' (P2P). Certes ces dernières sont le principal outil des personnes qui téléchargent illégalement des oeuvres, mais elles sont aussi de plus en plus au coeur des systèmes d'exploitation - Microsoft par exemple a installé sa propre solution dans le futur Windows Vista - et de nombreuses solutions qui adoptent justement un volet collaboratif. Par ailleurs, le gouvernement semble confondre l'outil et l'usage. Interdit-on les voitures parce qu'elles sont sources d'accidents ? « Autant incriminer les fabricants de marteaux parce que ceux-ci peuvent être utilisés pour blesser quelqu'un! », a regretté Patrick Bloche, député PS. Cette mesure, qui s'inspire de la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis aura néanmoins des effets limités. Comment surveiller l'activité des plates-formes d'échange ? L'Etat imposera-t-il des filtres ? Dans le même temps, les centaines de milliers de postes où sont déjà installées des versions d'eMule ou d'eDonkey continueront à échanger des fichiers. Légaux ou non. Les députés qui ont adopté l'amendement ont souligné qu'il ne visait que les activités illégales. Mais on sait que cette loi est soumise à interprétation. Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres aura beau appeler à « ne pas faire naître des peurs là où elles existent pas« , la communauté 'open source' peut légitimement être inquiète. Le principe d'interopérabilité Mesure très attendue, elle impose la possibilité de lire sur n'importe quel support, n'importe quel fichier téléchargé légalement. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Un problème qui pénalise donc l'essor des plates-formes légales de musique en ligne. Apple, qui a basé son business model sur son couple fermé iPod+iTunes, rejette cette mesure et fait pression sur les parlementaires comme d'autres industriels.