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Le Play Store lourdement encadré aux États-Unis : ce qui se joue pour Google

Publié par Clément Bohic le - mis à jour à

La justice américaine impose une longue liste de mesures de concurrence ciblant le Play Store. Quelles sont-elles et dans quel contexte s'inscrivent-elles ?

Le Play Store, bientôt encadré aux États-Unis comme il l'est dans l'Union européenne ? C'est une éventualité, plus particulièrement depuis décembre 2023 et la défaite judiciaire de Google contre Epic.

Cet éditeur - auquel on doit notamment le jeu Fortnite - l'a emporté sur l'ensemble des griefs qu'il avait avancés. Cela se traduit dans l'injonction que le tribunal chargé du dossier vient de formaliser. Elle vaudra sur le territoire américain... si elle entre effectivement en application : Google en a demandé la suspension, en plus de faire appel de la décision (rendue en première instance).

L'essentiel des mesures imposées doivent prendre effet au 1er novembre 2024, pour une durée de trois ans. Sous leur régime, Google aura interdiction de :

  • Partager des revenus issus du Play Store avec quiconque distribue des applications Android ou envisage de lancer une plate-forme de distribution
  • Nouer des accords - même temporaires - de distribution sur le Play Store en échange d'un paiement ou de l'accès à des produits ou services Google
  • User de ces mêmes contreparties pour éviter le lancement, sur des stores tiers, de versions d'une application différentes de celle proposée sur le Play Store
  • En échange des mêmes contreparties, faire précharger le Play Store à tout fabricant ou opérateur - ou faire en sorte qu'ils ne préchargent pas de plates-formes concurrentes
  • Exiger l'usage de son système de paiement dans les applications distribuées sur le Play Store, ou empêcher l'usage (et la publicité) de méthodes alternatives de paiement in-app
  • Empêcher les développeurs de signaler aux utilisateurs la disponibilité ou le prix d'une application hors du Play Store
  • Google brandit le risque sécuritaire

    Google se voit accorder 8 mois pour implémenter de quoi respecter deux autres mesures. D'une part, permettre aux marketplaces tierces d'accéder au catalogue du Play Store afin qu'elles puissent elles-mêmes les proposer à leurs utilisateurs. De l'autre, permettre la diffusion de telles marketplaces... via le Play Store. Dans ce cadre, le groupe américain pourra prendre des "mesures raisonnables" pour assurer la sécurité et la sûreté de ces marketplaces et des contenus qu'elles distribuent.

    Google estime ne pas pouvoir, dans ce contexte, garantir la sécurité et la vie privée des utilisateurs d'Android. Il affirme que les développeurs y perdraient aussi. D'un côté, en étant exposés au risque que les marketplaces alternatives n'offrent pas les mêmes protections. De l'autre, en passant à côté d'incitations financières pour distribuer du contenu exclusif dans les apps distribuées via le Play Store... ou simplement pour distribuer des apps par ce biais, y compris sans exclusivité.

    Google considère plus globalement que la justice s'est fondée sur la supposition erronée qu'Android est un marché en lui-même, alors qu'il est en concurrence directe avec iOS. La firme de Mountain View ajoute que la plupart des appareils Android sont livrés avec au moins deux stores préchargés. Et que rien n'empêche les développeurs de proposer leur applications "en direct".

    Epic avait auparavant échoué contre Apple

    Epic avait déposé plainte en août 2020*. Il avait attaqué Apple en parallèle, auprès du même tribunal. Une affaire soldée plus rapidement... en sa défaveur. En septembre 2021, l'éditeur avait effectivement été débouté sur 9 de ses 10 griefs (le seul validé portait sur les dispositions empêchant les développeurs de mettre en avant d'autres moyens d'acheter du contenu in-app). Un jugement confirmé en appel l'an dernier. La Cour suprême a jusque-là refusé de traiter le litige.

    Quelques semaines après le dépôt des plaintes, Epic avait formé, avec douze autres éditeurs dont Match.com et Spotify, la Coalition for App Fairness. Microsoft n'avait pas tardé à s'y liguer.
    Dans le même temps, une autre coalition - de 36 États américains - avait saisi la justice, dénonçant elle aussi les pratiques de Google concernant le Play Store. Un accord à l'amiable fut trouvé en septembre 2023, avec un chèque de 700 M$ et des promesses, dont celle de laisser certains développeurs orienter les utilisateurs vers leur propre système de paiement (avec néanmoins une commission de 26 %).

    Plus récemment (août 2024), Google a perdu une autre bataille devant les tribunaux. Elle l'opposait au département américain de la Justice, qui dénonçait un monopole sur la recherche en ligne. Celui-ci doit désormais proposer des mesures... qui pourraient aller jusqu'au démantèlement. Il a initié des poursuites sur un autre aspect : la pub digitale.

    Le Play Store - et plus globalement Android - a déjà valu à Google une lourde amende dans l'UE : 4,3 milliards d'euros. C'était en 2018, à l'issue de trois ans d'enquête. La Commission européenne avait sanctionné plusieurs comportements tendant à renforcer la position dominante du système d'exploitation. Entre autres :

  • Exiger, en échange de l'accès aux services Google, que les OEM préchargent son navigateur et son moteur de recherche
  • Empêcher les OEM de commercialiser des appareils basés sur des versions concurrentes d'Android (fondées sur AOSP)
  • Payer fabricants et telcos pour précharger exclusivement Google Search
  • * Une plainte qui avait fait suite à la suppression de Fortnite du Play Store comme de l'App Store d'Apple, pour non-respect des conditions d'utilisation. Epic avait, en l'occurrence, contourné les règles de paiement en permettant l'achat direct de contenu in-app à des prix plus bas.

    Illustration © Twin Design - Shutterstock