Engie colmate les fuites de sa filiale informatique
Publié par La rédaction le | Mis à jour le
Engluée dans un schéma directeur par trop ambitieux, GSIT, la filiale informatique du groupe Engie, tente de sortir de l'impasse par une réorganisation et un plan destiné à améliorer son efficacité opérationnelle.
Engie a mal à sa DSI partagée. Créée mi-2013, sur la base d'une filialisation de la direction informatique de GDF Suez, GSIT devait se positionner comme un fournisseur de services pour la galaxie de filiales du groupe Engie. Sauf que certains de ses clients internes ont tendance à s'en détourner et que 180 suppressions de postes sont envisagées d'ici mi-2018 parmi les 600 personnes que compte cette entité, comme l'expliquaient récemment nos confrères de la Lettre A. Sans même parler des coupes prévues parmi les centaines de prestataires. Si Engie n'est pas le seul groupe à se poser des questions autour du devenir d'une filiale vouée à la mutualisation des moyens IT, le cas de GSIT est rendu plus complexe par l'échec d'un schéma directeur, qui a plombé la filiale.
« Au départ, la filialisation était à visée sociale et permettait de passer sous la convention Syntec », explique un délégué syndical CGT. Et d'échapper au statut IEG (Industries Electriques et Gazières). Pour cette raison, dès sa fondation, la filiale se heurte à l'opposition d'une intersyndicale. Au final, directions et salariés trouvent un accord, au terme duquel les salariés transférés conservent leur statut. « Mais la réalité, c'est que de nombreux salariés détachés dans la filiale sont au fil du temps repartis vers d'autres entités du groupe, reprend le délégué syndical. Sur les 650 agents de départ, il n'en reste que 120 aujourd'hui. » Les postes laissés vacants ont été occupés par de nouveaux embauchés au statut Syntec.
Skynote : un échec majuscule
« La conséquence de ce mouvement, c'est que GSIT a perdu en compétences, notamment sur l'applicatif. Et a fini aussi par perdre ses marchés internes ». A la CFE-CGC, un délégué syndical explique que la filiale est plombée par ses prix peu compétitifs et par la qualité des prestations fournies : « à cause de ces facteurs, la filiale perd des contrats », confirme notre interlocuteur.
« Ils devaient gérer 120 000 postes de travail, il n'en restera finalement que 20 000, affirme la CGT. Leurs prévisions sont en forte baisse. » A tel point que même si une revente à court terme de la filiale - à l'image de ce qu'a fait un Areva en cédant Euriware à Capgemini - est écartée, le scénario continue à inquiéter les syndicats.
Entretemps, l'échec retentissant d'un schéma directeur informatique est passé par là. Ce dernier, présenté comme « pharaonique » par plusieurs personnes que nous avons interrogées, prévoyait notamment d'assurer l'exploitation des serveurs depuis une base offshore, de rationaliser les datacenters du groupe et, surtout, de virtualiser les postes de travail. « Le tout a échoué lamentablement », assure la CGT. A lui seul, le projet de virtualisation des postes de travail, baptisé Skynote, symbolise les errements de GSIT.
Datacenters : retour à la case départ
Lancé en grande pompe devant un parterre de 2 000 personnes, ce projet, géré par Unisys sur la base de technologies VMware, devait assurer la virtualisation de 120 000 postes. La DSI prévoit au départ un rythme de migration de 35 000 postes par an. En 2015, alors que le groupe tire discrètement un trait sur le schéma directeur qui embarque Skynote, seuls 3 000 postes de travail avaient été effectivement virtualisés. « Même si c'était séduisant sur le papier, on a très vite compris que ce projet ne marcherait pas, raconte un délégué syndical CFE-CGC. La solution ne gérait pas le mode déconnecté, ne prenait pas en compte les besoins complexes de nombreux utilisateurs, sans même parler des problèmes de performances. Par ailleurs, la DSI n'est jamais parvenue à industrialiser le processus de migration. »
Côté datacenters, selon cette même source, l'objectif d'Engie consistait à la fois à consolider les équipements existants et à réduire les prestations d'Orange Business Services (OBS). « Mais la réflexion est toujours en cours (comme en témoigne le schéma ci-dessus qui décrit le nouveau plan de la DSI, NDLR). Et le contrat d'OBS n'a pas été revu à la baisse », résume le délégué syndical CFE-CGE. Concernant l'administration de serveurs depuis l'Inde, ce dernier parle là de « demi-réussite ».
Pour Engie, plusieurs centaines de millions.
Bref, les résultats du schéma directeur sont bien maigres. Pour une facture, elle, des plus rondelettes. Dans un tract datant de février 2016, la CGT évoque une aventure qui aurait coûté pas moins de 1 milliard d'euros à Engie. « Raisonnablement, on peut tabler entre 500 millions et un milliard, précise le délégué syndical de la même centrale qui s'amuse du fait que le chiffre couché sur le tract de sa centrale n'ait pas été démenti par la direction d'Engie. Car l'arrêt de ce plan rompt aussi les engagements pris avec les prestataires. » A la CFE-CGC, notre interlocuteur estime lui que le chiffre d'un milliard d'euros n'est pas farfelu : « la facture totale se chiffre en tout cas à plusieurs centaines de millions d'euros, qui ont été dépensés pour un résultat quasi-nul. »
Mis au rencard dans le courant de l'été dernier, le schéma directeur première mouture a été remplacé par une seconde version, conçue par Yves Le Gélard, le nouveau DSI groupe arrivé en mars 2015 en remplacement de Véronique Durand-Charlot. Avec des objectifs plus modestes, des solutions techniques plus simples. Le nouveau plan se déploie selon 3 axes : une solution de communication collaborative (baptisé Ensemble), un poste de travail rénové couplé à une offre bureautique dans le Cloud (qui reprend l'appellation Skynote) et la réorganisation des datacenters. « Malgré tout, on continue à avoir des inquiétudes sur le devenir à moyen terme de GSIT, dit le délégué syndical de la CGT. Une fois les postes de travail déployés, les datacenters rationalisés, que va faire la filiale ? »
Ramener GSIT à l'équilibre financier
Et les syndicats ont beau jeu de souligner aujourd'hui avoir tiré très tôt la sonnette d'alarme sur l'équilibre financier de GSIT, via l'exercice de leur droit d'alerte. « Un audit mené par un cabinet externe montrait alors que le positionnement de la filiale n'était pas clair. A l'époque, la direction nous expliquait que la filiale s'en sortirait grâce à sa compétitivité », dit-on à la CFE-CGC. Force est de constater que les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, la filiale ayant, sur un plan comptable, perdu quelque 51 millions d'euros depuis sa création en juillet 2013.
Selon un document que nous avons pu consulter, un plan d'actions nommé WeMotion a été lancé afin de remettre la filiale à flot. Au menu : le déploiement de l'outil de service management ServiceNow et trois programmes d'amélioration de l'efficacité opérationnelle de la filiale portant sur la qualité, la compétitivité des offres et la professionnalisation des processus. Selon la CFE-CGC, Engie se dirigerait aussi vers un changement de pied quant au recours à sa filiale informatique, pour l'instant considéré par les branches du groupe comme une offre parmi d'autres disponibles sur le marché : « le groupe pourrait obliger les métiers à recourir à GSIT sur certains services définis ou, à défaut, les forcer à s'expliquer en comité de direction ».
Cure d'austérité pour les prestataires
Pour ramener les finances à l'équilibre, la filiale va donc passer par une cure d'amaigrissement, les effectifs devant être ramenés à 420 personnes d'ici deux ans. Avec, à brève échéance, le déploiement d'un nouvel organigramme. La direction a demandé à tous les salariés de repostuler sur les fiches de postes découlant de cet organigramme. « Mais elle ne s'est pas engagée pas sur le fait que les 420 postes seront pourvus : elle pourra donc arguer que les compétences ne sont pas au rendez-vous », s'inquiète la CGT. Même soupe à la grimace du côté de la CFE-CGC, qui relève le côté un peu factice de la démarche : « certaines fiches de postes (du nouvel organigramme, NDLR) sont identiques à celles de 2009 ! »
Autre zone d'ombre de la réorganisation : le volet prestations, longtemps très important chez GSIT. Selon la CGT, sur les plateaux de la filiale à Saint-Ouen, on trouvait encore récemment 3 prestataires pour un salarié, soit plus de 1 500 personnes détachées par les SSII. La révision à la baisse des ambitions de la filiale a pour conséquence de limiter le recours aux prestations. « Mais nous n'avons pas de visibilité sur le nombre de départs de ce côté-là », dénonce la CGT. Lors d'un récent CE, la direction a évoqué environ 1 000 prestataires au sein de la filiale.
La rédaction de Silicon.fr a tenté de contacter plusieurs responsables, anciens et nouveaux, de l'informatique chez Engie. Notamment Yves Le Gélard, le DSI, et Olivier Sala, le DG de la filiale. Aucun d'eux n'a donné suite à nos sollicitations.
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