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Interview Alban Schmutz - EuroCloud: "Le marché du cloud pour l'Etat français n'existe pas"

Le club des acteurs du Cloud délivre dix préconisations pour généraliser les services cloud dans la sphère publique. Les enjeux de transformation de l'Etat sont importants.

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Interview Alban Schmutz - EuroCloud: 'Le marché du cloud pour l'Etat français n'existe pas'

(Correctif 29/10/17) Dans quelle mesure le cloud peut-il contribuer activement à la transformation numérique de l'Etat, des services publics et même des PME ?

A travers dix préconisations destinées au gouvernement, EuroCloud a établi « une feuille de route opérationnelle » pour transformer la France en « nation cloud ».

Alban Schmutz, Président de la Commission Affaires Publiques de l'association française des entreprises du cloud (par ailleurs Vice-Président d'OVH en charge des développements stratégiques et des affaires publiques), revient sur la portée des propositions que l'on peut confronter aux blocages actuellement rencontrés.

Selon EuroCloud (1500 entreprises membres, réparties dans 31 pays), le cloud doit devenir l'un des socles principaux d'accélération.

Discussion approfondie avec l'un des contributeurs les plus actifs pour faire bouger les lignes entre la France et l'Europe.

(Entretien téléphonique réalisé le 27/10/17)

Silicon.fr : Pourquoi EuroCloud a adopté ce timing pour lancer cette initiative « nation cloud » ?

Alban Schmutz : Nous travaillons sur ces propositions depuis l'été. Tandis que le gouvernement monte des groupes de travail interne sur le thème de la transformation numérique. Ils ont commencé à s'y atteler en octobre et devraient rendre leurs conclusions en début d'année prochaine.

Lorsque nous avons remis mercredi soir nos propositions à Mounir Mahjoubi, le secrétaire d'Etat au Numérique a estimé qu'elles arrivaient au bon moment. Il n'y avait pas vraiment de coordination entre nos travaux et les chantiers du gouvernement. Mais c'est vrai que cela se goupille bien.

Nous pensons qu'il y a une fenêtre d'opportunités en France avec les discussions sur le budget et les réformes en cours.

Au niveau européen, un renouvellement de la Commission européenne va permettre de faire passer des choses alors que la France vient de changer de vision sur le numérique.

Silicon.fr : Comment percevez-vous l'état de la France sur le marché du cloud en Europe ? En avance ? En retard ?

Alban Schmutz : Cela dépend du point de vue entre la dynamique de marché avec des acteurs ayant investi le cloud d'un côté et l'Etat de l'autre. Dans le secteur privé, des sociétés engagées comme OVH ont pris des bonnes positions et elles font le boulot.

La perception est différente côté Etat. Actuellement, il n'y a pas de vrai marché du cloud pour l'Etat. Du côté de la commande publique, c'est difficile pour tout acheteur public de faire du cloud.

Si l'on regarde du côté britannique, une impulsion « Cloud First » a été donnée. Par défaut, tous les achats publics doivent être réalisés par le cloud. Et les administrations réticentes doivent fournir des explications.

On est loin d'arriver à ce niveau en France. Certes, la configuration est différente : le secteur public en France, c'est 50% du PIB. Avec le cloud, on pourrait transformer les services rendus au public en les améliorant et s'engager dans une réduction des coûts que le cabinet conseil et d'audit EY évalue en milliards dans une étude.

Il y a une opportunité colossale qui s'ouvre. On ne peut pas évoquer un leadership européen sur le cloud si on ne balaie pas devant notre porte.

Silicon.fr : Pourquoi le cloud dans l'Etat traîne dans ce cas ?

Alban Schmutz : Sur la feuille de route pour le cloud qui figurait dans le Plan Cloud de la Nouvelle France Industrielle du gouvernement en 2014 [sous la présidence de François Hollande, ndlr], les administrations avaient commencé à monter des projets mais elles n'ont pas obtenu le support politique dans les hautes sphères de l'Etat pour les implémentations.

Maintenant, nous avons besoin de la parole politique pour avancer. Avec le Président de la République Emmanuel Macron et le Premier ministre Edouard Philippe, la route est en train d'être tracée. Ils veulent que tous les services publics soient disponibles en ligne à l'horizon 2022 et mais ils ne sont pas encore engagés à ce que 80% des workflows d'administration migrent dans le cloud.

Une impulsion au plus haut niveau de l'Etat permettra de contourner les réflexes de conservatisme entretenus au niveau des administrations.

Je pourrais également évoquer la transition numérique des PME qui subissent également un certain retard en France.

Silicon.fr : La première de vos propositions a pour objet la diffusion d'une circulaire « Priorité au cloud ». Lors de votre rencontre avec Mounir Mahjoubi, le secrétaire chargé du Numérique s'est-il engagé dans ce sens ?

Alban Schmutz : Les échanges ont été positifs et nous sommes entrés dans les sujets à fond. Sur ce point-là précis, l'oreille a été très attentive. Cette proposition sera discutée dans les groupes de travail internes au gouvernement. Il est possible que cela fasse partie des conclusions.

Silicon.fr : Vous auriez aimé la création d'une mission Cloud avec la bénédiction du gouvernement, comme la mission Intelligence Artificielle menée par Cédric Villani ?

Alban Schmutz : Ce n'est pas le sujet. De toute manière, on ne fera pas d'intelligence artificielle sans infrastructure cloud. Moi-même, j'ai été auditionné dans le cadre de la mission IA de Cédric Villani. Les échanges ont été très bons.

 

Silicon.fr : Les propositions cloud pourraient-elle permettre de pousser le Small Business Act qui ne prend pas en France ? Sous l'angle : 'Donneurs d'ordres publics, tournez-vous vers les fournisseurs locaux du cloud'...

Alban Schmutz : Le Small Business Act est un serpent de mer depuis longtemps. Je parle à titre individuel sur le sujet : je pense qu'il faudrait un SBA à un niveau européen.

D'un point de vue strictement cloud, il faudrait déjà faciliter les procédures de commandes publiques en France.

En l'état actuel, une collectivité qui veut acheter des ressources cloud, c'est compliqué. Il y a des questions fiscales de versement de TVA qui mène à des distorsions. Nous rencontrons aussi des blocages opérationnels.

Par exemple, une collectivité cliente d'OVH a des soucis de localisation de stockage des vidéos de caméras de surveillance sur les lieux publics (qu'il faut conserver pendant une durée de rétention légale).

Elle souhaiteraient héberger les vidéos dans nos infrastructures plutôt qu'en local pour des raisons de capacité de stockage et de sécurité informatique. Mais la préfecture de police bloque le transfert pour des raisons d'incompréhension sur ce que représente le cloud.

Historiquement, OVH a déjà beaucoup de clients publics comme la mission Etalab (désormais intégrée dans la DISIC, la 'DSI de l'Etat') et on participe régulièrement à des appels d'offres publics.

Mais, honnêtement, on ne voit rien de significatif en termes de projets cloud dans le secteur public. Je vais être même un peu plus brut : le marché n'existe pas.

Silicon.fr : La forte concurrence des géants américains du cloud (Google, Amazon, Microsoft) n'est-elle pas un facteur décourageant supplémentaire pour décrocher les marchés publics ?

Alban Schmutz : Au contraire, je considère que la bataille n'est pas perdue d'avance.

Certes, nos amis américains apportent de la valeur ajoutée. Même si nous n'avons pas la même taille, nous avons nos propres facteurs de différenciations. Les profils des clients (publics ou privés) n'y changent rien.

Il faut prendre du recul avec le domaine du cloud qui va devenir un sujet de géopolitique avec des plaques américaines, européenne et chinoises. De mon point de vue, j'aimerais bien voir d'autres OVH émerger en Europe.

Des questions vont se poser sur la souveraineté numérique. L'Europe devra se distinguer et on le fait déjà avec l'application du RGPD (règlement européen sur la protection des données personnelles).

La question de la souveraineté numérique doit être posée mais on apporte souvent des mauvaises réponses.

En matière numérique et de cloud, il faudra aussi se méfier des risques de situations d'oligopoles qui nuisent au final à l'innovation.

Silicon.fr : Le Conseil National du Numérique appelle à une renégociation du dispositif Privacy Shield (cadre de succession du Safe Harbour pour le transfert des données personnelles entre les Etats-Unis et l'Europe). Quelle est la position d'EuroCloud ?

Alban Schmutz : Nous partageons cette position à 100%. Nous en avons discuté au sein d'EuroCloud et écrit un article à ce sujet.

Nous nous retrouvons face à un problème d'inégalité de traitement des données. Le système déclaratif établi avec le Privacy Shield favorise surtout les Américains.

C'est un sujet que j'aborde également sous la casquette du CISPE* qui a élaboré un code de conduite sur la protection des données.

Nous avions présenté cette initiative au Parlement européen en septembre dernier. Ce qui m'a permis de rencontrer des représentants de la Commission européenne qui ont négocié le Privacy Shield. Ils reconnaissaient avoir été un peu vite dans les négociations avec les Américains.

Il y a des tensions - je parlerais même de fracture - au sein de la Commission européenne sur le Privacy Shield [malgré un bilan d'étape en nuances récemment publié par Bruxelles, ndlr].

Tandis qu'une mission du Parlement européen a considéré de son côté que le cadre mis en place n'était vraiment pas fiable.

A Bruxelles où je me rends régulièrement, il y a une grosse bataille de lobbying sur ce sujet avec une participation active des entreprises américaines sur le sujet...contrairement à leurs homologues européennes.

* CISPE, acronyme de Cloud Infrastructure Services Providers in Europe d'un nom d'une coalition de leaders du cloud computing

Pour consulter le document complet présentant les 10 préconisations EuroCloud, cliquez ici.

Précisons que, de son côté, Amazon Web Services vient d'officialiser par voie de presse son adhésion à EuroCloud.

 

 

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