Rich McBee, Mitel : « Marier la mobilité avec le Cloud et le PBX traditionnel »
Publié par Christophe Lagane le | Mis à jour le
Adoption du Cloud, évolution des technologies de communication, concurrence, fusion avec Polycom. Rich McBee, président de Mitel, nous expose sa vision du marché.
Rich McBee était de passage éclair à Paris début décembre. L'occasion pour Silicon.fr de revenir avec le PDG de Mitel, entre deux rendez-vous, sur sa vision du marché des communications unifiées alors que la France compte comme son 4e territoire économique le plus important et la Suède le plus avancé en matière de pénétration du Cloud en Europe.
Silicon.fr - Graham Bevington (directeur des ventes de Mitel), avec qui nous discutions avant votre arrivée, déclarait que, en 2020, le PBX sur site composera encore 85% du marché des communications. Où en est l'adoption du Cloud ?
Rich McBee - C'est intéressant parce qu'à chaque fois que je suis interviewé, on me parle du Cloud. Quand mes interlocuteurs évoquent le Cloud, ils s'intéressent avant tout au modèle de paiement à l'usage par utilisateur et par mois. Mais une grande part du marché s'inscrit aussi dans le Cloud privé. Ce qui, concrètement, revient à mettre une boîte dans un datacenter ce qui était un PBX précédemment, et qui se traduit par un serveur et un software aujourd'hui. Et les entreprises qui disposent d'un département IT font le choix de leur propre Cloud privé. Face à la vague du Cloud, les entreprises pensent qu'elles devraient s'y investir plus largement. En fait, nous constatons qu'elles évoluent au même rythme du marché.
En Europe, quand on regarde l'aspect démographie de la base clients, vous devez toujours regarder qui parle du Cloud. Les petites entreprises, les PME ou les grandes ? Car les usages sont très différents. Les très petites entreprises s'intéressent avant tout au prix par utilisateur par mois. En Europe, la majorité des petites entreprises s'appuient sur les opérateurs pour leurs services de communication. C'est seulement depuis récemment qu'apparaissent des offres de services Cloud issues de fournisseurs tiers qui s'appuient sur le réseau de l'opérateur. Les entreprises de taille moyenne et grande privilégient plutôt les environnements privés même si elles utilisent des services managés pour gérer leurs actifs Cloud.
Globalement, les taux d'adoption du Cloud sont bons, et nous sommes bien positionnés. La réalité est que les systèmes hybrides montent en puissance avec une solution sur site pour l'entreprise principale et du Cloud pour les sites distants et filiales.
L'hybride n'est-il pas un moyen de transiter vers le Cloud intégral ?
Je n'ai pas vu cette transition mais le Cloud est encore jeune. Mais la question n'est plus si une grande entreprise avec 50 sites doit aller dans le Cloud mais quand. Ce qui signifie qu'elle va devoir migrer ses applications dans le Cloud tout en en gardant le contrôle. C'est pourquoi nous proposons des systèmes hybrides. Les Cloud privés hybrides constituent une très grosse part du marché. Et n'oublions pas que le Cloud privé est juste une façon de déployer la technologie sur site (on-premise) que ce soit dans le datacenter de l'entreprise ou dans un autre.
Dans votre modèle de vente, comptez-vous proposer des solutions packagées hardware-software ?
Non, nous sommes une entreprises de software, nous ne préférons pas fournir les serveurs, car les marges sont réduites, de l'ordre de 20 % contre 70 % pour le software, nous ne ferions pas d'argent dessus. Et nous ne sommes pas dimensionnés pour gérer la vente d'équipements pour des centaines de millions de dollars.
La mobilité ne pousse-t-elle pas à l'accélération du cloud ?
La mobilité est de plus en plus importante. Aujourd'hui, 50% des communications d'une entreprise de taille moyenne s'opère depuis un smartphone. Quand j'y pense, la première chose que je fais au réveil est de regarder mon téléphone, vérifier mes messages, et pareil avant de m'endormir. C'est vraiment permissif, pas seulement dans la vie privée mais aussi dans la vie professionnelle. Ce qu'on cherche à faire est comment marier la mobilité avec le Cloud et les communications d'entreprise. Et Mitel est unique aujourd'hui sur ce terrain car nous touchons les grandes entreprises, nous avons un marché du Cloud en forte accélération et un marché du mobile en forte progression également. Ces trois critères associés constituent une combinaison gagnante. Le réseau de demain est celui de l'entreprise mobile.
Mitel ne fabrique pas de smartphone. Comment adressez-vous le marché de la mobilité ?
Nous vendons les logiciels qui permettent la mise en oeuvre de la mobilité. La VoLTE, la VoWifi, les services de communication enrichis, c'est nous. Nous fournissons Orange, notamment. Sur ces marchés, en Europe, nous sommes numéro 1 ou 2. Nous nous différencions de l'offres des équipementiers en proposant des solutions virtualisées, pas du hardware, que vous pouvez faire tourner sur des serveurs HP, Dell, ou ce que vous voulez.
Les grands équipementiers se tournent aussi vers la virtualisation de leurs softwares.
Oui mais ils ont un problème. Ils vendent du hardware, beaucoup d'équipements pour optimiser le réseau dans un environnement marqué par des évolutions technologiques qui entraînent des alternatives dans le paysage industriel. Et la fusion de Nokia avec Alcatel-Lucent représente une opportunité pour nous de pénétrer ce marché. Nous sommes les premiers à avoir virtualisé la voix et les communications unifiées dans des environnements on-premise. Et Mavenir [racheté en mars dernier, NDLR] nous permet d'étendre ces capacités dans l'univers mobile. La virtualisation change fondamentalement le modèle. Comprenez bien qu'un équipementier appuie son modèle sur la vente de hardware, sur les services de déploiement et de support, et emploie une armée de salariés pour exécuter tout ça. Comment va-t-il faire face à une offre alternative basée sur des serveurs et juste des softwares qui va tuer les revenus issus des ventes de hardware et services associés ? A mon avis, les équipementiers basculent aussi lentement que possible vers ce modèle de la virtualisation.
Bouygues Telecom est le premier opérateur à lancer la VoLTE en France. Êtes-vous partie prenante de cette évolution ?
Non, nous avons d'autres projets avec eux dont nous ne pouvons pas parler, mais pas la VoLTE. Ce qui est intéressant avec la VoLTE, c'est que c'est difficile pour un opérateur de la lancer en mettant en avant la qualité de la voix. Car l'offre actuelle propose déjà une bonne qualité de voix. Les opérateurs avec qui je discute me disent qu'ils ne vont probablement pas communiquer autour de la VoLTE. Pour eux, la VoLTE est plus un moyen d'optimiser les coûts d'implémentation de la voix. C'est surtout le premier pas pour généraliser l'ensemble des services IP sur le réseau.
Quelles sont vos dernières innovations ?
Nous en faisons tout le temps mais notre dernière version de MiCollab est probablement très intéressante, pas seulement parce qu'elle correspond à la prochaine génération de communications unifiées mais parce que, au-delà de l'interface améliorée, le provisionning est simplifié. Vous n'avez plus besoin de programmer votre adresse IP, utiliser un identifiant et un mot de passe. Il suffit de scanner un code depuis votre smartphone et vous êtes provisionné. La technologie derrière ça est vraiment complexe mais pour l'utilisateur c'est vraiment très simple. L'autre chose que nous faisons est de créer un nouveau modèle à l'intersection des coeurs de business. Nous présenterons en janvier prochain à Berlin cette nouvelle technologie, que nous baptisons Mitel Next Conference.
Vous pouvez nous en dire plus ?
Non, pas avant janvier, mais ça tourne autour de l'activité des centres de contacts. Le centre d'appel où l'on patiente au bout du fil pour avoir un interlocuteur qui décroche est révolu. Les nouvelles générations d'usagers ne veulent plus attendre. Ils veulent pouvoir dire : « Puisque aucun opérateur n'est disponible, rappelez-moi dans 20 minutes. » Ils veulent passer du texte à la voix et même à la vidéo. Et inversement. La nouvelle technologie que nous présenterons concerne ces usages d'aller-retour entre les différents média. Et l'opérateur en face pourrait ne pas être situé dans un centre d'appels mais chez lui ou ailleurs. Ce qui permet d'absorber les éventuels pic de trafic en élargissant la base d'intervenants quasi instantanément.
Qu'apportera la 5G dans les communications ?
Il n'existe pas encore de spécification pour la 5G mais c'est intéressant car le LTE autorise déjà les connexions dans un énorme nombre d'interfaces et cela ouvre la voie aux cartes SIM logicielles (soft SIM card). Par exemple, pour l'automobile, vous pourrez permettre à de nombreux appareils d'avoir leur propre connectivité et non plus de passer par une unique carte SIM. C'est notamment de ça dont il sera question avec la 5G. Si aujourd'hui les communications visent à connecter les gens, demain, la 5G connectera les objets. S'il y a aujourd'hui 8 milliards de téléphones mobiles, il y a 20 milliards, ou plus, d'objets à connecter demain. L'autre aspect de la 5G est la capacité à élargir le réseau pour absorber le trafic de données généré par l'envoi de photo et de vidéo dont le volume double quasiment à chaque nouvelle génération de smartphone. Enfin, la 5G portera sur la surveillance, le contrôle distant des appareils critiques. Autant de services à mettre en oeuvre et donc de marchés.
L'arrivée récente de Skype for Business dans Office 365 s'inscrit comme un concurrent sérieux pour Mitel sur les communications unifiées. Un danger ?
Microsoft est une grande entreprise mais il faut regarder à qui elle vend ses produits en regard de la segmentation du marché. Microsoft s'adresse avant tout aux grandes organisations et peu aux travailleurs de terrain. Si vous êtes un technicien de service, vous n'utilisez pas des solutions Microsoft. Seuls 30 % des salariés des grandes entreprises sont concernés par Microsoft. L'autre problématique est l'implémentation de leurs solutions de communication. Pour assurer une bonne qualité des communications via Skype, il faut dimensionner le réseau en conséquence, le software n'est qu'une partie de l'offre et les entreprises n'en ont pas toujours conscience. Et le coût de la bande passante est une part importante dans le budget. Dans l'espace IP de l'entreprise, le problème numéro 1 du service est la bande passante, ce n'est pas le software ni les terminaux. Nous pensons que Microsoft prendra 10 à 12 % du marché des communications, ce qui est énorme, mais cela nous laisse une large part du marché.
Elliott Management a suggéré une fusion de Mitel avec Polycom. Qu'en pensez-vous ?
Comme tous les fonds activistes, Elliott regarde deux choses : la stratégie et l'exécution. Et si l'une ou l'autre n'est pas présente, l'entreprise finit par être visitée par un activiste qui voit la valeur sur le marché. Et dans le cas de Polycom, je pense que si la stratégie est là, le business ne s'exécute pas aussi bien qu'il devrait. Donc, c'est un cas typique de consolidation. Mais une opération d'acquisition-fusion se fait à deux, pas pour des raisons financières. Il faut que cela ait du sens dans la stratégie, économiquement, et culturellement compatible. La vision de Mitel est de mettre en oeuvre la communication et la collaboration sans couture au sein des entreprises. Il y a une part de notre activité qui n'est pas pourvue en composants de communication vidéo que possède Polycom. La réalité est que notre éventuelle union s'inscrit dans un mouvement naturel. Si nous ne pouvons pas [racheter Polycom], nous chercherons ailleurs.
Il est indéniable que le marché se consolide, la voix, la collaboration, la vidéo composent les éléments de la communication globale, et plus on se dirige vers cette évidence, plus la taille et l'échelle comptent. Pour Elliott, si vous associez une entreprise à 2 milliards de dollars à une autre de 2,5 milliards, ça en fera une force du marché très concurrentielle. Les acquisitions et fusion ont toujours fait partie de notre stratégie. Nous achetons trois ou quatre entreprises par an et nous continuerons de le faire.
[Article mis à jour le 15/12]
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