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Saga IT : comment SAP s'est imposé comme le leader du logiciel européen

Publié par Clément Bohic le | Mis à jour le

Le premier acteur européen du secteur de l’édition logicielle affiche un demi-siècle d’existence et près de 400 000 clients, pour un chiffre d’affaires de 25 milliards €.  Son architecture, sa distribution et sa couverture fonctionnelle ont évolué au gré d’une histoire faite d’alliances, de nombreuses acquisitions et de quelques conflits. Récit.

Une histoire allemande

L’entreprise naît le 1er avril 1972 à Weinheim (Allemagne de l’Ouest), sous une forme équivalente à la société en participation qu’on connaît en droit français. Elle s’appelle alors « Systemanalyse und Programmentwicklung » ; littéralement, « Analyse de systèmes et développement de programmes ».

Hans-Werner Hector, Dietmar Hopp, Hasso Plattner, Klaus Tschira et Claus Wellenreuther en sont à l’origine.

Ces cinq ingénieurs avaient quitté IBM pour poursuivre un projet avorté de progiciel dit « de gestion intégrée » (PGI ou ERP, pour « Enterprise Resource Planning ») ; c’est-à-dire destiné à couvrir tous les domaines de l’entreprise.

Leur premier contrat « pilote » est signé avec la filiale allemande du groupe ICI (Imperial Chemical Industries). Il implique 9 mois de travail pour la mise en service d’une solution de gestion de la paye et de la comptabilité.

Cette solution devient, en 1973, le premier produit commercial de SAP. Elle fonctionne sur le système d’exploitation DOS d’IBM et porte le nom de RF, pour « Real-Time Finance ».

La notion de temps réel reflète le principe du PGI : plusieurs modules qui partagent une même base de données pour améliorer la disponibilité des informations.

Un deuxième module voit le jour en 1975 : RM. Il permet, sur les ordinateurs System/360 d’IBM, la gestion des achats, des stocks et des factures.

L’ensemble est fédéré sous la marque R/1. Le 1 étant synonyme d’architecture monocouche : présentation (interface utilisateur), traitement et accès aux données sont gérés au même niveau logique.

Vers la génération R/2

En 1976 naît une filiale dédiée aux ventes et au support. Elle est crée sous la forme d’une GmBH (Gesellschaft mit beschränkter Haftung), équivalent d’une SARL.
Son nom complet, « Systeme, Anwendungen und Produkte in der Datenverarbeitung », est traduisible par « Systèmes, Applications et Progiciels ».

L’année suivante, le siège social est installé à Walldorf, une quarantaine de kilomètres au sud de Weinheim. SAP enregistre ses premiers clients à l’étranger, en Autriche.

En 1979, SAP ouvre la voie à une nouvelle génération de son ERP : R/2.
Fonctionnant sur les mainframes IBM, elle adopte une architecture bicouche : une pour la présentation, l’autre pour l’application et la base de données (au départ, DB2 d’IBM).

Un module de gestion des ventes et de la logistique (RV) voit le jour en 1980. Il est suivi d’un outil de gestion de la production intégré au sein de RM. La gestion des ressources humaines arrivera en 1986. Entre-temps, la partie comptabilité a été complétée par le contrôle de gestion (RK).

Le début des années 80 est marqué par le départ de Claus Wellenreuther, pour raisons médicales. SAP commence à externaliser de plus en plus la mise en œuvre de ses solutions. Des accords sont signés avec des sociétés comme Accenture, Capgemini… et IBM.

En 1981, la société d’origine est dissoute au sein de SAP GmbH.

Elle fête son 10e anniversaire avec 250 clients en Allemagne, en Autriche et en Suisse. L’effectif dépasse les 100 employés, pour un chiffre d’affaires de 24 millions de marks (un peu plus de 10 millions de dollars).

La première implantation à l’étranger intervient en 1984. SAP crée, en Suisse, une filiale dédiée à la gestion de ses activités à l’international.

L’année suivante, SAP s’installe sur le marché américain, avec un siège social en Pennsylvanie.

R/3 : l’ère client-serveur

Une autre filiale ouvre en 1986, en Autriche. Le chiffre d’affaires dépasse les 100 millions de marks. SAP participe à son premier CeBIT, du nom de ce salon high-tech organisé à Hanovre.

Sa première conférence « maison », le groupe allemand l’organise en 1987, à Karlsruhe, non loin de Walldorf. Cette année-là, il ouvre des bureaux en Espagne, au Royaume-Uni… et en France, à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne).
Commence par ailleurs le développement de ce qui deviendra R/3 : une version de son progiciel sur architecture client-serveur.

R/3 fonctionne initialement sur une configuration IBM, avec le système d’exploitation OS/2 et la base de données DB2. Il repose sur une architecture trois tiers : les serveurs de présentation, d’application et de base de données sont séparés.

Le 4 novembre 1988, SAP entre en Bourse, à Francfort et à Stuttgart. Les revenus atteignent 340 millions de marks, pour un bénéfice net de 70 millions.
Les fonds levés à l’occasion de l’IPO permettent d’accentuer les travaux de R&D destinés à adapter le progiciel aux besoins des différents secteurs d’industrie.

En 1990, SAP réalise sa première opération de croissance externe : l’acquisition de l’éditeur CAS. La firme s’empare aussi de 50 % du capital de Steeb Anwendungssysteme (édition et conseil).
Le chiffre d’affaires est alors réalisé à près d’un tiers en Amérique du Nord, soit presque autant qu’en Allemagne.

Le directoire est élargi début 1991. Henning Kagermann y rejoint l’équipe fondatrice.

Au CeBIT, le grand salon technologique, le voile est levé sur R/3. Son lancement officiel intervient le 6 juillet 1992. Il est alors conçu pour une utilisation sur un large éventail de configurations matérielles et logicielles et de bases de données (dont celle d’Oracle), avec à sa base une plate-forme technologique nommée Basis.
L’ABAP (Advanced Business Application Programming) permet d’en étendre les fonctionnalités. Il s’agit d’un dérivé du langage destiné à réaliser des sorties de données (ou rapports) sur R/2.

La facturation se fait selon trois critères : le nombre d’utilisateurs, le nombre de modules installés et leur niveau d’utilisation.
Ces modules sont classés en trois grandes familles : finance, logistique et RH. Ils sont divisés en plusieurs dizaines de sous-modules allant de la comptabilité bancaire (BL) à la gestion des compétences (PD) en passant par l’hygiène industrielle (EH&S, qui sera introduite en 1995).

Microsoft, dans la danse

En 1993, un accord est signé avec Microsoft. L’un de ses objectifs est de porter R/3 sur Windows NT.
SAP dépasse cette année-là le milliard de marks de revenus et lance la coentreprise IXOS. Celle-ci a pour but de concevoir un système de gestion documentaire utilisable exclusivement avec R/3.

En 1994, R/3 est lancé sur Windows NT. L’alliance avec Microsoft est étendue pour faire fonctionner les produits SAP avec SQL Server. Elle aboutira aussi au développement des BAPI (Business applications protocol interfaces), API permettant d’accéder aux données et processus de R/3 dans SAP ou à partir de systèmes externes.

Une nouvelle prise de contrôle intervient cette année-là : celle de DACOS Software, qui édite des logiciels pour le secteur du retail.

SAP crée un département dédié à la localisation de ses produits. Des efforts qui lui permettent notamment de décrocher des contrats au Japon (Nissan, Toyota…) en mettant en application, dans son progiciel, le principe du kanban (analyse du besoin client).

Les archives du site SAP Design Guild (ouvert en 2000 et fermé en 2015) offrent un aperçu sur l’évolution de l’interface du progiciel sous l’ère R/3.

Alors que R/2 (ci-dessous) employait un affichage de type terminal, son successeur introduit une interface graphique.

La v3.1 adopte le « look Windows 95 ». La fonction « tabstrip » permet de condenser plusieurs écrans en un. Les versions suivantes introduiront, entre autres, la prise en charge d’ActiveX.

L’ère Internet

En 1995, Hans-Werner Hector quitte, pour raisons personnelles, le directoire mais demeure au conseil de surveillance. Et rallie, entre autres, le board de Novell.

Dans ce contexte, Oracle affirme qu’il dépassera SAP dans un horizon de trois ans sur le marché des ERP.

Le contexte, c’est aussi l’émergence d’Internet. Et avec lui, de menaces pour SAP. En particulier celle d’éditeurs « spécialisés » (CRM, intranet, gestion de la supply chain…) qui perçoivent une opportunité pour élargir leur offre. Autre danger : Sun, qui promeut l’interopérabilité par Java.

En 1996, SAP lance la contre-offensive en annonçant, avec Microsoft, sa « stratégie Internet ».

L’une des premières mesures mises en œuvre dans ce cadre consiste à interfacer l’ERP avec des solutions concurrentes. Elle commence véritablement à se matérialiser avec R/3 3.0. Celui-ci exploite les BAPI, mais aussi le mécanisme de traitement de données réparti dit ALE (Application Link Enabling).

En août 1996, la démarche trouve une continuité avec le SAP Business Framework.
R/3 3.1, qui sort quelques mois plus tard, en tire profit avec notamment une interface graphique sur base Java et des interfaces de communication sur HTTP. Objectif : apporter un front-end web aux produits SAP pour permettre d’utiliser toutes leurs fonctions dans un navigateur.
La fin de la décennie sera synonyme de prise en charge du CSS ou encore d’utilisation de JavaScript pour la validation de données.

SAP doit composer, en parallèle, avec d’autres scandales. Tout particulièrement lorsque Forrester Research affirme que l’éditeur allemand, conscient de l’obsolescence de l’architecture R/3, se prépare à la remplacer discrètement. En l’occurrence, sous forme de « compléments » pour le progiciel… avec à la clé des hausses de prix.

La réaction ne se fait pas attendre : pas question d’abandonner R/3. SAP s’engage, au contraire, à renforcer les connexions avec les solutions tierces, dans la tendance « orienté objet ». La plate-forme NetWeaver en sera l’un des piliers dans les années 2000.

ERP.com

En 1997, le cap des 10 000 employés est franchi. Hasso Plattner prend les fonctions de CEO. La liste des acquisitions s’allonge avec Kiefer & Veittinger (gestion des ventes).

SAP crée, cette même année, Pandesic, une joint-venture avec Intel pour aider les entreprises à développer leur activité commerciale sur Internet.
La maintenance de R/2 reste d’actualité. Toujours implanté dans quelque 1 400 entreprises, le produit engendre encore près de 200 millions de dollars de revenus. Sa fin de vie est programmée pour 2004.

En février 1998, Dietmar Hopp et Klaus Tschira annoncent qu’ils quittent le directoire de SAP. tout en restant au conseil de surveillance, dont le premier prend la tête.
Henning Kagermann rejoint Hasso Plattner au poste de P-DG du groupe.

Le 3 août, SAP fait ses premiers pas en Bourse aux États-Unis, sur le NYSE.

Cette même année, le centre R&D français SAP Labs ouvre, à Sophia Antipolis. Et une nouvelle opération de croissance externe est annoncée : Campbell Software (gestion du personnel).

Une acquisition supplémentaire est officialisée. Elle porte sur OFEK-Tech (gestion de la chaîne logistique).

La « stratégie Internet » trouve un prolongement en mai 1999 : l’annonce de mySAP.com.

Avec ce portail en ligne qui regroupe une partie de ses offres et celles de partenaires, SAP entend faire de l’ERP la rampe d’accès vers le commerce interentreprises.
L’introduction d’une architecture trois tiers accélère le traitement des données en mémoire.

La composante principale, mySAP.com Marketplace, permet la mise en place de hubs collaboratifs regroupant forums de discussion, actualités, cours de Bourse et applications hébergées.
La composante mySAP.com Workplaces permet à chaque utilisateur d’accéder, via Internet, à des outils et services personnalisés.

L’offre peut être exploitée en mode hébergé (on ne parle pas encore de cloud, mais d’ASP, pour « Application service provider » ; le marché mondial est alors estimé à 150 millions de dollars). SAP dédiera d’ailleurs rapidement une branche à cette activité : SAPHosting.

Toucher les PME

En 2000, le groupe franchit les 20 000 employés.
mySAP.com, ayant connu des débuts difficiles, est ouvert à la concurrence. Le moteur de messagerie XML est mis au point avec Web Methods ; le système d’authentification, avec iPlanet (alliance Netscape + Sun) ; la gestion du contenu des catalogues électroniques, avec Requisite Technology.
Le milliard d’euros de revenus est atteint sur l’année. Le terme « e-business » est alors au cœur de la communication de l’éditeur.

Pour se renforcer dans le domaine des portails d’entreprise, SAP noue une alliance avec Yahoo.
Le groupe pense aussi croissance externe. C’est chose faite en mars 2001 avec TopTier Software, qui donnera naissance à la filiale SAP Portals.

Le CRM monte en puissance dans le business du groupe, dégageant 445 millions d’euros de revenus sur l’année (+ 17 % par rapport à l’exercice 2000). Un levier important pour l’éditeur allemand, de plus en plus bousculé sur son cœur de métier ERP, notamment par Microsoft, qui s’est renforcé en profitant des valorisations basses des sociétés technologiques après l’éclatement de la bulle Internet.

TopManage Financial Solutions, société sœur de TopTier Software, passe aussi dans le giron de SAP, l’année suivante. Elle lui apporte un progiciel pour Windows couvrant la gestion des ventes et les aspects administratifs et financiers. Ce progiciel est renommé SAP Business One et positionné sur le segment des PME. Il fait, pour le marché européen, l’objet d’un accord de distribution avec HP.

L’offensive auprès des PME prend de l’ampleur avec l’offre mySAP All-In-One. Elle consiste en des versions préconfigurées de R/3, adaptées aux verticales métiers avec le concours des partenaires SAP.

L’architecte SAP

En 2003, Hasso Plattner quitte le directoire et prend la tête du conseil de surveillance. Henning Kagermann (ci-contre) est appelé aux fonctions de CEO.
La marque mySAP.com est abandonnée à la faveur de mySAP Business Suite. Une manœuvre censée refléter le basculement du modèle de facturation vers les licences.

Poursuivant sa stratégie d’ouverture, SAP lance R/3 Enterprise, version modernisée de son progiciel reposant sur un serveur d’applications Java. Des fonctionnalités spécifiques peuvent être ajoutées sans avoir à modifier le cœur de l’application.

L’éditeur lève aussi le voile sur NetWeaver. Cette marque ombrelle réunit la plate-forme Basis (renommée Web Application Server) et plusieurs technologies d’intégration. Alimentée par des acquisitions telle celle d’In-Q-My Technologies (qui permet l’ajout du langage de programmation Java), elle pose les jalons d’une architecture « orientées services » autour de .NET (Microsoft) et d’IBM WebSphere (J2EE).

Toujours en 2003, SAP réalise une acquisition controversée : DCW Software. Cet éditeur d’un ERP pour AS/400 a été fondé par… Claus Wellenreuther.
À cette époque, le marché est bouillant. J.D. Edwards passe sous le contrôle de PeopleSoft, lui-même convoité par Oracle.

Sur le front financier, le chiffre d’affaires accuse une baisse annuelle (- 5 %, à 7,025 milliards de dollars). Une première dans l’histoire de SAP.

Sur le volet R&D, l’éditeur fait part de ses travaux sur liveCache, du nom d’une base de données « nouvelle génération ». Elle exploite la mémoire cache pour accélérer les traitements. Une première intégration est réalisée dans l’outil de planification faisant partie du module de gestion de la supply chain.

Le 21 juin 2004, R/3 Enterprise est remplacé par SAP ERP Central Component (ECC). Celui-ci met en œuvre le concept d’architecture « orientée services », à renfort de technologies ouvertes issues du Web.

Le rythme des acquisitions s’accélère :

  • iLytix Systems (gestion de budget)
  • SAP Systems Integration (services d’intégration)
  • A2i (gestion de produits et de catalogues)
  • Il est plus soutenu encore en 2005 :

  • TomorrowNow (support et maintenance de produits PeopleSoft et J.D. Edwards)
  • DCS Quantum (gestion commerciale et relation client pour les vendeurs automobiles)
  • Lighthammer Software (gestion des sites industriels)
  • Triversity (terminaux points de vente avec gestion des stocks et du service client)
  • Transact In Memory (technologie de base de données en mémoire)
  • Khimetrics (planification de l’activité commerciale)
  • Callixa (intégration de données)
  • L’acquisition de TomorrowNow se traduit par le lancement du programme Safe Passage. Il vise les clients en fin de contrat avec des concurrents.

    Opération Business Objects

    La plate-forme NetWeaver se généralise dans l’offre de SAP. En 2006, elle est à la base d’une déclinaison de l’offre All-In-One.

    Cette même année, l’outil Duet voit le jour. Il est censé faciliter l’intégration des solutions SAP et de Microsoft Office.

    L’offre Business One est renforcée avec l’acquisition de Praxis Software Solutions et son CRM web. Virsa Systems (gestion du risque et de la conformité), Frictionless Commerce (gestion de la relation fournisseurs) et Factory Logic (planification) tombent aussi dans l’escarcelle de SAP.

    En 2007, nouvelle tentative d’offensive auprès des « grosses PME », avec Business ByDesign. Cet ERP Cloud fondé sur NetWeaver couvre finance, RH, chaîne logistique, relations clients et fournisseurs, gestion de projets et contrôle de conformité. Il a la particularité de stocker les données de chaque client sur un serveur physique différencié.

    La guerre avec Oracle prend un tournant judiciaire.

    La firme de Larry Ellison porte plainte aux États-Unis. Elle accuse des employés de SAP de « vol de propriété intellectuelle à grande échelle ». Ces derniers auraient utilisé des identifiants de clients Oracle en fin de contrat pour se connecter à un portail d’assistance et récupérer des ressources, dont du code logiciel.
    TomorrowNow, filiale de SAP offrant un support technique aux anciens clients de PeopleSoft (acquis par Oracle en 2005), est mis en cause dans cette affaire.
    SAP sera condamné en 2010, parviendra à renverser le jugement en 2011… et paiera finalement un peu plus de 350 millions de dollars à Oracle en 2014.

    L’année 2007 est aussi marquée par l’annonce d’une acquisition importante : près de 5 milliards de dollars mis sur la table pour prendre le contrôle de Business Objects, spécialiste français de la BI. L’opération sera finalisée début 2008.

    Cinq autres acquisitions sont recensées pour l’année 2007 :

  • Pilot Software (gestion de la stratégie d’entreprise)
  • OulookSoft (gestion de la performance)
  • Wilcom Communications (solutions de communication sur IP)
  • MaXware (gestion des identités)
  • Yasu Technologies (gestion des processus)
  • Pour la première fois, le chiffre d’affaires dépasse les 10 milliards d’euros.

    HANA & Cie.

    En 2008, SAP réalise, avec Stanford, la première démonstration de ce qui deviendra HANA.

    Inscrit dans la lignée du projet liveCache, ce système de gestion de bases de données en colonnes  et en mémoire vive (in-memory) est basé en partie sur des acquisitions, dont celle du moteur transactionnel P*TIME.
    Développé en C++ sur SUSE Linux, il permet de faire fonctionner en parallèle des tâches transactionnelles et des tâches analytiques.

    L’acronyme HANA est, au départ, utilisé pour « Hassos Neue Architektur », en référence au cofondateur de SAP. Avec les années, on parlera de « High-Performance Analytic Appliance ».

    Fin 2008 intervient une prise de participation minoritaire, réalisée par l’intermédiaire du fonds NetWeaver. Elle porte sur Visiprise (gestion de la production), entreprise que SAP avait déjà soutenue quelques années plus tôt.
    Entre-temps, un partenariat a été signé avec IBM sur Atlantic, du nom d’un projet d’intégration de Lotus Notes et de SAP Business Suite.

    Des suites de la crise financière mondiale, SAP annonce son attention de supprimer 3 000 postes. Une manœuvre sans précédent.
    Henning Kagermann quitte le groupe, dont Léo Apotheker (à gauche sur la photo ci-contre) prend seul la tête.

    Une entreprise française figure sur la liste des acquisitions 2009 : Highdeal et ses outils de facturation pour les fournisseurs de services de communication.
    Skydata (CRM mobile), Clear Standards (gestion de l’empreinte écologique), Coghead (PaaS), SOALogix (intégration logicielle) et SAF (gestion supply chain) rejoignent aussi la famille SAP.

    Le groupe compte 48 500 employés à temps plein en fin d’exercice, contre 51 544 un an plus tôt.

    Le mandat de Léo Apotheker se termine moins d’un an après avoir débuté, sur fond de baisse des résultats financiers. Le duo Jim Hagemann Snabe – William « Bill » McDermott prend le relais.

    Sous leur direction, SAP réalise, en 2010, une acquisition majeure. Il débourse près de 6 milliards de dollars pour s’offrir Sybase, fournisseur de solutions pour la gestion de l’information en mobilité. L’entreprise est alors dirigée par John Chen, qu’on retrouvera plus tard aux rênes de BlackBerry.

    Deux autres acquisitions sont annoncées cette année-là : Technidata (EHS) et cundus (société de conseil).

    Condamné en première instance dans l’affaire TomorrowNow, SAP affirme qu’il fera appel, mais reconnaît avoir reçu une « leçon de bonne gouvernance ».
    Sur le volet gouvernance, justement, la DRH Angelika Dammann (ci-contre) est la première femme nommée au directoire.

    L’année 2011 est marquée par la naissance du fonds Sapphire Ventures. À date, il a réalisé une centaine d’investissements, dont une cinquantaine se sont soldés par une introduction en Bourse.

    Autre épisode marquant cette année-là : l’annonce d’une acquisition à 3,4 milliards de dollars. Elle porte sur SuccessFactors et son logiciel SaaS de gestion des ressources humaines.
    On peut y voir une réponse à l’acquisition de RightNow par Oracle.

    SAP s’empare aussi de Right Hemisphere (visualisation 3D), de Crossgate (intégration et échange de données) et d’une partie des produits de SECUDE (gestion des identités et des accès).

    L’offre cloud se structure

    Petit à petit, le cloud devient un incontournable dans la communication de SAP. Jusqu’à ouvrir le rapport d’activité 2012. Il représente, cette année-là, environ un quart des revenus du groupe.

    Une à une, les offres logicielles sont déclinées en SaaS. Par exemple Business All-In-One, BusinessObjects, HANA et Business Suite en 2012 sur le cloud d’Amazon Web Services.

    La même année, SAP lance son PaaS HANA Cloud, qui deviendra quelques années plus tard SAP Cloud Platform. Le principe : apporter aux applications des capacités supplémentaires allant du traitement in-memory au machine learning en passant par la blockchain. Développé et géré avec SUSE, il est basé sur des standards ouverts (Java, Node.js, Cloud Foundry…).

    La montée en puissance dans le cloud se fait aussi à travers l’acquisition d’Ariba. Pour 4,3 milliards de dollars, elle ouvre à SAP une grande porte dans le commerce B2B.

    Deux autres rachats sont officialisés en 2012 : datango (gestion de la performance des employés) et Syclo (applications mobiles d’entreprise).

    Début 2013, la Business Suite migre sur HANA.
    Le catalogue cloud comprend alors cinq briques majeures : RH (sur la base de SuccessFactors), finance, ventes / marketing, approvisionnement (Ariba) et offres PME (Business One et Business ByDesign).
    Pour le compléter, SAP s’empare d’hybris et ses solutions e-commerce.

    Les autres acquisitions réalisées cette année-là sont pour certaines axées front-office. Par exemple celle de Ticket-Web, à l’origine d’un système de billetterie en ligne doublée d’un CRM pour l’industrie du sport et du divertissement.
    Le back-office n’est pas oublié, entre autres avec SmartOps (supply chain), Camilion (gestion du cycle de vie des produits pour les sociétés d’assurance) et KXEN (analyse prédictive).

    Au cours de l’été, on apprend que Bill McDermott sera bientôt seul aux commandes de SAP : Jim Hagemann Snabe quittera son poste en mai 2014.
    L’automne est marqué par l’annonce d’un nouveau fonds : SAP Ventures Fund II, pourvu d’une dotation initiale de 650 millions de dollars (le premier fonds a dépassé le milliard de dollars d’apport).

    En 2014, l’ensemble du portefeuille SAP Ventures est regroupé sous la bannière Sapphire Ventures.
    Regroupement également pour les équipes de support et de conseil, sous l’étendard Global Service & Support. Objectif : proposer le même niveau d’assistance pour toutes les solutions SAP, quel que soit le mode de déploiement.

    Sur l’année, le segment cloud franchit le milliard d’euros de revenus, porté par les ventes sur le marché nord-américain. Mais il ne représente encore qu’une petite partie du chiffre d’affaires global.

    L’acquisition marquante de 2014 est valorisée à 8,3 milliards de dollars. Avec Concur, SAP prend une position forte sur le marché des logiciels de gestion des notes de frais et des voyages d’affaires.

    Un autre rachat alimente le catalogue SaaS : celui de Fieldglass, éditeur de logiciels de gestion des fournisseurs et de la main-d’œuvre. SAP s’offre aussi SeeWhy (marketing comportemental).

    Sur le plan juridique, le groupe adopte le statut de SE (société européenne).  La démarche est censée lui faciliter l’exercice de ses activités dans tous les États membres de l’UE.

    S/4HANA : à vos marques, prêts, migrez ?

    Le 3 février 2015, une nouvelle génération de l’ERP fait son entrée : S/4HANA. Réécrite exclusivement pour la technologie maison HANA, elle ne fonctionne pas avec d’autres bases de données. Un tournant à l’heure où 60 à 70 % de la base installée utilise le SGBD d’Oracle.

    S/4HANA est décliné en trois versions : cloud multitenant, cloud infogéré et sur site. Il est mis en musique avec la nouvelle génération d’interfaces, Fiori.

    La version « traditionnelle » du progiciel ne propose à l’origine qu’un module : Simple Finance, né de la réécriture des fonctions financières pour HANA. La partie supply chain s’y ajoutera entre 2015 et 2016 ; les ressources humaines, en 2018.

    La version cloud est nativement intégrée à SuccessFactors, à Ariba, à hybris et à Fieldglass. Elle introduit un cycle de mise à jour trimestrielle.

    Pour faciliter la migration technique, SAP met en place des outils tels que :

  • Maintenance Planner (qui balaye la configuration métier du système de départ et du système cible)
  • Readiness Check Tool (pour évaluer les actions à mener sur le code spécifique)
  • Software Update Manager (pour minimiser l’indisponibilité)
  • La feuille de route reste toutefois mal comprise par les clients. Des voix s’élèvent aussi pour dénoncer un mauvais niveau d’information sur les fonctionnalités.

    SAP fait, en parallèle, face à la grogne de ses clients sur la question des « accès indirects ». En d’autres termes, la sollicitation des systèmes de l’éditeur par des logiciels tiers. Des frais de licence sont réclamés à ce titre, entraînant parfois des redressements de plusieurs dizaines, voire centaines de millions d’euros à l’occasion des audits de licences.

    En France, l’USF (club des utilisateurs SAP francophones) s’empare de l’affaire, comme le Cigref (club des DSI des grandes entreprises et des administrations).
    La bataille dure aujourd’hui encore, malgré des concessions de la part de SAP, à travers des évolutions de son modèle de licences.

    Cap sur l’IoT

    Toujours en 2015, HANA donne naissance à d’autres produits, dont le moteur de traitement en mémoire Vora, conçu pour faciliter le traitement des big data sur Hadoop. La plate-forme est aussi déclinée pour l’Internet des objets.

    Fin mars, Klaus Tschira décède. En juillet, Bill McDermott est victime d’un accident domestique qui lui vaut de perdre l’usage d’un œil. Il chausse désormais systématiquement des lunettes noires lors de ses apparitions publiques.

    D’autres partenariats cloud sont signés cette année-là. En particulier avec HPE pour favoriser l’adoption de HANA en architecture hybride.

    La gamme PME se décline  avec SAP Anywhere, « mini-ERP » SaaS qui réunit gestion des ventes, de la relation client, du marketing, des stocks et des commandes. Le produit fermera deux ans à peine après son lancement, avec moins d’une cinquantaine de clients actifs.

    En 2016, le SAP Store, canal de distribution directe de certains produits de l’éditeur, est complété avec l’App Center, place de marché d’applications tierces.

    La même année, un partenariat est signé avec Microsoft pour rendre HANA disponible sur Azure.
    SAP noue aussi une alliance avec Apple. Objectif :  concevoir, sur la base de son PaaS Cloud Platform, des applications d’entreprise pour iPhone et iPad.

    L’IoT s’installe dans la stratégie du groupe. Outre un engagement à investir 2 milliards de dollars à l’horizon 2020, il est l’objet de plusieurs acquisitions, dont Fedem (gestion de systèmes) et Plat.One (plate-forme de développement).

    Les autres opérations de croissance externe réalisées en 2016 concernent :

  • Roambi (visualisation de données sur mobile)
  • Altiscale (big data « as a service »)
  • Hipmunk (recherche de voyages d’affaires)
  • Abakus (marketing cross-canal)
  • L’activité cloud frôle les 3 milliards d’euros de revenus sur l’année. Mais son développement entraîne une hausse des coûts… et une réduction de la marge d’exploitation (- 0,4 point, à 30,1 %).

    La consécration du front-office

    SAP se dit conscient de l’importance d’élargir le business au-delà de son cœur de métier. Les statistiques des principaux cabinets d’étude lui donnent raison : en 2017, le marché mondial du CRM dépasse celui de l’ERP en valeur.

    Le groupe révise sa communication, sous l’angle « Intelligent Enterprise Framework ».

    Leonardo en est l’une des composantes. Il consiste en une « plate-forme d’innovation » adossée à SAP Cloud Platform. Son principe : irriguer les processus en tirant parti d’un ensemble de capacités de traitement de données (big data, IoT ou encore machine learning).

    HANA – qui touche, en fin d’année, 8 000 clients sur les 378 000 que revendique le groupe – est un autre pilier de la stratégie « Intelligent Enterprise Framework ». Il est accompagné du Data Hub pour la centralisation et la distribution de données. Sa disponibilité est élargie par le biais d’un partenariat cloud avec Google.

    SAP renforce son arsenal e-commerce avec l’acquisition de Gigya (gestion de profils d’utilisateurs). Et décide de vendre sa participation minoritaire dans MuleSoft (intégration de données)… que Salesforce acquerra quelques mois plus tard pour 6,5 milliards de dollars.

    Cette année-là, S/4HANA migre sur Azure.
    Avec le cloud, les revenus non comptabilisés mais assurés dans le cadre des contrats avec engagement atteignent 7,5 milliards de dollars. La marge brute plafonne de cette activité reste cependant sous les 60 %, alors qu’elle dépasse les 85 % pour les logiciels sur site et les activités de support associées.

    En 2018, une offensive est relancée dans le CRM avec C/4HANA.
    Sous cette bannière, SAP regroupe toutes ses fonctions front-office : commerce (la marque hybris disparaît à cette occasion), marketing, ventes (sur la base des technologies de Callidus, acquis en début d’année pour 2,4 milliards de dollars), service client (bientôt enrichi par la plate-forme de gestion des interventions terrain de Coresystems) et protection des données du consommateurs (brique fondée sur les logiciels de Gigya).
    Le produit propose une intégration complète avec le portefeuille d’applications SAP, sous la direction de l’ERP S/4HANA.

    La principale acquisition de l’année est valorisée à 8 milliards de dollars. Elle porte sur Qualtrics. L’éditeur américain, positionné sur la gestion de l’expérience des clients et des employés, passe dans le giron de SAP juste avant son IPO.

    SAP s’offre deux autres sociétés au cours de l’année. D’une part, le français Recast.AI (voir son CTO d’alors au micro en photo ci-contre) et sa plate-forme de développement de chatbots. De l’autre, Contextor, dont les technologies d’automatisation sont exploitées pour simplifier les interactions entre l’ERP et les applications tierces.

    En fin d’année, SAP compte une cinquantaine de datacenters dans 13 pays.

    Le lancement de C/4HANA trouve une continuité en 2019 avec l’Open Data Initiative. Dans ce cadre, SAP, Adobe et Microsoft parient sur des formats de données communs pour favoriser l’interopérabilité de leurs CRM respectifs.
    Premier produit : une application de collecte et d’envoi de données vers Azure pour un traitement analytique.

    Photo principale © SAP SE

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