Comment Amadeus hybride l'IA générative pour améliorer l'expérience du voyage
Publié par Alain Clapaud le | Mis à jour le
Le secteur du transport aérien utilise des algorithmes depuis des années. Mais cette chasse gardée de la recherche opérationnelle fait aujourd'hui la place aux modèles de Machine Learning et aux IA génératives.
Le secteur du voyage représente près de 10% du PIB mondial et emploie 300 millions de personnes. Soumis aux fluctuations des cours du pétrole et des flux de voyageurs, toute cette industrie s'est convertie aux algorithmes depuis de nombreuses décennies.
Les compagnies aériennes maximisent le revenu de chaque siège avec une optimisation du prix des billets en quasi temps réel. Des algorithmes sont aussi à l'oeuvre pour établir le calendrier des vols, affecter un avion à une ligne et un équipage à chaque vol.
De même il y a des algorithmes pour gérer le chargement des avions et veiller à ce que le centrage des masses soit optimum. D'autres algorithmes sont aussi mis en oeuvre pour optimiser les déplacements des appareils sur le tarmac et allouer les portes d'arrivée aux avions.
Dans ce cadre d'algorithmes dits de recherche opérationnelle, l'IA commence à se frayer un chemin. Ainsi, la reconnaissance faciale a fait son entrée dans certaines aérogares pour accélérer l'enregistrement des passagers.
Des synergies entre recherche opérationnelles, ML et GenAI
Ce type de solutions met en oeuvre des modèles de Machine Learning, mais aussi les IA génératives. « Pour que des systèmes de reconnaissance faciale développés en Europe soit utilisables en Afrique ou en Asie, nous devons tester les systèmes sur n'importe quelle couleur de peau et de cheveux. C'est la raison pour laquelle nous générons des images à large échelle pour que ces systèmes fonctionnent pour tous et partout. » explique Rodrigo Acuna Agost, responsable de la recherche chez Amadeus, un fournisseur de services IT pour cette industrie.
Rodrigo Acuna Agost, Responsable de la recherche chez Amadeus, lors de sa présentation au WAICF 2024 à Cannes. © DR
Cette génération de données synthétiques pour améliorer les performances d'un modèle de Machine Learning n'est qu'un exemple des synergies qui sont en train de se mettre en place entre algorithmes dits classiques, modèles de Machine Learning et GenAI.
« Les algorithmes de recherche opérationnelle résolvent des problèmes réels, mais ils nécessitent des experts pour écrire ces algorithmes et ceux-ci ne sont pas capables de s'adapter à de nouvelles données. Le Machine Learning peut se montrer extrêmement puissant en mode supervisé. Le modèle peut délivrer des prédictions sur un domaine bien précis, mais il ne peut prendre des décisions et donner un prix par exemple.» détaille Rodrigo Acuna Agost.
«En outre, les modèles demandent des données de bonne qualité en grandes quantités. L'IA générative est bonne pour générer des données mais on observe aujourd'hui ses limites, notamment vis-à-vis du phénomène des hallucinations, du coût de l'entraînement de ces IA et des inférences et des conséquences en termes de durabilité, ainsi que des problèmes éthiques et de respect de la propriété intellectuelle. » ajoute-t-il.
Son équipe travaille notamment sur un chatbot qui met en oeuvre un LLM pour aider le voyageur à planifier son voyage. « Si on demande à ChatGPT d'organiser un voyage en France pour une semaine, incluant visites de musées et restaurants dans un budget de 1000 €, sa première erreur est de faire une recommandation d'un séjour de 10 jours. De plus, le budget n'est pas respecté et les recommandations de restaurants sont trop génériques. L'IA générative est bonne pour produire du texte, mais les recommandations ne sont pas optimales. » précise-t-il.
Un chatbot qui met en oeuvre un LLM
Piloter le moteur de recherche d'Amadeus en langage naturel depuis Teams est l'un des projets de recherche menés par Rodrigo Acuna Agost. © DR
Pour pallier l'inadaptation de l'outil à cette tâche, Amadeus a marié une IA générative et ses algorithmes de recherche opérationnelle. Ainsi, le chatbot respecte toutes les contraintes fixées par l'utilisateur. « Si la durée du voyage est de 7 jours, l'algorithme va trouver la route optimale entre les destinations pour respecter cette durée.. ChatGPT ne peut pas faire ça. » assure Rodrigo Acuna Agost.
La recherche de billets est une autre problématique où l'hybridation entre algorithmes classiques et IA générative peut être une approche pertinente. Rodrigo Acuna Agost révèle que 34 millions de vols sont programmés chaque année, ce qui signifie que sur des vols tels que Nice / New York ou Kuala Lumpur vers Le Cap représentent 1070 possibilités.
Amadeus a dédié un parc d'un millier de serveurs pour calculer ces correspondances traiter dans un délai de 3 à 5 secondes les milliards de requêtes générées par les passagers.
« La complexité de la recherche sur des vols est de transformer ce nombre énorme de possibilités en 200 à 300 combinaisons de vol. Nous utilisons beaucoup d'IA, notamment un modèle de segmentation, ainsi que des algorithmes de recherche opérationnelle. A la fin, c'est un algorithme par séparation et évaluation (branch and bound) qui sélectionne les meilleures possibilités. Là encore, nous marions recherche opérationnelle et Machine Learning. » complète Rodrigo Acuna Agost.
Autre défi de taille pour les chercheurs d'Amadeus : modéliser les choix des voyageurs afin de leur proposer les offres les plus pertinentes. L'équipe de Rodrigo Acuna Agost s'appuie sur les travaux de Daniel McFadden, prix Nobel d'économie en 2000, pour essayer de comprendre les attentes des utilisateurs.
Un millier de serveurs pour calculer les correspondances
Le service leur propose des alternatives avec des attributs comme le prix, la durée des correspondances, les compagnies aériennes, etc. mais l'objectif des data scientists est de déterminer à l'avance quelles possibilités sont les plus pertinentes afin de faire des recommandations ou filtrer les résultats.
Le projet d'assistant de planification du voyage développé par Amadeus et présenté aux visiteurs du WAICF 2024 à Cannes. © DR
« Notre objectif est d'accroître la précision de ce modèle. C'est difficile car nous ne connaissons pas toutes les contraintes des voyageurs. En testant divers algorithmes, on peut obtenir une précision de 25% à 30% pour 50 alternatives proposées, mais le plus important est de disposer de la probabilité de choix pour chaque option. » argumente Rodrigo Acuna Agost.
C'est là que l'IA générative entre en jeu. Amadeus a créé un chatbot dédié à la recherche d'un vol en langage naturel. Celui-ci extrait d'une phrase écrite par l'utilisateur l'origine et la destination du voyage et les dates. Si l'IA n'est pas sûre de ces données, elle va poser des questions complémentaires pour inviter l'utilisateur à préciser sa demande.
« En combinant cette approche et nos technologies de recherche, nous pouvons proposer 3 alternatives de voyage directement via le chatbot. On peut aussi interagir avec l'utilisateur qui peut imposer sa compagnie préférée, Lufthansa par exemple. La réponse sera adaptée en fonction de ses demandes. Enfin, il est possible de réserver le vol directement depuis cette interface. C'est le futur de la recherche de vols. » conclut le chercheur.
Les IA ne vont certainement pas remplacer les algorithmes de recherche opérationnelle imaginés par les plus grands mathématiciens du XXe siècle pour la plupart. Néanmoins, les modèles de Machine Learning et d'IA générative vont certainement les compléter, notamment pour simplifier les IHM parfois denses proposées par sites de réservation aux voyageurs.
Propos recueillis lors de la conférence WAICF de Cannes 2024