Digital Workplace : chantier prioritaire du DSI
Publié par Philippe Leroy le | Mis à jour le
Avec les contraintes imposées par la Covid-19, les entreprises doivent composer avec un ensemble disparate de solutions pour collaborer à distance. L’heure est aujourd’hui est à l’homogénéisation et au passage à un environnement de travail unifié.
À quelque chose malheur est bon. La crise du Covid-19 aura rappelé aux entreprises l’importance de se doter d’une digital workplace, un environnement de travail unifié permettant à leurs employés de collaborer à distance. À défaut, les sociétés ont dû bricoler quand, mi-mars, à l’annonce du confinement, elles sont massivement passées au télétravail. Certaines ont souffert en mettant en place à la va-vite un tunnel sécurisé (VPN) pour offrir un accès distant au réseau d’entreprise. D’autres se sont ruées sur les solutions innovantes en mode SaaS.
Courant mars, en l’espace d’une semaine, le nombre d’utilisateurs quotidiens de Microsoft Teams est passé de 32 à 44 millions, pour dépasser désormais la barre des 75 millions de membres. Workplace from Facebook et Slack ont aussi « profité » du contexte sanitaire, revendiquant respectivement 5 millions et 12,5 millions d’utilisateurs. Mais c’est Zoom qui a battu tous les records avec 300 millions de participants quotidiens au plus fort de la crise.
Si la pandémie a servi de « stress test » pour éprouver ces nouveaux modes de collaboration, il s’agira désormais d’en tirer tous les enseignements. « Les entreprises ont testé, pour le pire et le meilleur, des solutions de chat, de visioconférence ou de partage de documents, dont certaines issues de la sphère privée, » observe Jean-Denis Garo, directeur marketing de Mitel. « La bascule dans le télétravail s’étant faite du jour au lendemain, le DSI a dû laisser faire. Avec le retour à la normale, il va sûrement siffler la fin de la récréation. »
Le DSI aura, en effet, fort à faire en sortie de crise. Il doit commencer par lutter contre le shadow IT, les équipes métiers s’étant emparées d’outils, souvent gratuits, comme WhatsApp, Skype ou Dropbox. Il renforcera ensuite sa politique de sécurité, la période ayant été propice à une recrudescence de cyberattaques. FLes vulnérabilités de Zoom ont été notamment pointées du doigt. Il s’agit surtout de se doter d’une solution pérenne, fiable et performante, le télétravail étant appelé à s’inscrire dans la durée. Des entreprises comme PSA ont même décidé d’en faire la règle.
« Aujourd’hui, le DSI a besoin de rationaliser et de rassembler des outils épars de communication et de collaboration dans une suite intégrée », estime Philippe Pinault, P.-D.G. et cofondateur de Talkspirit. « C’est la condition sine qua non pour relever les défis de productivité et de sécurité. » L’enjeu d’une digital workplace consiste ainsi à consolider en un point unique les différentes briques pour travailler en mode remote : agenda, chat, téléphonie, visio, partage de fichiers, gestion de projets, etc.
« Cet effort d’harmonisation est une tendance lourde, antérieure à la crise » , observe Guillaume Charly, associé, conseil technology strategy & architecture au cabinet Deloitte. « De très nombreux projets de digital workplace partent des renégociations avec les fournisseurs de technologies. Les entreprises ne veulent plus remettre des millions d’euros au pot pour de simples évolutions technologiques. Elles souhaitent des projets qui donnent du sens, créent de la valeur. »
Systémique, un projet de digital workplace comprend des volets RH (marque employeur), organisationnel (management à distance), financier (amélioration du TCO) et même immobilier, avec la réduction des mètres carrés qu’entraîne le recours accru au télétravail. Pour ces raisons, il doit être, selon Guillaume Charly, porté au plus haut, au niveau du Comex.
2 milliards € : le marché français de la Digital Workplace
En février, avant la crise, le cabinet d’études Markess by Exægis estimait la croissance annuelle du marché français de la digital workplace à près de 5 % par an avec un objectif de 2 milliards € en 2023. Depuis, Ronan Mevel, son directeur, a révisé à la hausse cette prévision. « La croissance devrait être supérieure à 5 % et plus proche de 10 %. »
Dynamique, ce marché est aussi particulièrement fragmenté. On y trouve des acteurs issus d’horizons très divers, notamment des réseaux sociaux d’entreprise (Jalios, Jamespot…), de la virtualisation (Citix, VMware…) ou des communications unifiées (Mitel, Alcatel Lucent Enterprise…). Le marché reste toutefois dominé par les deux géants du collaboratif que sont Google et Microsoft, avec leurs suites G Suite et Office 365. Fortement ancré en entreprise, Microsoft croit avoir trouvé la martingale avec Teams, son arme anti-Slack.
Pour Laurent Camus, senior product marketing manager de cette plateforme collaborative, Teams apporte une simplification dans l’expérience du collaborateur qui pouvait se trouver décontenancé par la richesse fonctionnelle d’Office 365. Quand utiliser Yammer ou Skype ? OneDrive ou SharePoint ? « Depuis une interface unique, l’utilisateur accède à tous ses outils de travail. Il n’est plus nécessaire de passer d’une fenêtre à l’autre. »
Laurent Camus met aussi en avant la place de marché permettant d’intégrer à Teams plus de 300 applications tierces, comme l’outil de management visuel de la start-up rennaise Klaxoon. « Il est, par ailleurs, possible d’inviter des membres externes à une organisation, comme des fournisseurs, des partenaires ou des clients. »
Directrice de l’entité Microsoft 365, Nadine Yahchouchi met, elle, en avant la dimension inclusive de la plateforme. « Teams reprend les codes d’ergonomie et d’usage de la sphère privée pour faciliter la prise en main des personnes moins acculturées au digital. C’est important, car le télétravail n’est plus réservé à des catégories socioprofessionnelles ou des secteurs activité spécifiques. » Selon un sondage d’OpinionWay pour Microsoft, 42 % des Français qui télétravaillaient lors des grèves de décembre et janvier découvraient cette pratique pour la première fois.
Une surcouche à G Suite et Office 365
En dépit de cet effort de simplification, des acteurs se positionnent aujourd’hui pour apporter une surcouche applicative aux suites collaboratives, afin de fluidifier l’expérience utilisateur ou de combler une lacune fonctionnelle, comme l’absence de dimension sociale de G Suite depuis la fin de Google +. C’est sur ce créneau que s’inscrit LumApps qui compte Airbus, Etam, Air Liquide, Veolia ou Valeo comme clients.
Fondé en 2012, cet éditeur français qui a développé un intranet social et une plateforme de partage de connaissances s’appuie sur G Suite et Office 365 pour la dimension collaborative tout en la personnalisant.
« En se connectant le matin à la plateforme, le collaborateur n’aura pas la même expérience que son collègue », avance Nour Idriss Bentoumi, son product director. « En fonction de son profil, elle lui remontera uniquement les informations utiles à sa journée de travail. Sur Teams ou Slack, un utilisateur est rapidement noyé par le flot de messages. »
Issu du monde du réseau social d’entreprise (RSE), Talkspirit a suivi un développement comparable en s’enrichissant de fonctionnalités de travail collaboratif. La plateforme propose aussi des connecteurs pour se greffer aux différents « drives », dont ceux de Microsoft et Google.
Créé en 2004, l’éditeur français se pose en alternative aux deux mastodontes américains, en mettant en avant les enjeux de souveraineté et de localisation des données (hébergement chez OVH).
Pour encore plus d’indépendance, il intègrera à son offre, d’ici à cet été, une suite bureautique open source. L’origine historique de Talkspirit est un atout de plus aux yeux de Philippe Pinault, son P.-D.G. « Les acteurs venus du RSE ont nativement déployé leur solution sur l’ensemble d’une organisation. En ajoutant la dimension collaborative à leur arc, ils descendent au niveau des équipes. Pour des ChatOps comme Slack, c’est le chemin inverse. Ils partent d’une équipe, puis remontent au sein de l’organisation. »
L’éditeur a pour clients des ministères ou la Société du Grand Paris et, dans le privé, des ESN pour qui la marque employeur est importante comme Squad et Davricourt, primées dans le classement Great Place to Work, ou, encore, des entreprises multisites, comme Gîtes de France. Pour les grosses PME et les ETI,
Talkspirit se retrouve en concurrence avec Workplace from Facebook qui rencontre un beau succès dans les pays anglo-saxons. Sa version professionnelle intègre Rooms, fonctionnalité venue de Messenger qui permet de passer des appels vidéo jusqu’à 50 participants. Workplace Rooms peut être reliée à Portal, l’enceinte connectée maison, et au casque Oculus for Business, ouvrant la voie à des réunions de travail en réalité virtuelle.
Résister aux pure players
À côté de ces pure players du cloud, on trouve des acteurs plus traditionnels qui ont, eux aussi, migré dans le cloud. C’est le cas de l’équipementier canadien Mitel qui vient de lancer en France MiCloud Flex, son offre de communications et de collaboration hébergée sur Google Cloud. Il avait précédemment dévoilé MiCollab et MiTeam Meetings, des modules offrant des fonctionnalités de chat, de vidéo ou de partage de documents.
Pour Jean-Denis Garo, un fournisseur de communications unifiées comme Mitel est particulièrement légitime à proposer une digital workplace. « La collaboration est, avant tout, portée par la voix et l’écrit, les employés travaillant essentiellement avec leur messagerie et le téléphone. » Sous-entendu : un acteur historique de la téléphonie d’entreprise est plus à même de proposer la qualité de service attendue.
Spécialiste de la virtualisation du poste de travail, Citrix, qui a fêté ses 30 ans d’expérience l’an dernier, a aussi des arguments à faire valoir. « Certaines offres font table rase de l’existant, occultant la dette technique des entreprises », plaide Guillaume Reffet, ingénieur avant-vente. « Une digital workplace doit pouvoir intégrer des applications métiers vieilles de dix ou quinze ans. » Une approche qui a séduit, entre autres, Alstom, Société Générale, Berger Levrault ou le Conseil départemental de la Seine-et-Marne.
À ses yeux, le volet sécurité prend aussi une importance particulière quand des télétravailleurs utilisent des ordinateurs familiaux plus vulnérables aux virus et aux malwares. « Une interface sécurisée permet alors de rendre étanche l’exécution en local d’applications métiers en bloquant, par exemple, le téléchargement de document », poursuit Guillaume Reffet.
L’intelligence artificielle dans la boucle
Par ailleurs, Citrix a développé pendant des années des technologies d’optimisation de la bande passante qui permettent de manipuler des fichiers particulièrement gourmands en ressources, comme des objets 3D en CAO-DAO. Les ingénieurs du bureau d’études de PSA partagent ainsi à distance des fichiers Catia de plusieurs Go.
Citrix met ces technologies au service de son partenaire Microsoft pour Windows Virtual Desktop, le service de virtualisation de bureaux et d’applications sur Azure.
Enfin, avec son concept d’Intelligent Workspace, Citrix utilise l’intelligence artificielle pour enrichir l’expérience utilisateur. Un assistant virtuel fait remonter un fil d’actualité personnalisé ou envoie des notifications sur les actions à faire.
L’apport de l’IA pourrait ainsi être un élément différenciant dans la guerre à laquelle se livrent les acteurs de la digital workplace.
Dans Teams, l’IA sert à traduire les messages dans le chat, à planifier une réunion en coordonnant les agendas des différents participants ou à aller dénicher dans l’annuaire d’entreprise le collègue qui dispose de la bonne expertise.
Un assistant virtuel corvéable à merci
Éditeur spécialisé en intelligence artificielle, IPsoft va un cran plus loin avec le lancement, en février dernier, de DigitalWorkforce.ai, sa place de marché de collègues virtuels.
Baptisé Amelia, son agent intelligent n’est pas qu’un simple chatbot ou une FAQ dynamique. Pour favoriser l’interaction avec les humains, Amelia capte les sentiments de son interlocuteur en analysant les mots-clés utilisés ou, en mode vocal, l’intonation de ses phrases.
Au sein d’une digital workplace, Amelia va décharger ses collègues humains des tâches répétitives et chronophages. Affectée au help desk informatique, elle va, par exemple, assurer un support de premier niveau en expliquant à l’utilisateur comment réinitialiser son mot de passe. « Amelia rejoint une équipe et monte en compétences comme le ferait une recrue », estime Cyril Parcellier, directeur du développement d’IPsoft France. « Elle s’améliore avec le temps sur les principes de l’apprentissage supervisé. »
Cette sorte d’Alexa version entreprise peut manipuler des données sensibles et exécuter des process de bout en bout. « Elle va invoquer des processus automatisés de RPA ou des systèmes de back-office via des APIs », complète Pierre-Boris Bonafous, ingénieur avant-vente. « Elle est aussi capable de passer d’un sujet à l’autre, c’est-à-dire organiser une réunion, puis réserver une salle. » Bref, la collègue idéale dans la future digital workplace.
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