Informatique quantique : et tout devient (potentiellement) possible
« Si la mécanique quantique ne vous a pas encore profondément choqué, alors vous ne l’avez pas encore comprise ». Derrière cette phrase aux résonnances mystiques attribuée à Niels Bohr, physicien Danois prix Nobel en 1922, génial architecte avec Werner Heisenberg de la mécanique quantique, se cache une vérité difficilement contestable : le quantique passionne autant qu’il questionne, fascine autant qu’il bouleverse.
La deuxième partie de la citation est d’ailleurs encore plus déroutante : « Tout ce que nous appelons réel est fait de choses qui ne peuvent pas être considérées comme étant réelles ».
Voilà de quoi poser le sujet. L’informatique quantique, comme la physique quantique ou la mécanique quantique qui fonde cette dernière, sont des sujets qui repoussent les limites de la compréhension humaine, et définissent de nouvelles frontières au développement conjoint de l’humain et de la machine.
Les meilleurs experts en la matière expriment volontiers l’incommensurable complexité parfaitement contre-intuitive du sujet. Autre ponte du domaine, Richard Feynman disait par exemple : « Si vous croyez comprendre la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas».
Qu’on se rassure : nous n’avons ni la prétention de la comprendre, ni l’arrogance de vouloir l’expliquer, encore moins l’outrecuidance de la résumer. Il est en revanche plus que jamais nécessaire d’en mesurer l’impact, non pas en analysant son fonctionnement, mais en observant ses zones d’action directes et ce qu’elle bouleverse réellement.
Spoiler : beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses…
Tout et son contraire, en même temps
L’informatique quantique est à la fois une évolution logique, dans la lignée d’un progrès technologique exponentiel, et une révolution totale, en ce qu’elle bouleverse tous les schémas tout en s’adaptant totalement aux modes de production actuels. Ni la quantité de données traitées ni la rapidité d’exécution de leur traitement ne peuvent être résumées à une simple amélioration, parce que l’on parle ici de capacités sans commune mesure avec l’état actuel de la technologie.
Les grands principes de l’informatique quantique reposent sur deux piliers : l’enchevêtrement et la superposition. Or, derrière ces notions se cachent de très différentes façons de concevoir la notion même de calcul ou d’hypothèse.
L’enchevêtrement (ou intrication) est un phénomène qui décrit le fait que deux particules intriquées distinctes partagent les mêmes propriétés à l’état quantique. Une action subie par une de ces particules produira sur elle les mêmes effets que sur la particule intriquée, et ceci, quelle que soit la distance qui les sépare. Plutôt qu’un lien progressif de cause à effet sur une quantité de particules, la modification de l’état d’un qubit (les bits quantiques) peut ainsi être simultanément accompagnée de la modification d’un autre qubit.
La superposition est quant à elle le procédé selon lequel une particule peut être dans deux états distincts en même temps. Quand le bit peut être soit à l’état 0 soit à l’état 1, le qubit peut ainsi être à la fois 0 et 1.
Par ces deux principes, le qubit permet un calcul beaucoup plus rapide, et permet des hypothèses beaucoup plus nombreuses. Le temps n’est plus une contrainte.
Réel : 0, Hypothèses : 1
C’est une dimension clé de la compréhension de l’impact de l’informatique quantique sur le monde de demain : résolument complexe, son principe de fonctionnement n’est ni visible, ni digeste. En revanche, la compréhension basique de ses piliers permet de projeter aisément le potentiel de développement de cette technologie. C’est en outre une autre évolution majeure, puisque sans même la comprendre, l’être humain peut utiliser l’informatique quantique et profiter de ses avantages. La complexité est passée du statut de concept profondément humain à celui de concept parfaitement informatique.
L’informatique quantique existe, mais l’essence même de l’état quantique la rend inobservable. On revient alors à la phrase de Niels Bohr, le réel n’est qu’un amalgame de choses que l’on ne peut appeler réelles, mais qui toutes présentent une potentialité statistique d’existence. Tout alors devient hypothèse puisque l’ensemble des scenarii possibles pour n’importe quel sujet sont envisageables et « testables » en même temps. Puisque le temps n’est plus une contrainte, la capacité de calcul est sans limites. Puisque la capacité de calcul est sans limites, tout est envisageable, donc tout devient hypothèse.
La connaissance, valeur en baisse ; l’émotion, en hausse.
L’impact de la technologie sur les facultés humaines n’est plus à démontrer. Qui a par exemple besoin de mémoriser, quand l’accessibilité de l’information rend la connaissance disponible à tout moment par un simple dispositif mobile ayant conquis la grande majorité de nos concitoyens ? L’informatique quantique fera passer à cette évolution un cap phénoménal.
Le fantasme d’apprendre le Kung Fu en quelques minutes, par le branchement d’un logiciel à l’arrière du crâne, comme Neo dans Matrix, n’est plus si loin. Comme souvent, la science-fiction nous donne un aperçu de demain, en version hollywoodienne certes, mais pas pour autant dénuée de sens. La connaissance ne sera plus une valeur ajoutée liée à l’effort d’acquisition, mais un plug-in pour être humain.
Cette évolution pourrait en revanche avoir le mérite de recentrer la qualité de l’humain sur son quotient émotionnel. Puisqu’il n’a plus besoin de passer du temps pour l’obtention du savoir, il aura d’autant plus de place pour ressentir. Après tout, Neo est bien devenu ami avec Morpheus et amant de Trinity…
Un pivot vers demain
Sans même parler d’humain, le potentiel d’accélération de toutes les autres avancées est immense. Vous pensiez que ChatGPT était une révolution ? Imaginez une IA capable aujourd’hui d’accumuler une quantité faramineuse de données et d’informations, les synthétiser et en utiliser le contenu, boostée par l’informatique quantique. Il paraît difficile d’envisager une limite à cette conjoncture technologique.
Imaginez les conséquences sur l’expérience client par exemple. Les marques fonctionnent aujourd’hui en segmentant leur clientèle. Tel profil consomme de telle façon sur telle plateforme avec tel dispositif. L’informatique quantique rend cette démarche de personnalisation bien plus précise. « Tel profil » devient « Sarah, 38 ans, cadre supérieure dans l’informatique ». « Consomme de telle façon » devient « a acheté une barre céréale le 28 janvier à 17h42 ».
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Avec l’IA, sans même avoir accès aux coulisses du calcul ou du traitement des données, la machine aura pu analyser toutes les hypothèses d’expériences potentiellement proposables à Sarah, puis recommander le choix optimal, et donc la stratégie personnalisée à adopter. Le tout en une fraction de seconde. Car après tout, Sarah est elle aussi constituée d’une multiplicité superposée d’états intriqués, chacun doté d’une potentialité statistique de manifestation.
Dans ce contexte, elle est dans un état de consommatrice de telle marque, sur telle plateforme, mais elle est aussi, et en même temps, une cadre supérieure de 38 ans, une athlète amateur confirmée, une lectrice assidue de romans noirs, une amatrice de thé vert japonais, une citoyenne à convaincre, etc. Le quantique est aussi profondément humain, résolument complexe.
Il bouleverse nos perceptions, même celles que l’on croyait les plus immuables. Les notions de temps et d’espace se jouent des frontières physiques et en créent de nouvelles. Après tout, peut-être que dans une autre réalité, rendue disponible par l’infiniment grand et l’infiniment petit, dans une forme de simultanéité d’aujourd’hui, d’hier et de demain, nous avons compris quelque chose à l’informatique quantique…
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