Hadopi : chacun prépare ses arguments
Publié par Olivier Robillart le | Mis à jour le
La loi Création & Internet, qui sera finalement débattue mercredi, divise fortement. Outre le milieu associatif clairement opposé, eurodéputés, élus français et membres de la majorité parlementaire comptent apporter des amendements importants
Le coup d'envoi des débats sur la loi Création et Internet se rapproche. Le projet de loi va passer l'examen de l'Assemblée nationale dès le 10 mars après son adoption par les sénateurs fin 2008. Mais pour le gouvernement, le vote ne sera pas un long fleuve tranquille, c'est une volée d'amendements à la législation qui sont proposés. Eclairage.
Outre l'opposition parlementaire (PS), des membres de la majorité UMP ont d'ores et déjà montré leur mécontentement face à un texte qui divise spécialistes et internautes. Adopté le 30 octobre dernier par le Sénat le projet de loi pourrait rencontrer quelques difficultés lors des débats.
« Provocation« , « suppression de droits », « antipédagogique« , « flou et inapplicable. ». Les députés UMP Lionel Tardy, Marc Le Fur et Alain Suguenot ont ainsi déposé plusieurs amendements qualifiant et modifiant le texte. Reste à connaître dans quelle mesure ces oppositions pourront jouer sur le vote.
Des députés sensibilisés à la question et même trop sollicités par leurs administrés. On peut lire sur le site de PcInpact que certains députés notamment de la majorité reconnaissent être bombardés d'e-mails leur demandant de ne pas soutenir la loi.
Selon les mots d'une députée qui a souhaité garder l'anonymat, la pression commencerait à être forte : « je trouve le texte parfaitement équilibré, mais le débat sur ce texte va être un débat de communication. C'est celui qui va gagner la communication sur ce texte qui va l'emporter vis-à-vis de la population. Nos collègues reçoivent énormément de courriers via internet qui nous enjoignent à ne pas entrer dans processus !« . Une bataille de communication à ne pas négliger à l'heure où l'institut TNS et Logica établissent un sondage montrant que 36% des internautes quotidiens français téléchargent illégalement (étude réalisée pour Metro sur un échantillon représentatif de 1.000 personnes).
Il faut dire que la Quadrature du Net (rassemblement de citoyens sur les questions des libertés individuelles dans le numérique) a lancé un appel afin de mobiliser les opposants au projet. Le collectif encourage ainsi les administrateurs de sites internet à opérer un black-out avec des bannières noires mais aussi de « contacter son député pour lui annoncer que l'on a procédé au 'black-out' de son espace sur le Net pour protester contre la loi Création et Internet ». Une mesure dénoncée par le ministre de la Culture qui qualifie les activistes de la Quadrature de« cinq gus dans un garage ».Le ton est donné.
L'opposition n'est pas uniquement nationale. A l'échelle de l'Europe, le front de la contestation s'intensifie par le biais de l'euro-député socialiste Guy Bono. Sur son site, il annonce que l 'amendement 138 sera réintroduit dans le Paquet Telecom proposé au Parlement européen. Cet amendement vise à rendre obligatoire le recours à un juge dans le cadre de la riposte graduée (coupure de connexion Internet en cas de récidive de téléchargement illégal) alors que la loi ne le prévoit pas, confiant cette responsabilité à une autorité administrative, la fameuse Hadopi (voir encadré).
Une position insoutenable pour le gouvernement français qui avait déjà exprimé son désaccord par la voix de Nicolas Sarkozy en novembre dernier.
Les débats en France et à Bruxelles vont donc repartir. Reste à savoir quelles dispositions de la loi subsisteront.
Loi Création et Internet : un peu de pédagogie, un peu d'ouverture et beaucoup de répression
« J'ai demandé que la loi création et internet soit définitivement votée en mars prochain et je suis certain qu'elle aura un effet très positif sur les comportements », a déclaré le président de la République. Objectif : faire de l'Internet « un fantastique lieu de création et d'échange et non une jungle sauvage où il serait permis de piller les oeuvres des créateurs ».
Le ton est donc donné.Tétanisé par la chute des ventes physiques, ayant raté le virage du numérique, le secteur mise sur cette loi pour stopper l'hémorragie. Le marché global de la musique en France a généré 600 millions d'euros en 2008 contre 966 millions en 2005 et 1,3 milliard en 2002.
La loi, votée par les sénateurs, instaure d'abord la riposte graduée. En cas de téléchargement illégal, les internautes recevront d'abord des messages d'avertissement par e-mail et par lettre recommandée, avant de se voir couper leur accès Internet en cas de récidive. C'est cette dernière mesure qui divise le plus, qualifiée de « liberticide » par des associations de consommateurs et d'internautes.
Mais selon Pascal Nègre, patron d'Universal Music, « lorsque la lettre recommandée arrive, 90% des internautes visés cessent leurs activités illégales. La coupure du Net concernera donc qu'une infime part des internautes. La loi n'est donc pas liberticide, c'est d'abord une loi pédagogique ».
Ce sera la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur l'internet (Hadopi) qui sera chargée d'appliquer les sanctions. Son budget devrait avoisiner les 15 millions d'euros. Elle agira donc en dehors de toute procédure juridique. Mais ce sera aux FAI de supporter les coûts des divers sanctions techniques. Dès lors, SFR, Free et Orange ont clairement affirmé leur désaccord face aux mesures les plus répressives.
Christine Albanel promet l'envoi de 10.000 messages électroniques par jour comme premier avertissement et vise une réduction de 70% du piratage..
Hadopi prévoit également quelques carottes. Le texte devrait valider la fin des DRM, ces verrous techniques brandis à une époque par les Majors comme l'arme ultime contre le partage illégal. Il s'agit également de promouvoir encore plus les offres légales mais le texte semble déjà dépassé avec l'essor des plates-formes d'écoute en streaming type Deezer.
Enfin, le texte devrait permettre de bouleverser la chronologie des médias permettant ainsi à un film de sortir plus vite en DVD (4 au lieu de 6 mois) afin d'éviter la tentation P2P. Reste que 4 mois, ça reste encore bien long.
A la veille du débat, les associations de consommateurs ou d'internautes ont a nouveau répété leur opposition au projet. L'UFC Que Choisir évoque un « bourbier juridique en vue », tandis que l'Ascel, l'association pour le commerce et les services en ligne a demandé mardi un « moratoire de six mois » sur la mesure de suspension de l'accès à internet.
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