Oracle : la complexité des licences « défie l'entendement »
Malaimé par les DSI, débouté par la justice française dans deux affaires récentes, pointé du doigt pour son interprétation du licensing dans les environnements virtualisés, Oracle symbolise les dérives des grands éditeurs de logiciels en matière de licences. Nous avons donc sollicité le Club des utilisateurs de solutions Oracle (l'Aufo, Association des Utilisateurs Francophones d'Oracle) pour mieux appréhender les relations que la base installée entretient avec l'éditeur. Notamment sur le sujet des environnements virtualisés, où les spécialistes témoignent ces derniers mois de mauvaises surprises vécues par la base installée Oracle-VMware.
« Le sujet du licensing des environnements virtualisés reste assez délicat et sensible pour les utilisateurs. Certains adhérents de l'Aufo en sont venus à créer des environnements virtualisés dédiés à Oracle afin de limiter les risques de surcoûts », explique Jean-Jacques Camps, le président de l'Aufo (en photo ci-dessus). Une voie que conseille également le club des utilisateurs allemands. Cette décision drastique vise à contrer l'interprétation que font les services d'audit d'Oracle (LMS soit License Management Services), qui, depuis la version 5.1 de vSphere de VMware, considèrent que le partitionnement des serveurs par espaces de stockage ne suffit plus à limiter le nombre de serveurs devant être placés sous licences. En résumé, prenant appui sur les dernières avancées des outils de VMware, Oracle réclame des licences sur l'ensemble de la ferme de serveurs, même si ses produits ne tournent que sous quelques VM au sein de ce parc. Pour le Gartner, qui a produit fin novembre dernier une note sur le sujet, « en rendant sa technologie meilleure pour ses clients (via la possibilité pour une VM de changer d'espace de stockage et de serveur simultanément, NDLR), VMware a donné par inadvertance à Oracle le moyen de facturer davantage à leurs clients communs ». Pour le cabinet d'études, sur le sujet de la virtualisation, l'approche licensing d'Oracle est décalée des normes de l'industrie. Notamment des pratiques de Microsoft ou IBM qui ont apporté des aménagements à leur politique pour tenir compte des évolutions techniques.
Des personnes à temps plein
« Plus généralement, pour les entreprises, la gestion de la conformité des licences logicielles devient un coût à prendre en compte dans l'économie des projets, reprend Jean-Jacques Camps. Tant pour le risque de redressement suite à un audit de l'éditeur que pour le coût de gestion proprement dit de ces sujets. En effet, s'assurer de la conformité des licences devient de plus en plus difficile, les règles établies par Oracle, mais plus généralement par tous les éditeurs de logiciels, sont d'une complexité défiant, dans certains cas, l'entendement. » Le président du club utilisateurs relève d'ailleurs que c'est le sens du mouvement de protestation né en Grande-Bretagne et appelé Campaign for Clear Licensing, « qui a culminé avec une lettre ouverte adressée à Larry Ellison (pointant un mécontentement de la base installée vis-à-vis des pratiques d'audit et de licensing de l'éditeur, NDLR) ».
Gérer le sujet du licensing est ainsi devenu une fonction à part entière. « Certaines grosses structures ont deux ou trois personnes à temps plein travaillant sur ces questions pour les seuls logiciels applicatifs, dont ceux d'Oracle. » Pour faire face à cette complexité croissante, l'Aufo a créé voici deux ans et demi un groupe de travail dédié au licensing Oracle afin de partager les bonnes pratiques en la matière. Le groupe, qui tient une réunion tous les deux ou trois mois, devrait finaliser un document d'ici à l'été.
Pour Jean-Jacques Camps, une des premières bonnes pratiques consiste à conserver une copie des recommandations de l'éditeur en matière de licensing au moment de chaque signature de contrat. Car c'est cette version qui servira de référence en cas de différend ; « Un certain nombre de décisions de justice nécessitaient ce levier-là », remarque-t-il. Et d'ajouter que si la judiciarisation des relations entre l'éditeur et ses clients lui semble logique, elle lui paraît « réservée aux grosses structures et elle résulte tout de même d'un constat d'échec dans le dialogue avec l'éditeur. Amener l'affaire en justice n'est pas forcément une bonne stratégie de sortie d'audit ».
Lire aussi : Finalement, AWS va revendre du VMware
« Des réactions de plus en plus passionnées »
En novembre dernier, l'Afpa a obtenu gain de cause face à Oracle devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, ce dernier n'accordant pas à l'éditeur les 13 millions de dédommagement qu'il réclamait suite à un audit. En juin 2014, Carrefour obtenait lui aussi gain de cause face à l'éditeur ; le TGI de Nanterre lui reconnaissant le droit de ne pas exécuter sur ses serveurs des scripts que l'éditeur voulait lancer dans le cadre d'un audit. Ces deux affaires récentes, tranchées par la justice française, montrent bien l'exaspération des DSI face à des pratiques de plus en plus mal vécues. Le président de l'Aufo évoque d'ailleurs des « réactions de plus en plus passionnées » des utilisateurs sur le sujet du licensing Oracle.
Au coeur de ce ressentiment, les audits pratiqués par le département LMS de l'éditeur. « L'audit n'est plus un événement exceptionnel, confirme Jean-Jacques Camps. Il revient de façon récurrente, environ tous les 3 ans chez Oracle. Et il se traduit par des coûts pour les clients. » Et de rappeler que deux associations d'utilisateurs - non liées aux produits Oracle - ont proposé que les coûts de ces opérations soient intégralement pris en charge par les éditeurs quand les contrôles ne révèlent pas d'écart entre les droits achetés et les logiciels réellement déployés.
« Dire que LMS est à l'origine d'un euro de chiffre d'affaires sur 2 pour Oracle (proportion avancée par des sociétés spécialisées dans la gestion du licensing, NDLR) me semble toutefois exagéré, reprend le président de l'Aufo. Même si, pour l'éditeur, l'audit est clairement un moyen d'initier des discussions avec les clients. Il peut par exemple avoir pour effet d'accélérer le lancement de projets qui auraient été enclenchés de toute façon, mais plus tard. Si Oracle ne fournit aucun chiffre, le fait que LMS soit intégré au processus commercial est une évidence. » La justice française n'avait d'ailleurs pas dit autre chose, à l'occasion du procès opposant l'éditeur à l'Afpa.
Suite à nos différents articles sur le sujet, nous avons sollicité Oracle pour lui proposer une interview sur ces sujets. A ce jour, l'éditeur n'a pas répondu à nos sollicitations.
A lire aussi :
Comment Oracle terrorise le marché avec vSphere 5.1 de VMware
Sur le même thème
Voir tous les articles Business