D-Wave revendique la suprématie quantique : qui l'a fait avant lui ?
Depuis Google en 2019 avec le processeur Sycamore, se sont succédé les revendications d'atteinte de la suprématie quantique... souvent remises en cause.

D-Wave, premier à atteindre la suprématie quantique sur un problème concret ?
L'entreprise canadienne s'en revendique. Prépublié il y a un an, son article à ce sujet est désormais validé par les pairs. Il présente une expérience de simulation de matériaux magnétiques sur le prototype d'ordinateur quantique Advantage2. L'affaire de quelques minutes, nous assure-t-on ; alors qu'il faudrait, au même niveau de précision, plus d'un million d'années sur un supercalculateur à GPU tel que Frontier.
Jusque-là, la démonstration de la suprématie quantique a tourné autour de la génération de nombre aléatoires, que ce soit par échantillonnage de bosons ou de circuits aléatoires, fait remarquer D-Wave. Des expériences qui n'ont pas d'application pratique, ajoute-t-il.
Il y a bien eu, en 2023, des avancées sur la base du processeur IBM Eagle à 127 qubits, concède l'entreprise canadienne. Les chercheurs impliqués - de UC Berkeley - disaient être parvenus, grâce à cette quantité de qubits assortie d'améliorations sur des éléments comme la calibration du processeur et la caractérisation du bruit, à des résultats impossibles à reproduire dans une échelle de temps raisonnable sur des ordinateurs classiques. L'expérience portait sur l'évolution des modèles Ising, utilisés dans plusieurs champs de la physique et étendu à l'exploration de phénomènes tels que les cristaux temporels ou les cicatrices quantiques.
Ces affirmations ont toutefois vite été mises en question, note D-Wave.
Les siennes le sont toutefois aussi. Par plusieurs groupes de chercheurs en l'occurrence. L'un d'entre eux explique qu'un PC portable peut faire aussi bien, sur la base de l'algorithme de propagation des convictions, vieux de 40 ans. Des conclusions néanmoins encore à l'état de prépublication, et qui ne valent pas pour l'ensemble des expériences de D-Wave. Notamment celles impliquant une infinité de dimensions.
Sycamore, ou comment Google lança les hostilités en 2019
Le débat sur la suprématie quantique avait gagné en intensité à l'automne 2019, après la publication d'un article de Google. Il y était question de Sycamore, un processeur à 53 qubits ayant effectué en environ 200 secondes une tâche que les meilleurs supercalculateurs d'alors auraient mis 10 ans à réaliser : un million d'étapes d'échantillonnage d'un circuit quantique pseudo-aléatoire. Le principe, dans les grandes lignes : mettre tous les qubits à 0 ; leur appliquer, seuls et par paires, des opérations logiques (portes) sur 20 cycles ; puis simuler les effets d'interférence liés à ces portes (probabilité d'apparition des outputs).
Le groupe américain vantait des débouchés dans la génération de nombres aléatoires certifiables, l'optimisation, le machine learning ou la chimie. Non sans reconnaître qu'il faudrait d'abord améliorer la tolérance aux erreurs. La fidélité des échantillon était effectivement de l'ordre de 0,2 % - juste assez pour que des patterns apparaissent.
IBM avait rapidement réagi. D'après lui, la même tâche pouvait être réalisée sur un système classique en quelques jours avec au moins autant de fidélité. L'estimation de 10 000 ans, clamait-il, était basée sur l'idée que la RAM requise pour stocker l'intégralité du vecteur d'état dans une simulation de type Schrödinger serait prohibitive, et qu'il faudrait donc recourir à une simulation de Schrödinger-Feynman sacrifiant l'espace au profit du temps. Or, y ajouter ne serait-ce que du stockage disque changeait les choses. Sans compter des techniques comme le partitionnement de circuit, l'agrégation de portes, le traitement par lots ou le double buffering.
Par la suite, plusieurs expériences avaient exploité les réseaux de tenseurs pour démontrer que l'informatique classique excluait encore toute suprématie quantique. Puis en 2022, Google avait remis une pièce dans la machine, en poussant une version améliorée de Sycamore, à 72 qubits, dite capable de réaliser en quelques minutes ce qu'un supercalculateur prendrait 47 ans à effectuer.
En Chine, la suprématie quantique sous l'angle photonique
Auparavant, un front s'était ouvert en Chine, sur un autre domaine : l'échantillonnage gaussien de bosons. Fin 2020, on apprenait l'existence de Jiuzhang, un ordinateur quantique dit capable de réaliser en quelques minutes ce que le troisième supercalculateur le plus puissant au monde mettrait... 2 milliards d'années à effectuer.
L'expérience a consisté à injecter des états de lumière dans un réseau de miroirs semi-réfléchissants, puis à compter combien de photons parvenaient jusqu'à un détecteur. La fréquence d'échantillonnage était de l'ordre de 1014 fois supérieure avec Jiuzhang qu'avec des superordinateurs classiques à l'état de l'art (la dimension de l'état intriqué croissant de manière exponentielle en fonction du nombre de photons). Les chercheurs évoquaient des débouchés potentiels dans la chimie quantique et les problèmes basés sur des graphes.
Mi-2021, une équipe du même laboratoire (Hefei, à l'université de sciences et technologie de Chine) avait suivi la voie ouverte par Google en donnant dans l'échantillonnage de circuits quantiques, avec Zuchongzhi, un processeur à 66 qubits physiques. Les chercheurs parlaient aussi bien de suprématie quantique que d'avantage quantique, mettant les deux termes sur le même plan. Ils avançaient des usages potentiels dans la simulation hydrodynamique et la correction d'erreur. Non sans reconnaître qu'avec les réseaux de tenseurs, la simulation classique aurait probablement encore de beaux jours devant elle.
Quelques semaines plus tard, Jiuzhang 2.0 était présenté. En améliorant le contrôle de la luminosité et en utilisant un ensemble limité de paramètres de circuits, l'expérience passait à une échelle supérieure (de 76 à 113 photos). En étant, prétendaient les chercheurs, 10^24 fois plus rapide qu'une simulation par force brute sur un supercalculateur classique.
Début 2022, ce fut au tour de Zuchongzhi de passer à l'échelle, avec une capacité à utiliser davantage de qubits sur davantage de cycles.
L'informatique classique résiste encore
Mi-2022, une autre revendication de suprématie quantique dans l'échantillonnage de bosons provint d'Amérique du Nord, sous l'impulsion du NIST (USA) et de Xanadu (Canada). Le système présenté - Borealis - était capable de gérer jusqu'à 219 photons, avec un rapport revendiqué de quelques millisecondes de traitement vs 9000 ans sur les meilleurs supercalculateurs. Il se distinguait entre autres par la programmabilité dynamique de ses portes et son architecture à multiplexage temporel.
À l'été 2022, une expérience venue de l'Académie des sciences chinoise vint un peu plus remettre en question la supériorité quantique de Sycamore. Les chercheurs impliqués avaient refondu l'ensemble du problème sur le paradigme du réseau de tenseurs. Avec une couche pour chaque cycle, chacun comprenant 53 quantum dots (un par qubit). La simulation se réduisait alors à une multiplication de tenseurs, permettant d'exploiter des GPU pour paralléliser les calculs. Le problème pouvait ainsi être résolu en 15 heures sur 512 GPU, moyennant une fidélité du mêmeordre (0,37 %).
En 2023, Google était revenu à la charge avec un Sycamore amélioré (67 qubits, 32 cycles, 241 millions de fois plus puissant que la version 2019). Sans toutefois avancer sur la correction d'erreur ou les applications concrètes.
L'an dernier, Quantinuum revendiqua à son tour la suprématie quantique avec ses ordinateurs quantiques à ions piégés. Plus précisément avec un upgrade de son processeur H2 lui permettant de fonctionner à 56 qubits sans perte de fidélité. Son approche de connectivité arbitraire autorisait une exécution flexible semblant très difficile à simuler de façon classique, affirmait l'entreprise américaine.
Récemment, Google a présenté sa puce Willow... en l'accompagnant là aussi de revendications de suprématie quantique. À échelle de 72 qubits avec correction d'erreur en temps réel ou 105 qubits sans. Promesse : avec les quantités de RAM actuellement disponibles, pouvoir effectuer en quelques minutes ce qui prendrait 1025 ans avec un superordinateur classique - ou 300 millions d'années en supposant une quantité infinie de RAM (expérience sur 1 qubit logique).
À consulter en complément :
Avec son processeur quantique Ocelot, Amazon mise sur les qubits de chat
Majorana 1 : une puce, une vision de l'informatique quantique
Cryptographie post-quantique : ce qui freine la mise en pratique
L'ANSSI révise sa position sur la cryptographie post-quantique
Illustration © Siarhei - Adobe Stock
Sur le même thème
Voir tous les articles Business