5 questions pour mieux comprendre l'accord entre IBM et Lenovo
IBM se déleste de ses serveurs x86, vendus à Lenovo pour 2,3 Md$. Au-delà du choc créé par cette annonce ô combien symbolique, ce deal risque bien de remodeler le marché. Si Lenovo peut mettre en avant l'intégration réussie de l'activité PC que lui avait déjà vendue IBM, les défis à relever sont cette fois-ci d'un autre ordre.
1) Que rachète précisément Lenovo ?
La corbeille de la mariée comprend précisément les System X, les serveurs lames et leurs châssis (BladeCenter), les systèmes intégrés Flex à base de x86, les serveurs denses NeXtScale et iDataPlex et leurs logiciels ainsi que les switch Ethernet hérités du rachat de Blade Network en 2010 (plus de détails sur les gammes cédées dans ce tableau trouvé sur le site d'IBM). Au total, 7 500 employés d'IBM vont rejoindre Lenovo, dont les équipes chargées de la maintenance. S'il refuse de préciser quel sera l'impact humain en Europe et en France, Nicolas Sekkaki, vice-président de la division Systems & Technology pour l'Europe, souligne que, sur le Vieux Continent et dans l'Hexagone, les transferts concerneront avant tout des salariés des ventes, du support technique et de la maintenance.
Un transfert d'ailleurs essentiel dans la transaction, IBM et Lenovo misant sur une transition en douceur, via une continuité dans les équipes. « Ce n'est pas la première fois que nous faisons ce type d'opérations, puisque nous avions déjà transféré l'activité PC à Lenovo en 2005, rappelle le dirigeant. Adalio Sanchez, le directeur général de la famille System X, rejoindra d'ailleurs Lenovo. Ce qui symbolise bien notre volonté d'assurer une totale continuité dans le suivi des clients. » IBM avait déjà opéré de la sorte en 2005 lors de la vente de son activité PC.
2) Comment les deux entreprises vont-elles travailler ensemble ?
Si le périmètre de l'activité cédée est clair, des zones de friction potentielles existent. D'abord en R&D. Certaines technologies logicielles essentielles à des gammes faisant partie de la vente restent en effet chez Big Blue. C'est notamment le cas de la gestion des disques distribués ou de celle des systèmes hautes performances (Platform Computing). L'accord garantit toutefois à Lenovo un accès à ces technologies.
IBM deviendra également intégrateur de technologies x86 de Lenovo pour ses gammes PureData et PureAppliance. A l'inverse, Lenovo a signé un accord d'intégration et de revente des offres de stockage disque et bande d'IBM. Bref, cet accord est sensiblement plus complexe, du fait de l'imbrication des technologies, que la vente des PC en 2005. « C'est un partenariat à long terme », assure Nicolas Sekkaki. Mais qui devra se préciser sur certains points. Par exemple, Lenovo dispose déjà d'un accord d'intégration et de revente avec un autre acteur du stockage, EMC. Que deviendra ce partenariat ? Comment les deux partenaires vont-ils aborder les grands contrats, dans lequel ils ont vocation à être complémentaires ? « Nous avons signé un contrat de partenariat, pas d'exclusivité », note le vice-président de la division Systems & Technology. Les partenaires d'IBM vont-ils glisser sans heurts vers Lenovo pour la partie x86 ? « Lenovo a montré qu'il sait gérer un écosystème de partenaires, assure Nicolas Sekkaki. Et ceux qui vont diriger l'activité x86 sont des anciens d'IBM, ce qui assure une certaine continuité auprès des partenaires même si les contrats seront modifiés. »
3) Est-ce un bon prix ?
Lors des précédentes négociations sur la vente de cette activité - au printemps 2013 -, les discussions tournaient autour d'une transaction située entre 4 et 5 milliards de dollars, selon une source. Moins d'un an après, Lenovo ne débourse 'que' 2,3 Md$ (dont 2,07 Md$ en cash). Entretemps, les analystes estiment que le chiffre d'affaires du x86 chez IBM est passé de 4,9 Md$ (en 2012) à environ 4 Md$ (en 2013). Sur l'année écoulée, les analystes estiment que cette division a généré plus de 500 millions de dollars de perte.
« Nous conservons des points forts sur le marché du x86 : les machines multiprocesseurs haut de gamme, les blades. Bien sûr, sur d'autres segments, nous sommes moins performants », reconnaît Nicolas Sekkaki. En fonction des trimestres et des zones géographiques, ce dernier parle d'une décroissance à un ou deux chiffres au cours de l'année écoulée.
4) Quels défis devra relever Lenovo ?
D'abord, l'accord peut être lu comme une volonté de Lenovo de gagner en visibilité sur son marché domestique. Au cours des quatre prochaines années, les livraisons de serveurs x86 d'entrée de gamme doivent croître de 5 à 8 % par an en Chine, contre une progression de 2 à 5 % au niveau mondial, selon les chiffres de Gartner. Avec le renfort d'IBM, Lenovo double sa part de marché sur le premier marché d'Asie (à 23 %). De quoi s'opposer à la montée en puissance de l'autre constructeur chinois, Huawei.
A l'international, Lenovo, qui reste un acteur mineur du marché des serveurs (avec une part de marché estimée à 2 %), devra faire la preuve de sa capacité à intégrer les contraintes de production informatique des grands comptes et fournisseurs de service. Les futurs développements des plates-formes - Lenovo a la chance de pouvoir se reposer sur une architecture x6 tout juste dévoilée - seront également observés à la loupe et conditionneront la crédibilité du Chinois auprès des DSI.
Le contexte international n'est pas non plus très favorable au développement international d'un acteur chinois au sein des datacenters , des actifs stratégiques en entreprises du fait de la valeur des données qu'ils hébergent. « Lenovo est déjà un fournisseur officiel de la plupart des grandes entreprises », tempère Nicolas Sekkaki.
5) Quel sera l'impact en France ?
Les analystes attribuent à IBM environ 7 % du marché x86 hexagonal, dont une part significative avec le seul ministère de la Défense. Big Blue est aujourd'hui nettement décroché, par rapport au duo de tête composé de HP et Dell. « Ce rachat est à la fois une opportunité et un risque », souligne Emmanuel Mouquet, vice-président et directeur général de Dell France. Dans un premier temps, les remous que créeront l'intégration et la mise en ouvre des partenariats évoqués dans l'accord risquent en effet d'ouvrir quelques portes aux concurrents de Big Blue. « Très peu de grands appels d'offre se limite aujourd'hui à la partie matérielle », glisse le DG de Dell. Une façon de souligner les lacunes du porte-feuille de Lenovo en la matière. Mais Dell n'ignore pas les arguments de Lenovo sur les marchés de volume, des arguments susceptibles de faire bouger les lignes en termes de prix (donc de marges). « C'est une entreprise qui a toujours su innover sur des marchés de volume », lance Nicolas Sekkaki, en forme d'avertissement.
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