Cloud hybride : comment arbitrer entre Cloud public et Cloud privé ?
Publié par Pierre Mangin le | Mis à jour le
Le Cloud public continue de séduire les entreprises en France. Mais avec le maintien de nombreuses solutions « on premise », le Cloud privé conserve ses adeptes. Quels choix se présentent ? Comment les arbitrer ?
La migration vers le Cloud computing s’intensifie en France. Pour de nombreuses DSI, il est de plus en plus question d’une démarche « Cloud first », c’est à dire que toute nouvelle application ou nouveau projet logiciel est conçu sur le Cloud, qu’il soit privé ou public.
Vers l’hybridation Cloud
La tendance est aux architectures hybrides, c’est à dire que certaines s données sont hébergées sur un Cloud privé (en interne) et d’autres sur un ou plusieurs Clouds publics comme Amazon AWS, Google ou Microsoft Azure.
Aujourd’hui, les déploiements de nouvelles applications de type RH, CRM ou ERM (Enterprise Resosurce Management) passent, essentiellement, par des solutions SaaS sur un Cloud public (cf. Salesforce, Office 365, ou G Suite).
En France, la croissance du Cloud, privé et public confondus, va rester très élevée : +27%, alors que le marché de l’ensemble des logiciels et services IT ne progresse que de 3%, selon le cabinet Markess. En 2017, le marché français était estimé à 8,5 milliards d’euros. « La part des applications SaaS, sur des Clouds publics, avec 54%, reste prédominante sur le marché des solutions Cloud en France », observe Emmanuelle Olivié-Paul, directrice associée de Markess. « Mais les solutions IaaS et PaaS évoluent à un rythme plus soutenu. En 2019, ces dernières auront rattrapé la part du SaaS ».
Le segment des infrastructures IaaS est tiré par les besoins en ressources à la demande, par la dynamique du marché du SaaS et par de nouveaux projets digitaux gourmands en ressources: Big data, calcul haute performance, intelligence artificielle et programmatique.
Dans ce domaine, la part « des clouds publics », va se renforcer : de 36% en 2017, elle devrait atteindre 41% du marché des solutions IaaS en 2019, soit une croissance de +31%. Selon Markess, « le segment du PaaS et iPaaS est tiré par l’avènement des environnements Cloud hybrides et multi-clouds, ainsi que par l’IoT et les écosystèmes connectés ».
Frein juridique
L’enquête Markess révèle également que le principal frein au Cloud reste le cadre juridique. La protection des données, la sécurité, les engagements contractuels posent problème pour 72% des interviewés, plus que la pénurie des compétences (pour 45%) et plus que la migration des systèmes existants (pour 45%).
Pour 56% des répondants, le nouveau règlement RGPD ( lire notre dossier) sur les données personnelles, applicable au 25 mai 2018, a « certainement une incidence » sur les prestataires Cloud, et pour 20% « peut-être ».
Cloud public vs Cloud privé : avis partagés sur le ROI
L’avantage financier se confirme avec la rapidité de la mise en œuvre. Sur le terrain, l’intérêt du cloud public se vérifie lorsqu’il s’agit de déployer la même application simultanément, surtout avec des accès mobiles universels via Internet dans plusieurs pays ou plusieurs sites.
De même, pour le stockage de très gros volumes de données, accessibles via le web (cf. les podcasts de Radio France), la solution Cloud public présente de réels avantages.
En revanche, de nombreuses entreprises, avec fortes capacités pour des investissements en immobilisation (capex), continuent de privilégier l’approche Cloud privé.
Beaucoup soutiennent, chiffre à l’appui, que leur Cloud privé ne revient pas plus cher, voire moins cher que des prestations de Cloud public dont les montants peuvent fortement fluctuer à la hausse, dès qu’elles y rajoutent de la qualité de service (SLA avec temps de réponse). Sans parler, tout simplement, des risques de hausses tarifaires qui peuvent survenir sans avertissement.
De solides arguments pour le Cloud privé
En conséquence, la plupart des entreprises choisissent de s’orienter vers des architectures hybrides mêlant Cloud privé et Cloud public.
Pour certaines activités, le Cloud privé ne manque pas d’arguments. Outre le secteur de la santé, soumis à des contraintes réglementaires spécifiques pour l’hébergement externe des données, beaucoup d’entreprises ne sont pas prêtes à confier leurs données à l’extérieur. Elles invoquent des raisons de sécurité, de propriété intellectuelle, de brevets stratégiques.
Autres arguments évoqués contre le Cloud public, la haute disponibilité des applications et leurs temps de réponse. L’indisponibilité est rare sur le Cloud public dédié aux entreprises, il faut le reconnaître. Mais les temps de réponse peuvent être très inégaux. Or, les outils de monitoring, à moins d’y mettre le prix, sont souvent minimalistes par rapport à ceux dont disposent les administrateurs d’applications supportées en interne.
Les tableaux de bord fournis par les « cloud providers » permettent, avant tout, de reconstituer le détail de la facturation, laquelle peut être très assez complexe à décrypter. Y vérifier la qualité de service ou le suivi des SLA n’est pas gratuit et pas toujours fourni dans des formats compatibles avec les outils internes de l’entreprise.
En outre, les déceptions en matière de performances du Cloud public sont souvent liées au réseau. Alors quitte à investir lourdement dans le réseau, autant le faire aussi en interne.
Avantage pour les architectures hybrides
Dans ce contexte, les architectures hybrides s’affirment. Beaucoup d’analyses prévoient que 2018 est l’année de l’adoption du Cloud hybride. Il est vrai que les offres deviennent plus lisibles. Ainsi, Microsoft, après des propositions marketing autour d’Office 365 et Azure, propose désormais Azure Stack, une plate-forme IaaS de Cloud privé permettant de répliquer son offre Cloud public Azure.
De même, AWS (Amazon Web Services) s’est associé à VMware sur son offre Cloud hybride AWS. Google fait de même avec sa Cloud Platform, supportant VMware et les serveurs
«hyperconvergents » de Nutanix. IBM et Oracle disposent également d’offres de cloud hybride internes.
«L’hybridation c’est une étape intermédiaire pour basculer une partie dans le cloud. Car on fait rarement un big bang : c’est un moyen de faire de façon bien ordonnancé dans le temps, avec une montée en puissance progressive » explique Sébastien Moriceau DSI de Linkbynet.
Ainsi, on devient « multi cloud » soit par nécessité (avec les interfaces programmatiques API indispensables), soit pour des raisons de proximité géographique (par exemple, une présence en Asie, à travers un opérateur local).
OpenStack et conteneurisation type Docker
La pile logicielle « OpenStack » (en Open source) est souvent la référence pour les projets d’hybridation. En parallèle l’approche de conteneurisation du type Docker gagne également du terrain.
Réticentes aux solutions « propriétaires » qui tendent à « verrouiller », beaucoup d’entreprises choisissent les conteneurs logiciels et les micro-services au nom d’une réelle indépendance, acquise grâce aux systèmes ouverts. Cette orientation vers la « conteneurisation » participe d’un compromis : elle est souvent choisie alors même qu’on sait qu’elle peut restreindre les mises à jour technologiques récurrentes et automatiques, inhérentes au Cloud public.
La DSI convertie en « Cloud broker » ?
De même, beaucoup de solutions facilitent aujourd’hui la migration vers le Cloud, par exemple « Cloud Fast Path », « Moover » ou encore « Cloud AvePoint ». L’éditeur Veeam dispose également d’outils de réplication – migration.
Chez Lagardère Group, Cyril Bartolo, « Corporate Head of Applications » considère que l’objectif du multi-cloud, reste de pouvoir se libérer de l’emprise de certains fournisseurs. « Et même dans le Cloud public, on voit que les prix de certains peuvent grimper de 30% du jour au lendemain. D’où l’importance critique des clauses de réversibilité dans les contrats Cloud », souligne-t-il.
Jean-Marie Simonin, responsable de l’activité Numérique chez Radio-France, estime qu’il faut se mettre en situation de « pouvoir basculer tout ou partie chez l’un ou chez l’autre acteur du Cloud public, en constituant le plus de lots possibles, en gros volumes, afin d’avoir des arguments pour négocier ». En migrant de l’un à l’autre, la récupération des données a pu être testée, validée : « Cela a pris quelques heures, mais pas une journée, donc pas plus que pour un ‘job’ de réplication de bases ou une sauvegarde en ‘batch’ ».
De là à s’organiser pour que la DSI pratique le « cloud brokering », il n’y a qu’un pas que ces grands comptes sont en train de franchir: « Le choix est large aujourd’hui entre AWS, Azure, Google, IBM et même peut-être, pourquoi pas demain, un Chinois comme Alibaba », constate Cyril Bartolo.