Interview Alain Voiment: "Société Générale veut être un grand contributeur open source"
Open source first ! Le mot d'ordre est lancé. Société Générale se convertit massivement aux logiciels libres.
Non seulement, elle compte massivement migrer ses applications, son middleware et son infrastructure sur des solutions du libre mais aussi de faire de ses informaticiens des contributeurs actifs.
La tête de l'exécutif du groupe bancaire donne l'exemple. Son directeur général Frédéric Oudéa s'est initié à Python. Tandis que son bras droit Séverin Cabannes vantait les mérites de l'open source à un panel d'investisseurs lors de la présentation du plan de transformation organisée fin novembre.
Présent à la conférence d'ouverture du Paris Open Source Summit (6 décembre), Alain Voiment, directeur technique adjoint (deputy CTO) du groupe, a développé le plan en trois volets qui permettra à la banque de passer du côté du monde libre.
Silicon.fr : Comment généraliser l'usage de l'open source dans un groupe comme Société Générale ?
Alain Voiment : Edicter le principe de l'open source first est relativement facile. Il « suffit » de généraliser nativement le recours du libre dans les nouveaux projets. La tâche est plus complexe concernant notre existant. Il s'agit de convertir progressivement les applicatifs traditionnels par leurs alternatives en open source.
La tâche sera longue et notre feuille de route s'étale jusqu'à 2020. Je vois actuellement avec les DSI quelles sont les actions à prioriser et évaluer notamment l'importance du travail de recodage pour assurer la transition.
Le recours à l'open source est plus évident sur les couches applicatives et les frameworks de développement. Il sera toutefois étendu au middleware et aux bases de données. Nous travaillons actuellement à la migration d'Oracle à PostgreSQL.
Cela suppose d'estimer la charge de travail qui consiste de passer d'une SGBDR propriétaire à une solution open source. Nous avons développé un outil de conversion de code qui a été placé en open source [sur GitHub].
Les attentes les plus fortes portent néanmoins sur l'infrastructure. Nous allons évoluer vers un concept d'une Infrastructure-as-a-service (IaaS) où les applications, via des API, viennent consommer les ressources dont elles ont besoin.
Il n'est pas possible d'aller massivement dans le cloud sans open source. Or, d'ici 2020, Société Générale a la volonté de porter 80 % de ses applications dans le cloud, privé essentiellement mais pas uniquement.
S'ouvrir au cloud public permet de comprendre ce que font les meilleurs dans le domaine, c'est un bon accélérateur.
Enfin, on parle beaucoup d'open banking, le recours à l'open source est un gage d'interopérabilité entre les plateformes et de collaboration avec les FinTechs.
Vous l'avez bien compris, le passage à l'open source se fait moins pour des raisons de coûts que pour nous permettre d'être plus ouverts et innovants, pour introduire aussi de nouvelles façons de travailler.
Silicon.fr : La Société Générale souhaite que ses collaborateurs contribuent au sein des communautés, comment les y inciter ?
Alain Voiment : Nous partons du principe que, pour tirer tout le potentiel des technologies open source, nous devons être actifs sur les communautés. Comment bien connaître le code si on n'y contribue pas ? Comment garantir pleinement sa qualité ? Nous ne pouvons rester seulement utilisateurs.
La première étape consiste à poser le cadre légal. Comment participer aux communautés en conformité avec la réglementation dans le secteur bancaire ?
Ensuite, nous allons libérer du temps à nos collaborateurs pour qu'ils contribuent. Cela fera partie de leurs missions de la même manière que la prise en main d'une solution propriétaire nécessite une phase d'apprentissage. Certains de nos informaticiens pourront même être des contributeurs à plein temps pour les sujets les plus critiques.
Membre de l'Open CIO, la Société Générale a pour objectif de figurer parmi les premiers contributeurs open source en France, aux côtés notamment des grandes administrations.
Silicon.fr : Le monde du libre souffre d'une pénurie de compétences. Comment une banque peut-elle attirer ces profils particulièrement courtisés ?
Alain Voiment : La Société Générale est une banque mais pas seulement. Le groupe évolue sur d'autres métiers comme l'assurance ou, avec notre filiale ALD, la gestion de flotte automobile. J'ai surtout l'impression de travailler dans une entreprise de tech.
Au sein du hub « emerging technologies » que je sponsorise, nous faisons venir des grands acteurs de IT, de la recherche publique (Inria) ou universitaire pour parler intelligence artificielle, 5G ou IoT. Les objets connectés ont toute leur place dans la location automobile et l'assurance.
En ce qui concerne le logiciel libre, nous souhaitons que les plus de 23 000 informaticiens du groupe aient des compétences en open source et quelles se substituent peu à peu aux compétences traditionnelles. Cela passera par un plan massif de formation (upskilling).
L'accompagnement au changement sera aussi important pour sensibiliser les informaticiens qui ne sont pas « tombés » dans l'open source quand ils étaient étudiants. Nous nous donnons trois ans pour accomplir cette trajectoire. L'exemple vient du haut.
La diffusion des pratiques passe aussi par le recrutement de bons profils. L'appétence à l'open source sera un critère déterminant de sélection. Les recrues iront ensuite évangéliser leurs collègues. Cela créera un cercle vertueux.
Nous recherchons tout particulièrement des experts en Python puisque c'est le langage retenu pour notre passage à l'infrastructure as a service que j'évoquais. Une expertise assez rare sur le marché français. Plus largement, toutes les nouvelles technologies intègrent de l'open source. Les solutions du libre deviennent même un standard de fait dans le big data.
(Interview réalisée par Xavier Biseul)
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