OpenIO, Outpace.io et Rozo: le stockage made in France s'exporte aux US
De Lille, Nantes ou Montreuil, les ingénieurs français installent des bureaux aux États-Unis avec la ferme intention de bousculer le marché du stockage et de lever des fonds. OpenIO, Outpace.io et Rozo Systems disposent sans aucun doute des atouts nécessaires.
Parmi toutes les startups de la Silicon Valley, on trouve souvent des ingénieurs français. Toutefois, quelques pépites née sur l'Hexagone s'installent aussi aux Etats-Unis, souvent pour lever des fonds afin de se développer, et de survivre face à leurs concurrents américains. Trois exemples sur le marché du stockage, thématique principale de ce nouvel IT Press consacré à l'infrastructure.
Le lillois OpenIO à la conquête de San Francisco et Tokyo
OpenIO : Georges Lotigier (président, cofondateur), Laurent Denel (CEO, cofondateur), Adrien Gendre (responsable produit USA), Marie Ponseel (COO, cofondatrice)
Comment un spécialiste français du stockage objet peut-il se développer et passer à l'échelle supérieure ? En s'installant au coeur du berceau mondial des start-ups : la Silicon Valley.
C'est le choix que fait OpenIO (dont nous vous parlions récemment). Laurent Denel, son cofondateur et CEO, affirme que l'objectif consiste aussi à lever des fonds pour accélérer l'expansion internationale et la R&D dès le premier semestre 2016. «Toutefois, la société a déjà des clients et le groupe lui donne la possibilité d'attendre un peu,» tempère-t-il. En effet, OpenIO fait partie d'OktoGroup aux côtés de Vade-Retro (solution de sécurisation des emails présente dans 76 pays), et du fournisseur de services cloud Scalair (déjà bien implanté). OpenIO ouvre actuellement un bureau à Tokyo.
Afin de répondre aux attentes de ses clients Orange et SFR en 2006, Atos Worldline crée une équipe spécialisée qui conçoit une technologie de stockage objet distribuée. Développée en 2007, la solution est en production chez des clients dès 2008, gérant depuis plus de 10 pétaoctets pour plus de 10 milliards d'objets, avec une bande passante jusqu'à 20 Gbps lors des pics. Et avec des SLA en 24/7. A la demande d'Orange, la technologie devient Open Source en 2012. Atos Worldline se sépare de cette activité en 2015. elle est alors reprise par 6 anciens de l'équipe, soutenus par Georges Lotigier (Vade Retro et Scalair) pour lancer la société OpenIO, dont le siège est installé près de Lille, à Hem (entre Roubaix et Villeneuve d'Ascq). Un fork de la solution Open Source est alors conçu.
Certes, de nombreuses sociétés se développent aujourd'hui dans le stockage objet. Néanmoins, OpenIO affiche des atouts différenciateurs qui méritent attention.
Le logiciel SDS (software defined storage) repose sur un global namespace unique et accepte tout équipement de stockage : serveurs, équipement SAN ou NAS, SSD, disques, bandes, supports Worm (conformité), etc. Autre atout, les métadonnées sont distribuées sur trois serveurs (disponibilité et fiabilité). Les trois tables (triple indirect) permettent d'atteindre tout objet stocké en trois blocs maximum quelle que soit sa taille (1 Mo ou plusieurs Po). L'unique serveur de métadonnées proposé par certains concurrents incarne un point de fragilité important de leur système.
Les métadonnées sont organisées selon la hiérarchie Namespace, Account, Container et Object, et stockées indépendamment des objets eux-mêmes (sur les 3 serveurs mentionnés plus haut) tout en pointant vers eux. Le multitenant est géré à partir des Accounts (comptes), et les Containers gèrent les collections d'objets ainsi que les mesures de sécurité qui s'y appliquent. La grille de noeuds de stockage est définie de sorte que rien ne soit partagé, favorisant une évolutivité par ajout de nouveaux noeuds automatiquement détectés, donc plus performante, car ne nécessitant pas de recalcul d'espace et de répartition.
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Les données et métadonnées sont dupliquées. Et des politiques de stockage peuvent être définies: tiering, fraicheur de l'information, catégories d'équipements, nombre de copies, utilisation du chiffrement de l'erasure coding, etc.
A partir des informations envoyées par chaque noeud, la technologie Conscience d'OpenIO établit des scores de performance pour chaque service (capacité/performance/CPU), connus de chaque noeud. Cela permet de distribuer efficacement les requêtes de façon dynamique (load balancing) et sans intervention humaine. Enfin, la technologie "Grid for Apps" distribue automatiquement les tâches comme l'indexation ou le transcodage (par exemple) à travers la grille de noeud pour une utilisation optimale des ressources.
Indispensable pour le stockage objet, l'ouverture et interopérabilité sont assurées par des API natives (Python, Go, C, Java, en open source) ou non (Amazon S3, Openstack Swift.), et des connecteurs (NFS, Openstack Swift, S3.) et l'intégration avec des systèmes emails (Cyrus 3.0, Zimbra, Mail Object, Dovecot) ou vidéo (HTTP, Adaptive streaming, Event based transcoding).
Des développements se poursuivent sur tous ces aspects afin de conquérir des entreprises, au-delà des opérateurs et acteurs Internet. D'ailleurs, la solution d'administration visuelle est proposée aussi bien sur site qu'en mode cloud.
Parce qu'au-delà de l'Open Source, il faut bien gagner de l'argent, OpenIO présente son business model. Le support Standard commence à 5 centimes de dollars le gigaoctet de données par an (facturé au mois) incluant un pack de connecteurs, tandis que le support Premium est facturé 90 000 dollars par an pour 600 To à 5 Po de données, incluant tous les connecteurs et l'interface Web.
Et si la prochaine génération du stockage se diluait dans Ethernet avec Outpace.io ?
Suite à la disparition de Coraid en 2015 (annoncée par la société en février et effective depuis avril), ses 1700 clients se sont vite retrouvés démunis en termes de suivi et de support. L'intégrateur français Alyseo, qui investissait parallèlement sur la conception d'équipements intégrant le protocole Open Source AoE (ATA over Ethernet, utilisé par Coraid), s'est donc positionné pour assurer le support des clients de Coraid. Les trois dirigeants d'Alyseo (Yacine Kheddache, Sébastien Scuiereb et Francois Billard) ont alors contacté la société américaine TTC Technolgy Group (des anciens de Coraid) qui effectuaient la même démarche de support. Ce rapprochement a donné naissance à Outpace.io, proposant des équipements de stockage AoE, positionné soit en solutions de stockage pur et dur en lien direct avec des serveurs, soit comme back-end de stockage Ethernet unifié. Une start-up qui ne développe pas de logiciel SDS, mais qui cherche à coopérer avec tous ces acteurs.
Ce positionnement semble réussir à Outpace.io, installée à Winder aux États-Unis (Géorgie, même si nous les avons rencontrés à San Francisco) et à Montreuil en France. En effet, la société bénéficiaire revendique déjà 150 clients dans le monde. Et si le chiffre d'affaires est constitué à 80% des contrats de "support AoE Coraid", ses nouvelles baies de stockage en représentent déjà 15%. Et surtout, 5% des revenus sont générés par de nouveaux clients pour ses baies AoE.
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La nouvelle génération de baies Outpace.io intègre le protocole AoE. Conçu dans un souci de simplicité, AoE vise à procurer un accès à très hautes performances à des équipements de stockage via des réseaux Ethernet.
Regroupées comme un ensemble JBOD Ethernet (Just a Bunch Of Disks), les baies peuvent aussi supporter des mécanismes Raid (0,1, 5, 6 ou 10). Elles représentent ainsi un back-end de stockage adressable par de l'Ethernet massivement parallèle 10, 40 et bientôt 100 GbE. En toute simplicité puisque le protocole intervient sur la couche d'adressage physique (Liaison ou L2 du modèle OSI).
Le système de fonctionnement est alors très simple. Le serveur équipé d'un initiateur logiciel AoE Outpace.io voit l'espace de stockage comme un équipement local ISCSI. La transmission bénéficie automatiquement des services Ethernet de multi-pathing, agrégation de liens, provisionning, etc. Bref, une "capacité de stockage -réseau" adressable directement ou via des solutions tierces, de SDS par exemple.
Pour assurer le stockage proprement dit, Outpace.io propose déjà deux baies. Animées par une distribution Linux maison occupant seulement 30 Mo et exécutée en RAM, elles peuvent également être dotées de toute carte Ethernet puisque la carte cible AoE est 100% logicielle. La série A est déclinée en deux modèles (2U jusqu'à 14 disques et 4U pour 36 disques) supportant les modes JBOD ou Raid, les technologies Sata, Sas, SSD et bientôt NMVe, et un débit Ethernet jusqu'à 80 Gbps.
Par ailleurs, suite à un accord OEM avec Oracle, Outpace.io propose son équipement Z Series, une appliance ZFS apportant la haute disponibilité, et des fonctions Entreprise en lien avec Solaris ZFS : déduplication, chiffrement.. Combinée avec les baies A-Series, cette appliance permet de monter des NAS redondants et à hautes performances. Avec une configuration jusqu'à 16 noeuds, pouvant gérer chacun 16 baies de A Series. Se quoi voir venir.
Outpace.io développe actuellement son modèle indirect de ventes et recrute donc des partenaires, tout en négociant des contrats OEM avec d'autres constructeurs. Une belle histoire à suivre.
Le Software Defined Scale Out NAS à la sauce nantaise de Rozo Systems
« En matière de stockage, les entreprises ont le choix entre de la haute performance (scale-up, flash et couts élevés) ou les très grands volumes (scale-out, technologie objet, coûts plus faibles),» explique Pierre Evenou, CEO de Rozo Systems. «Pourtant de nombreuses solutions verticales nécessitent à la fois des performances et de grands volumes de données. D'où la nécessité de proposer un "Software Defined Scale Out NAS" procurant la haute disponibilité et des performances élevées en temps réel pour la moitié du coût.»
Silicon.fr avait évoqué en février 2015 la toute jeune société nantaise Fizians, spécialisée dans le stockage NAS distribué, et sa technique de code d'effacement (erasure code) très performante RozoFS, basée sur la transformée Mojette. Fizians s'appelle désormais Rozo Systems. Les 700 000 euros levés en février ont donc permis l'expansion de la société qui s'installe à San Francisco, et compte bien lever rapidement entre 5 et 10 millions de dollars. La solution est simple à utiliser, car RozoFS fournit un système de fichier POSIX, rendant la technologie aussi accessible qu'un NAS ' »standard », et supporte de multiples protocoles dont NFS, SMB, HTTP, FTP, REST/S3 ou encore iSCSI.
Après plusieurs déploiements auprès de 10 clients, les dirigeants de la startup annoncent des performances 3 fois supérieures à celles d'Intel (et son erasure code Isa-L), et 10 fois plus élevées que celles de solutions de stockage objet comme Scality.
Face à Isilon ou Netapp qui dominent encore ce marché, Rozo Systems avance ses pions. « Nos clients sont souvent des utilisateurs déçus de ces deux fournisseurs. En effet, Isilon voit ses performances se dégrader avec un trop grand nombre de petits fichiers, tandis que Netapp souffre d'une évolutivité limitée,» rapporte Michel Courtoy, COO chez Rozo Systems.
Rozo sort tout juste la version 2.0 de sa solution avec un erasure code sur 128 bits, la possibilité de déterminer des quotas par utilisateur ou groupe d'utilisateurs, un meilleur contrôle d'intégrité des données et une fonction de géoréplication. Et la feuille de route est prometteuse avec l'indexation rapide de fichiers ou la gestion du versioning et le recyclage de fichiers au moment de la suppression en juin 2016 (V 2.1), des snapshot par répertoire et la qualité de service du stockage pour décembre 2016 (V3.2), et le chiffrement rapide et le caching SSD pour mi 2017 (V 3.3).
Au-delà des entreprises traditionnelles, Rozo espère bien proposer ses solutions pour répondre aux besoins de Cloud DVR (digital video recorder) ou de la post-production vidéo, par exemple.
Une version communautaire de RozoFS est téléchargeable sur GitHub (licence GNU GPL V2) avec un erasure code non optimisé. Pour accéder au code optimisé avec support, une version Premium est proposée sous forme de licence logicielle traditionnelle.
Crédit Photo : Andrey VP-Shutterstock
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