Tous les contrats du Cloud sont-ils caducs ?
Entrée en vigueur il y a deux mois, une refonte du droit des contrats en France prévoit que toute clause déséquilibrant la relation entre prestataire et client est réputée non écrite. Les prestataires du Cloud sont concernés au premier chef.
C'est une réforme un peu passée inaperçue, mais qui pourrait bien bouleverser les contrats des prestataires de Cloud. Une ordonnance (n°2016-131) datant de février dernier se traduit en effet par la modification de 350 articles du code civil, selon le décompte de l'avocate Marina Blum, qui revenait ce 7 décembre sur ce sujet dans le cadre d'une matinée organisée par Tech in France. « L'objectif de cette réforme, entrée en vigueur avec les contrats signés après le 1er octobre 2016, est de moderniser le vieux code civil et le droit des contrats, afin de sécuriser les parties sur toute la durée de vie des contrats », résume l'avocate.
Sauf que les prestataires de Cloud ne l'entendront probablement pas de cette oreille, en raison d'un article en particulier (le 1171). Ce dernier introduit dans le droit des contrats B2B une notion déjà présente dans le code de la consommation et aussi dans le code du commerce : celui du déséquilibre significatif. L'article 1171 stipule en effet que toute clause créant un déséquilibre significatif dans un contrat d'adhésion « est réputée non écrite ». L'appréciation du caractère équilibré du contrat est laissée au juge (les clauses portant sur l'objet principal du contrat et sur l'adéquation du prix à la nature de la prestation en sont toutefois exclues).
Hérité du code de la consommation
Notons que l'introduction de la notion de déséquilibre significatif se limite à ce que le droit français (art. 1110) qualifie de contrats d'adhésion. Autrement dit, un contrat dont les conditions sont déterminées par avance par l'une des parties, sans négociations en amont entre les parties. « Or, dans le Cloud public, on est très souvent face à des contrats d'adhésion. La réforme répond à un phénomène croissant : 'on clique sans lire', et fait la part belle au juge », note l'avocat Olivier Iteanu, qui souligne la filiation claire entre le code de la consommation et le nouvel article 1171 du code civil. Bref, une notion qu'on croyait jusqu'alors réservée aux contrats B2C fait son apparition dans le B2B. Une extension assez logique du fait, précisément, de la multiplication des services logiciels auxquels les entreprises souscrivent simplement en acceptant des clauses définies par leurs éditeurs et eux-seuls (les fameuses CGU, pour conditions générales d'utilisation).
En l'état, l'arrivée de ce déséquilibre significatif dans les contrats B2B devrait faire entrer les entreprises, et particulièrement les fournisseurs, dans une période d'incertitude juridique. « On peut légitimement penser que les plaideurs ne vont pas se gêner pour évoquer un déséquilibre significatif dans leurs contrats afin d'écarter une clause en cas de litige », explique Olivier Iteanu. D'autant que le déséquilibre significatif serait « imprescriptible en théorie » et peut être invoqué devant n'importe quelle juridiction.
Des contrats léonins qui ne changent pas
Un nouvel état de fait dont les éditeurs de services Saas devraient tenter de s'exonérer. Par exemple « via des clauses particulières permettant d'éviter la qualification de contrat d'adhésion », estime Olivier Iteanu. Qui reste toutefois circonspect quant à l'efficacité de la manoeuvre : « je doute qu'une clause affirmant que les parties ont négocié soit suffisante devant un juge, qui cherchera à apprécier la réalité de ladite négociation ». De même, le caractère supplétif de l'article 1171 - autrement dit la possibilité d'y déroger en le précisant dans le contrat - serait illusoire pour l'avocat. « Car si on laisse un juge entrer dans le contrat, le caractère supplétif devient très théorique », dit-il. D'autant que le juge peut très bien estimer que la clause excluant l'article 1171 peut elle-même témoigner d'un déséquilibre significatif dans le contrat.
Si la réforme est entrée en vigueur voici plus de deux mois, sur le terrain, rien n'a changé. « Nous n'avons pas vu passer un seul contrat tenant compte des nouvelles dispositions pour l'instant », explique Marina Blum. Olivier Iteanu exhibe, lui, les contrats d'AWS ou de Dropbox, qui comportent tous deux des clauses d'exonération de responsabilité si étendue qu'elles auraient de bonnes chances de susciter une réaction de la justice. Sauf que tant le leader du Iaas que le spécialiste du stockage dans le Cloud précisent, dans leurs contrats, que les recours doivent être déposés devant une juridiction américaine (Washington et San Francisco respectivement). Certes, à plusieurs reprises, dont tout récemment, la clause des CGU de Facebook renvoyant tout litige à un tribunal californien a été jugé abusive par la justice française. Mais, pour l'heure, le réseau social de Mark Zuckerberg n'a pas modifié son contrat, qui renvoie toujours aux tribunaux californiens en cas de litige.
Vers un « équilibre by design »
Si, à l'image d'un Facebook, les grands acteurs du Cloud vont probablement jouer la montre face aux nouvelles contraintes imposées par la réforme du code civil, celle-ci pourrait toutefois les entraîner dans une guérilla judiciaire. Pour Olivier Iteanu, l'article 1171 s'apparente à une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des prestataires. Pour l'avocat, comme on parle aujourd'hui de « privacy by design », on parlera demain d'un « équilibre by design ». « A chaque fois qu'une clause apporte un avantage à l'une des parties, les rédacteurs des contrats devront réfléchir à une clause symétrique ou à une contrepartie rééquilibrant le contrat », ajoute-t-il. Une perspective certes encore lointaine, mais réjouissante pour les DSI des entreprises confrontées aux contrats tout faits des prestataires de Cloud.
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