Formation et recherche en IA : ce qui gêne la Cour des comptes
La Cour des comptes s'est penchée sur les volets recherche et formation de la stratégie nationale en IA. Elle préconise des changements pour atteindre l'objectif de figurer dans le top 5 mondial.
Combien gagne un chargé de recherche au CNRS ? Et à l'Inria ? La Cour des comptes a compilé des données à ce sujet. Elle les communique dans un rapport relatif à la stratégie nationale en IA.
Ces rémunérations sont dans la fourchette haute de la fonction publique. Elles ne rivalisent cependant pas avec ce que le secteur privé peut proposer, observent les sages de la rue Cambon.
En toile de fond, un constat : le manque de formations en IA, tant initiales que continues. Il existe bien une dynamique de croissance, mais celle-ci « n'est pas à la hauteur des ambitions de la stratégie ». A fortiori sur fond de risque avéré de tarissement de la filière « mathématiques »... et, « en particulier, le tarissement de vocation déjà constaté chez les femmes ».
Plusieurs indicateurs viennent appuyer les affirmations de la Cour des comptes. Par exemple, l'évolution de l'offre de formation post-bac (Parcoursup) où l'IA est mentionnée de façon spécifique.
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On peut aussi mentionner l'évolution de l'offre et des capacités d'accueil pour les formations post-licence (premier tableau ci-dessous). Ou l'évolution de la demande de formation continue (deuxième tableau ; nombre de dossiers validés par les apprenants).
La stratégie nationale comporte cinq volets, dont un consacré à la formation (intitulé « enseignement supérieur »). Ce dernier a consommé, sur la première phase (2018-2022), 8,4 % de l'enveloppe globale allouée à ladite stratégie. Sa part prévisionnelle pour la phase dite « d'accélération » (2022-2025) est nettement plus importante : 50,2 % (environ 776 M€ de financements).
Problème, selon la Cour des comptes : le manque de formateurs publics de haut niveau pourrait contrarier les ambitions. Une inquiétude qu'on peut mettre en parallèle avec la question des rémunérations...
Un objectif de positionnement mondial non atteint
La Cour des comptes se prononce aussi sur le volet « recherche » de la stratégie nationale IA. Celui-ci a consommé 30 % des financements alloués sur la phase 1 (part prévisionnelle pour la phase 2 : 8,7 %).
Ce volet fait l'objet d'un plan spécifique que coordonne l'Inria. La majorité des mesures prévues ont été mises en oeuvre, mais leur efficacité pour renforcer le positionnement de la France n'est globalement pas avérée, nous annonce-t-on.
Cette conclusion se fonde notamment sur le nombre de publications en IA. Tel qu'on nous le présente, la France « conserve difficilement une place au 10e rang à l'échelle mondiale ». Ce qui, dans l'absolu, ne satisfait pas l'objectif affiché de se hisser dans le top 5.
La Cour des comptes estime que le temps long de la recherche ne permet pas encore d'appréhender de manière fiable les effets concrets sur la production scientifique. Elle souligne cependant aussi la marge de progression des « centres d'excellence » sur plusieurs plans.
La constitution de ces entités est un axe structurant du volet « recherche » de la stratégie nationale. Il en existe trois types :
- Quatre « instituts interdisciplinaires d'intelligence artificielle » (3IA), identifiés via un appel à projets spécifique de l'ANR
- Quarante-trois chaires individuelles portées par un chercheur identifié au travers d'un autre AAP spécifique de l'ANR
- Trois autres centres dits « hors 3IA », identifiés en 2021 par le coordinateur de la stratégie, sans faire l'objet d'un AAP spécifique et dont les membres peuvent détenir une chaire individuelle
Centres d'excellence IA : s'inspirer du modèle allemand
La Cour des comptes invite à une clarification des missions des centres 3IA et hors 3IA. Les seconds, identifiés en dehors de tout AAP compétitif, ne font pas l'objet des mêmes attentes de la part de la puissance publique. Et leur modèle de développement est moins contraint par les conditions de financement. Ils sont pourtant impliqués dans la deuxième phase de la stratégie au même titre que les instituts 3IA.
Les Sages suggèrent plus globalement de renforcer les synergies entre ces centres. Tout particulièrement en systématisant la valorisation réciproque de leurs travaux. Et de faire référence au modèle allemand, où, par ailleurs, les sites universitaires et les centres pluridisciplinaires semblent « plus efficaces dans la structuration de leur écosystème national ».
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Autre constat, toujours sur le volet recherche : l'absence de suivi complet et synthétique de l'exécution réelle des crédits (554,6 M€ sur la phase 1).
Se pose aussi la question du manque de visibilité sur la pérennité des guichets de financement (plus de 80 % des crédits ont été distribués via des instruments financiers de courte durée). Ce phénomène est susceptible de créer des effets de rupture dans la formation des jeunes chercheurs ou la poursuite des programmes de recherche.
La gouvernance du volet recherche fait aussi tiquer la Cour des comptes. Qui déplore que l'Inria soit le seul opérateur représenté au sein du comité de pilotage global.
Se dégage également un enjeu d'amélioration de la maturité de la communauté scientifique sur les questions de frugalité et de confiance. Leur prise en compte actuelle dans les travaux de recherche est minime, considère la Cour des comptes.
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