DADVSI: les sénateurs veulent imprimer leur différence
Le débat autour de la loi DADVSI n'est pas encore terminé. Du jeudi 4 au mercredi 10 mai, ça va être au tour des sénateurs de valider le texte. Certains points comme l'interopérabilité voulue par les députés pourraient être remis en cause
Dans ligne de mire de certains sénateurs, la notion d'interopérabilité des supports, (la capacité de lire un fichier légalement téléchargé sur n'importe quel support) et le droit à la copie privée.
Cette disposition particulière a entraîné une levée de boucliers d'Apple, qui a tout de suite compris l'impact d'une telle loi sur sa plate-forme iTunes (lire nos articles). Et en France, une lettre ouverte d'Object Web, un consortium d'éditeurs de logiciels libres, précise que les amendements 17, 18, 20, 23, 24 , « seraient de nature à exposer ses membres à des risques juridiques importants, pouvant aller jusqu'à remettre en question son existence ou sa localisation en France. » Rappelons simplement que les articles 17 et 18 annulent le travail fait à l'Assemblée en faveur de l'interopérabilité (article 7), le 23 et 24 concernent la possibilité de contournement des DRM, et le 20 concerne le volet de la loi sur le droit à la copie privée qui selon le texte, doit obtenir l'aval de la haute autorité de régulation des mesures techniques Plusieurs pays anglo-saxons ont même parlé de la France comme le lieu de la « culture officielle du piratage ». De son coté, notre 'Don Quichotte de la Culture', le ministre Renaud Donnedieu de Vabres, a accordé une interview très remarquée au journal « Herald Tribune » dans laquelle il explique sa vision : « je n'ai absolument rien contre iTunes et il ne s'agit pas d'une quelconque vengeance ou de protectionnisme à l'encontre d'une société étrangère. [Mais] une technologie, même de grande qualité, réussie et utile, ne doit pas permettre de contrôler l'accès à une ?uvre. » Au sein même de l'Hexagone, pays des irréductibles, l'opposition est vivace, preuve en est le succès de la pétition mise en ligne par l'EUCD.info (EUCD pour European Union Copyright Directive), elle a été signée par près de 170.000 internautes. A noter que les associations anti-DRM organisent une manifestation le dimanche 7 mai. Dernièrement, le sénateur du Puy de Dôme, Michel Charrasse a aussi exprimé son mécontentement. Lui est contre l'interopérabilité, et il souhaite la suppression pure et simple de toute idée d'interopérabilité dans la loi. Il a ainsi déclaré « ces dispositions nous isolent au sein du marché européen et mondial des NTI (nouvelles technologies de l'information, ndlr). N'en déplaise aux intégristes du logiciel libre et aux associations de consommateurs, ce n'est pas en violant le droit de propriété, base du droit français et du droit européen, que nous défendrons notre place ni dans l'univers de la culture ni dans celui du numérique. » Le rapport du sénateur Michel Thiolliére Michel Thiollière, sénateur de la Loire, et rapporteur du projet de loi au nom de la commission des affaires culturelles considère que le principe de l'interopérabilité n'est pas le bon. À la lecture du rapport de Michel Thiollière, l'on comprend que le Sénat semble donner au texte une orientation plus favorable aux « ayants droit », et aux distributeurs. Dans les propositions faites par le rapport de la commission des affaires culturelles au Sénat, le principe d'interopérabilité est souvent remis en question. Le rapport du sénateur épingle notamment le passage de la loi qui rend obligatoire la mise à dispositions des informations permettant l'interopérabilité effective. Concernant le P2P, il a relevé deux attitudes antagonistes. La première consiste à considérer comme « vaine la volonté de mettre un terme aux pratiques existantes, et plutôt que de tenter de réprimer des pratiques massives et incontrôlables, propose de les légaliser et d'instaurer, en contrepartie, une licence globale assurant aux créateurs et aux auxiliaires de la création d'une compensation financière reposant sur un régime de gestion collective obligatoire. » Mais le rapporteur, a estimé que si cette solution était séduisante, elle soulevait toutefois deux difficultés: Une au niveau juridique car la légalisation de la mise à disposition d'autrui de fichiers contrefaits (upload) suppose en revanche une réforme juridique plus profonde et complexe du droit d'auteur à la française. A ce propos, il considère que cette réforme ne serait par conforme aux engagements internationaux de la France. L'autre au niveau économique, selon lui : « la rémunération forfaitaire ne suffirait pas à soutenir le monde de la création et sa redistribution se heurterait à de grandes difficultés. » S'agissant des sanctions pénales, M. Michel Thiollière, rapporteur, a considéré que le niveau établi par l'Assemblée nationale paraissait comparable à celui pratiqué par d'autres pays européens. L'Assemblée nationale a non seulement abaissé sensiblement le niveau des sanctions pénales, mais a aussi opéré une distinction entre le pourvoyeur de moyens de contournement, qui s'expose à six mois de prison et 30.000 euros d'amende et l'internaute individuel, qui serait menacé de 3.750 euros d'amende. Dernière victime du rapport, le collège des trois médiateurs pour la mise en, place de la copie privée, que le rapporteur se propose de remplacer par une « Autorité de régulation des mesures techniques », composée de sept membres, de façon à intégrer à côté des trois magistrats, trois personnalités qualifiées, et d'y associer le président de la commission de la copie privée. Pour consulter les propositions du sénateur La loi DADVSI, telle qu'elle a été votée par les députés
-Adieu la licence globale L'idée maîtresse de cette licence était de demander aux internautes de payer un forfait optionnel pour avoir le droit de télécharger gratuitement des oeuvres. Cette licence serait redistribuée par la suite aux ayants-droit. Finalement, malgré la pression des associations, les députés ont rejeté ce concept de licence globale après l'avoir adoptée une première fois par surprise en décembre. -Les sanctions contre les téléchargeurs Plus de prison, mais des amendes graduées: -le pourvoyeur de moyens de contournement s'expose à 6 mois d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, -le 'hacker' qui décrypte individuellement la mesure technique de protection de l'?uvre encourt 3.750 euros d'amende -le détenteur ou l'utilisateur de logiciel mis au point pour le contournement est passible d'une contravention de 750 euros. -enfin, les simples internautes téléchargeurs qui se font repérer (on ne dit pas comment) seront redevables d'une amende de 38 euros pour le téléchargement de fichiers protégés et de 150 euros s'ils mettent à disposition des fichiers protégés. Rappelons que 98% des téléchargements en France se font par le biais des sites de P2P. -Légalisation des DRM les outils de DRM (Digital Rights Management), ces verrous techniques visant à protéger les supports (CD et DVD) de la copie illicite, sont désormais autorisés. Alors que la Justice a plusieurs fois condamné ces DRM assimilés à des « vices cachés », le Parlement a légalisé une fois pour toute ces protections et pénalise leur contournement. Et pour rassurer les associations de consommateurs qui condamnent ces protections, qui empêchent, par exemple, de lire un CD sur certains appareils, les députés ont adopté un amendement. Cet article prévoit que les DRM « ne peuvent faire obstacle au libre usage de l'oeuvre dans la limite des droits prévus par le code de la propriété intellectuelle et ceux accordés par les détenteurs des droits ». Une clarté limpide. D'autant plus que les DRM posent des problèmes de sécurité. Souvenez-vous de l'affaire du 'rootkit' de Sony. Les députés ont donc également adopté un amendement (UMP) « pour éviter que la gestion des droits d'auteur ne compromette de facto la sécurité des utilisateurs individuels, des entreprises et des administrations ». Il prévoit que les verrous « permettant le contrôle à distance, direct ou indirect, d'une ou plusieurs fonctionnalités, ou l'accès à des données personnelles, sont soumis à une déclaration préalable ». -La copie privée préservée a minima Même avec ces amendements, la légalisation des DRM pose problème. Notamment pour l'exercice du droit à la copie privée, un droit payé par tous les consommateurs lorsqu'ils achètent des supports vierges (taxe pour la copie privée). Comment concilier DRM et copie privée ? Les députés ont donc garanti, en votant un amendement du rapporteur Christian Vanneste (UMP) « le bénéfice de l'exception pour copie privée », rédaction qu'ils ont préférée à une formule présentée dans un premier temps par Laurent Wauquiez (UMP) prévoyant de garantir « le bénéfice du droit à la copie privée ». Comment sera appliqué ce « bénéfice de l'exception pour copie privée » ? Mystère. Le gouvernement va mettre en place un collège fixant le nombre de copies autorisées à partir d'un support verrouillé. D'ailleurs, l'opposition s'est émue du retrait d'un amendement adopté en commission, prévoyant que le nombre de copies privées « doit être au moins égal à un ». L'amendement de substitution adopté ne prévoit en effet aucun chiffre minimal de copies privées autorisées. -Mais la copie de DVD est interdite Les députés ont rendu possible une interdiction totale de copier un DVD. Pour justifier sa décision, le rapporteur UMP Christian Vanneste s'est appuyé sur un arrêt de la Cour de cassation restreignant le droit à la copie privée d'oeuvres de cinéma sur DVD, après une plainte déposée par un amateur de cinéma. Ce dernier estimait contraires au droit de copie privée, reconnu par le Code de la propriété intellectuelle, les mesures techniques de protection insérées dans un DVD commercialisé par StudioCanal et Universal Vidéo, « Mulholland Drive » de David Lynch, qu'il avait voulu copier pour son usage personnel. Mais la Cour de cassation lui a donné tort. « La jurisprudence a acté le problème du DVD, nous en tirons les conséquences », a déclaré Christian Vanneste. « C'est un texte inféodé à des intérêts financiers, qui bafoue le droit minimal des consommateurs. Aujourd'hui, on peut acquitter une taxe pour copie privée et en même temps ne pas pouvoir exercer ce droit », a dénoncé Didier Mathus (PS). Pour autant, comme la loi inclut un amendement permettant « le bénéfice de l'exception pour copie privée », il faudra bien se mettre d'accord. La mise à mort de la copie privée se poursuit donc. La taxe qui la finance, prélevée sur chaque support vierge vendu dans le commerce, est donc de moins en moins légitime. -La pénalisation des éditeurs de logiciels d'échange « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300.000 euros d'amende le fait de mettre sciemment à la disposition du public ou de communiquer au public, sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public, non autorisée, d'oeuvres ou d'objets protégés. » Le texte prévoit également des peines pour les éditeurs qui pourraient « inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, l'usage » de ce type de logiciel. Le législateur a cependant tenu à apporter une précision: « Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération des droits d'auteur. » La loi vise donc très clairement à condamner les développeurs de solutions d'échange de données en 'peer-to-peer' (P2P). Certes ces dernières sont le principal outil des personnes qui téléchargent illégalement des oeuvres, mais elles sont aussi de plus en plus au coeur des systèmes d'exploitation - Microsoft par exemple a installé sa propre solution dans le futur Windows Vista - et de nombreuses solutions qui adoptent justement un volet collaboratif. Par ailleurs, le gouvernement semble confondre l'outil et l'usage. Interdit-on les voitures parce qu'elles sont sources d'accidents ? « Autant incriminer les fabricants de marteaux parce que ceux-ci peuvent être utilisés pour blesser quelqu'un! », a regretté Patrick Bloche, député PS. Les députés qui ont adopté l'amendement ont souligné qu'il ne visait que les activités illégales. Mais on sait que cette loi est soumise à interprétation. Le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres aura beau appeler à « ne pas faire naître des peurs là où elles existent pas« , la communauté 'open source' peut légitimement être inquiète. Le principe d'interopérabilité Mesure très attendue, elle impose la possibilité de lire sur n'importe quel support, n'importe quel fichier téléchargé légalement. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Un problème qui pénalise donc l'essor des plates-formes légales de musique en ligne. Apple, qui a basé son business model sur son couple fermé iPod+iTunes, rejette cette mesure et fait pression sur les parlementaires comme d'autres industriels.
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