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Digital Markets Act : la dépendance aux Big Tech au coeur des débats pour la souveraineté numérique

Les échanges et réunions de travail ont été nombreux au sein de l'UE en prévision du quatrième trilogue sur le Digital Markets Act (DMA) le 24 mars dernier, et la question de l'interopérabilité des communications en ligne (applications de messagerie, outils collaboratifs et plateformes de réseaux sociaux) a été au coeur des discussions.

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Digital Markets Act : la dépendance aux Big Tech au coeur des débats pour la souveraineté numérique

L'interopérabilité était l'une des principales caractéristiques du DMA lorsqu'il a été présenté initialement, car elle est en parfaite adéquation avec les objectifs fondamentaux de la législation. Elle supprime l'emprise des "gatekeepers" sur les marchés numériques et donne une opportunité aux petits acteurs de prospérer, tout en apportant aux utilisateurs davantage de contrôle sur leurs communications.

Cependant, les différentes instances (Commission Européenne, Parlement et Conseil) ont du mal à se mettre d'accord à ce sujet, à tel point que la clause pourrait être complètement abandonnée.

L'interopérabilité signifie que les utilisateurs ne seront plus enfermés dans des écosystèmes particuliers. Par exemple, vous ne serez plus obligé d'utiliser WhatsApp pour discuter avec quelqu'un d'autre qui utilise WhatsApp. Finis les silos. Plus d'enfermement dans un produit ou un écosystème. Les gens seront libres de passer facilement d'une application à l'autre, sans risquer de perdre des amis existants dans leurs contacts.

Le concept n'est pas très différent de l'interopérabilité entre les banques ou de l'interopérabilité entre les réseaux téléphoniques. En encourageant les consommateurs à faire le tour du marché, on crée un marché plus innovant et plus compétitif, ce qui permet d'améliorer le service standard et le service à la clientèle. C'est une bonne chose.

La stratégie des "gatekeepers" pour préserver leur monopole

A moins que vous ne soyez un acteur historique des Big Tech ; dans ce cas, une approche comme celle voulue par l'UE, visant à aider les gens à faire leurs achats plus facilement menace vos immenses bénéfices et votre position de monopoliste.

En effet, c'est une telle entrave à vos plans que vous vous battrez corps et âme pour préserver le statu quo. C'est pourquoi, face à des Big Tech s'opposant à tout changement de quelque nature que ce soit, les autorités réglementaires chercheront à opter pour la solution la plus simple possible. Pour eux, il suffit que chacun ouvre ses API (des interfaces logicielles) respectives pour permettre aux autres d'interopérer, et le tour est joué !

En pratique, ils ont raison, mais jusqu'à un certain point seulement. En effet, chaque application a des API, c'est comme ça qu'elles fonctionnent, et plusieurs acteurs (comme Twitter, Facebook, Slack, Telegram.) les ont rendues publiques.

Toutefois, les conditions d'utilisation de ces API publiques sont généralement très restrictives (payantes, à tarif limité ou anticoncurrentielles) ou peuvent être désactivées à tout moment (comme l'a fait Twitter). Cependant, du point de vue de l'UE, il pourrait être assez facile de stipuler que les gatekeepers doivent ouvrir leurs API et les empêcher de limiter la manière dont ces API peuvent être utilisées par d'autres.

Du point de vue des Big Tech, c'est une victoire. Ils peuvent facilement cocher la case de la conformité, tout en donnant un coup de pied dans la fourmilière. Comme Apple le démontre actuellement aux Pays-Bas, ils peuvent jouer le jeu politique des politiciens à l'infini - ils ont le marché, l'argent et les ressources. Ces géants de la tech ont des hordes d'avocats à leurs côtés. Facebook est d'ailleurs allé jusqu'à engager un ancien premier ministre (ou du moins un vice premier ministre) pour faire pression en sa faveur.

Ils sont également en capacité de retarder l'ouverture d'une API. La publier en toute discrétion et s'assurer qu'elle ne soit pas très performante ou la mettre à jour. Et bien sûr, quand ces géants de la Tech répliquent ce type de pratique sur l'ensemble de leurs produits, il devient très coûteux pour une jeune entreprise de continuer à être compétitive.

L'interopérabilité des communications doit être un impératif pour l'UE

La véritable solution ne réside pas dans les API ouvertes, mais dans les normes ouvertes. C'est une norme ouverte qui uniformise les règles du jeu, sans demander aux grands acteurs s'ils veulent bien partager leur part du gâteau. Une norme ouverte signifie que tout le monde peut investir dans le développement - en favorisant l'innovation, en élevant les standards, en créant des emplois - avec la garantie qu'ils ne perdront rien au change. Et en sachant que les Big Tech ne peuvent pas simplement couper l'herbe sous le pied des utilisateurs de leurs API.

Une norme ouverte signifie également que le chiffrement de bout en bout peut être préservé, protégeant ainsi les utilisateurs et leur vie privée. Le web a prospéré parce qu'il reposait sur une norme ouverte, c'est-à-dire quelque chose de libre au sens propre comme au sens figuré.

La puissance de l'âge d'or du web peut être retrouvée grâce à une norme ouverte pour les communications en ligne. Par exemple Matrix, une norme ouverte pour des communications sécurisées, bénéficie d'un écosystème dynamique. D'autres normes ouvertes existent, et
d'autres sont à venir.

Le DMA de l'UE pourrait apporter des changements fondamentaux et des avancées importantes dans le domaine des communications en ligne, ainsi que supporter la lutte contre un modèle économique qui voit les géants technologiques bénéficier de la collecte des données des utilisateurs.

Mais il peut également échouer. En effet, le DMA est un texte de loi ambitieux, et imposer l'ouverture des API serait un premier pas dans la bonne direction. Mais pour être un texte de loi efficace, il lui faudra en fin de compte choisir une interopérabilité basée sur des normes ouvertes.

Amandine Le Pape, - Element.

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