Le Luxembourg, paradis fiscal pour Accenture, Amazon et Apple
Des documents obtenus par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) exposent les accords secrets conclus par 340 multinationales avec le Luxembourg. Ce paradis fiscal héberge les activités européennes de grands noms du numérique comme Amazon et Apple.
Le Luxembourg permet à Accenture, Amazon, Apple (iTunes) et d'autres grands groupes de réduire drastiquement la pression fiscale en Europe. Les dessous de ce système opaque ont été révélés par Le Monde dans le cadre d'une enquête internationale pilotée par l'ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists). En jeu : des milliards d'euros de recettes fiscales.
Des accords fiscaux qui spolient les États ?
L'ICIJ et une équipe de plus de 86 journalistes de 26 pays ont eu accès, ces derniers mois, à 28 000 pages d'accords fiscaux confidentiels (tax rulings) conclus entre le Grand-Duché de Luxembourg et 340 multinationales. Mis en ligne dans le cadre de l'opération #LuxLeaks, ces documents datés de 2002 à 2010 concernent tous des entreprises clientes du cabinet d'audit et de conseil juridique et fiscal PwC (PricewaterhouseCoopers).
Pour acquitter l'impôt le plus faible possible, voire bénéficier d'une exonération pure et simple, ces multinationales transfèrent des profits générés à l'étranger vers une holding ou une filiale au Luxembourg employant des effectifs limités. Les documents révélés témoignent du rôle d'intermédiaire joué par le Luxembourg (un des maillons clés d'un écosystème complexe) et de la diversité des montages fiscaux mis en oeuvre. Amazon est un des grands gagnants du système.
Amazon, roi de l'optimisation fiscale
Le marchand en ligne américain facture depuis le Luxembourg ses ventes européennes et bénéficie d'une TVA réduite sur la vente de biens immatériels (livres électroniques, films, etc.). Bien que sa principale filiale luxembourgeoise, Amazon EU SARL, ait réalisé un chiffre d'affaires conséquent de 9,13 milliards d'euros en 2011, elle n'a payé que 8,2 millions d'euros d'impôts sur les sociétés. C'est cadeau !
La même année en France, le chiffre d'affaires déclaré localement par Amazon a été extrêmement faible, 110 millions d'euros (car seules sont facturées les prestations de service et de logistique des entrepôts français de l'entreprise), et l'impôt sur les bénéfices n'a pas dépassé 3,3 millions d'euros. Si les ventes du site français d'Amazon avaient été déclarées en France, l'impôt sur les bénéfices pouvait atteindre de 6 à 15 millions d'euros dans le pays. Mais c'est surtout sur la TVA que le cybermarchand fait les économies les plus significatives.
Un montage qui rapporte
Que deviennent les profits générés au Luxembourg par Amazon ? Amazon EU SARL est une filiale détenue par Amazon Europe Holding Technologies SCS. Bras financier du marchand domicilié au Luxembourg, cette entité rentable est détenue par trois filiales d'Amazon immatriculées dans le Delaware, un paradis fiscal au coeur même des États-Unis. Mais elle était jusqu'en 2009 sous le contrôle d'une autre filiale (ACI Holdings Limited) domiciliée à Gibraltar, un autre paradis fiscal.
En 2011, Amazon Europe Holding Technologies SCS a déclaré un bénéfice net de 302 millions d'euros, mais n'a payé aucun impôt sur les bénéfices. Les activités européennes d'Amazon sont donc peu taxées. Et pour éviter une lourde ponction du fisc américain, le marchand préfère gérer ses profits offshore, plutôt que de les rapatrier aux États-Unis.
Sous la pression de l'Europe et de l'OCDE
Le Luxembourg est, avec les Pays-Bas et l'Irlande, l'un des principaux pays ciblés par le plan d'action international de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ce plan vise à freiner l'érosion de la base d'imposition et le transfert artificiel de bénéfices vers des paradis fiscaux. Ce transfert est licite, mais très critiqué. Il prive les États de milliards d'euros de recettes fiscales, alors que les multinationales génèrent d'importants revenus sur les marchés concernés.
L'OCDE veut donc contraindre le Luxembourg à renoncer à ses mesures fiscales les plus controversées. De son côté, la Commission européenne, qui vient de changer de mains, enquête sur les accords fiscaux conclus au cas par cas entre des multinationales et certains pays, dont le Luxembourg. Ces accords s'apparenteraient à des aides d'État illégales. Un bras de fer juridique est engagé. Mais nul ne sait qui va l'emporter, car la nouvelle Commission pilotée par l'ancien premier ministre luxembourgeois, le libéral Jean-Claude Junker, pourrait aborder le dossier sous un autre angle.
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