Yalta des mobiles: 534 millions d'amende pour les 3 opérateurs !
On s'attendait à une amende record. Mais personne n'imaginait un tel montant. Le Conseil de la concurrence a décidé de frapper un grand coup et n'a trouvé aucune excuse ni circonstance atténuante aux opérateurs mobiles reconnus coupables de s'être entendus sur le marché et les prix entre 1997 et 2002 (voir le rappel des faits en encadré).
Bouygues Telecom, Orange et SFR ont été condamnés à 534 millions d'euros d'amende. Du jamais vu. Jamais le Conseil n'avait infligé pareil sanction. Dans le détail, Orange, filiale de France Télécom, écope de la sanction la plus lourde avec 256 millions d'euros, suivie de SFR qui devra payer 220 millions d'euros, et de Bouygues Telecom condamné à verser 58 millions d'euros. Ce dernier est relativement épargné. Il faut dire que la 'main mise' sur le marché concerne avant tout Orange et SFR qui se partagent depuis des années 80% du marché en France. Le Conseil de la concurrence a jugé que les trois opérateurs mobiles ont pratiqué des échanges réguliers d'informations sur les parts de marché et ont établi un accord secret portant sur une stabilisation, au cours des années 2000 à 2002, de leurs parts de marché autour d'objectifs définis en commun. Il y a donc bien eu un 'Yalta des opérateurs' pour contrôler le marché et fausser le jeu concurrentiel. 256 millions pour Orange Le Conseil a estimé que ces pratiques étaient « particulièrement graves » et ont entraîné « un dommage à l'économie très important » ajoutant que cette situation a facilité un relèvement des prix et « l'adoption de mesures défavorables au consommateur ». Mais les opérateurs n'en n'ont pas fini avec ce dossier. L'UFC-Que Choisir, association de consommateurs à l'origine de la plainte déposée auprès du Conseil de la concurrence, annonce son intention de saisir la justice afin d'obtenir des dommages et intérêts qu'elle évalue entre 50 et 180 euros par abonné, soit un total allant de 1,5 et 5,4 milliards d'euros ! « Cette décision n'est qu'une étape et l'heure de la réparation de chaque abonné est maintenant venue », explique-t-elle dans un communiqué. « Notre souci va être la réparation du préjudice pour le consommateur. Nous allons saisir la justice sur la base de la décision du Conseil pour demander la réparation du préjudice », a déclaré à Reuters Alain Bazot, président de l'association de consommateurs. L'UFC exige des dommages et intérêts pour les clients « Nous allons également mettre en oeuvre des outils d'aide au consommateur pour que chacun puisse demander réparation (www.cartelmobile.org, NDLR) », a-t-il ajouté, estimant que « le préjudice pour les consommateurs se chiffre à 1,2 milliard d'euros « . De son côté, le député socialiste des Landes Henri Emmanuelli a demandé que « la justice regarde de près » l'entente entre les trois opérateurs de téléphonie mobile et que le dossier soit examiné « au pénal ». Par ailleurs, le procureur de la République de Paris a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire au sujet des fuites dans la presse, en l'occurrence le Canard Enchaîné qui avait dévoilé l'affaire en août dernier. Du côté des opérateurs, c'est évidemment la consternation. Le premier à réagir est France Télécom qui est lourdement condamné et qui vit une fin d'année très difficile. 256 millions d'euros pour cette affaire, 80 millions d'amende dans le dossier de l'ADSL, 16 millions de dommages à Free, soit une note totale de 352 millions ! Les 3 condamnés font appel Dans un communiqué l'opérateur qui fait appel de la décision dénonce une sanction « gravement disproportionnée prise à l'encontre du secteur de la téléphonie mobile en France ». Point par point, la filiale de France Télécom se défend de toute entente. « Orange France rappelle qu'un observatoire des mobiles avait été mis en place en 1995 par les pouvoirs publics pour suivre le développement du marché naissant des mobiles. C'est dans ce cadre qu'il a été demandé aux opérateurs mobiles d'échanger des informations mensuelles sur leurs ventes. Orange France conteste que cet échange d'information était de nature anti-concurrentielle ». Et d'ajouter: « Orange France conteste également la réalité d'un quelconque pilotage concerté du marché. L'idée qu'un tel pilotage soit possible sur un marché d'environ 40 millions de clients s'approvisionnant auprès de 20.000 points de vente est totalement irréaliste ». Pour l'opérateur, le marché était à cette époque bel et bien concurrentiel: « Pendant la période considérée, 20% des clients en moyenne ont changé d'opérateur chaque année ; en outre, la moitié des points de vente distribuant des offres mobiles n'appartiennent pas aux opérateurs. Pendant cette même période, les parts de marché (ventes brutes) des trois opérateurs mobiles ont varié mensuellement de plusieurs pourcents traduisant l'intensité concurrentielle du secteur ». « Disproportionné, choqué, injuste » Du côté de SFR qui fait également appel, on se dit « profondément choqué » par la sanction qui est « infondée et ne correspond pas à la réalité des faits » La filiale de Vivendi « conteste vigoureusement l'existence d'une quelconque entente entre les opérateurs sur leurs parts de marché pendant les années 2000 à 2002. Concernant l'échange d'informations, SFR a apporté au Conseil de la concurrence tous les éléments pour établir qu'il n'avait eu aucun objet ni effet anti-concurrentiel » Bouygues Telecom enfin, « regrette que le Conseil de la concurrence n'ait pas pris soin de répondre à ses principaux arguments ». Il va faire également appel. L'opérateur souligne qu'il a demandé aux différentes autorités (Conseil de la concurrence, ARCEP, Commission Européenne), depuis plusieurs années, de remédier au déséquilibre qui touche le marché des mobiles et qui entrave gravement et durablement la concurrence en France ». Il estime que la sanction prononcée à son égard est « profondément injuste ». Bouygues Telecom rappelle, en effet, que sa part de marché a baissé de 3% pendant la période examinée par le Conseil. Reste un espoir pour les opérateurs. Outre les appels déposés, la révélation, ce mercredi par le Parisien de la condamnation et de l'amende 24 heures avant le rendu de la décision du Conseil pourrait entacher la procédure de nullité. On imagine alors le scandale. Au-delà des amendes, cette affaire va profondément écorner l'image des opérateurs comme le souligne le cabinet d'analyses Ovum qui évoque une perte importante de crédibilité. Rappel des faits
Le 24 août dernier, Le Canard Enchaîné publie un rapport confidentiel de la Direction de la Concurrence qui donne les preuves d'une entente entre Bouygues Telecom, Orange et SFR. Ce rapport, qui date de mai 2004 révèle « un accord occulte sur une longue période qui vise à geler les parts de marché vis-à-vis des nouveaux clients afin d'aboutir à une très forte inertie des parts de marché ». Conclusion de la DGCCRF: un tel accord a permis à Bouygues Telecom, Orange et SFR de surperformer financièrement pendant la période. Rappelons qu'Orange et SFR se partagent plus de 80% du marché depuis de longues années. La Direction de la Concurrence donne des preuves. Des pièces et documents ont été saisis lors de perquisitions chez les opérateurs en 2003. Des documents encore une fois accablants. Une note de 2001 de SFR indique ainsi: « Michel Bon [président de France Télécom à l'époque] est OK pour reconduire l'accord parts de marché de 2000 ». On peut également lire dans une note de France Télécom: « Il faut que Bouygues remonte à 20% de parts de marché ». Visiblement, l'entente était très bien organisée. Le Conseil évoque aussi deux notes manuscrites de M. Quillot, directeur général d'Orange dont l'une en date du comité exécutif du 28 octobre, dans lesquelles il évoque un « Yalta PDM (parts de marché) ». En effet, les trois opérateurs avaient convenu d'un rendez-vous secret mensuel afin de « d'adapter rapidement leur stratégie commerciale à l'évolution du marché ». Selon le rapport, ce petit manège aurait débuté en 1997 (!), lorsque le marché a commencé à décoller. Ces réunions ont été stoppées en 2003, les opérateurs sentant le vent tourner après les perquisitions de la DGCCRF. Côté réactions, les opérateurs nient en bloc (voir notre article). Le Conseil de la concurrence a adressé le 1er mai à la direction de France Télécom, de SFR et de Bouygues une « notification de griefs » dans laquelle les trois opérateurs sont accusés de s'être entendus pendant des années pour fausser la concurrence. Les magistrats avaient reçu en février 2002 une plainte pour entente illicite de l'association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir.
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