Cloud : sous enquête de concurrence, comment AWS, Google et Microsoft se défendent
Pour son enquête sur le marché des services cloud, l'autorité britannique de la concurrence a interrogé AWS, Google et Microsoft. Qu'en est-il ressorti ?
Le VDI, un marché porteur ? Google et Microsoft n'ont pas du tout communiqué la même vision* à l'autorité britannique de la concurrence.
Cette dernière mène, depuis octobre 2023, une enquête sur le marché des services cloud. Elle en a successivement interrogé les trois "poids lourds" au cours de l'été. Voici quelques morceaux choisis de leurs auditions.
Sur les frais de transfert
Google comme Microsoft ont affirmé que les egress fees ne constituent pas un critère de choix important pour les clients. L'un et l'autre ont ajouté qu'en cas de suppression de ces frais, il faudrait répercuter les coûts sur l'ensemble des utilisateurs. Y compris, donc, ceux qui n'ont pas d'egress.
Du côté d'AWS, on estime qu'éliminer les frais de transfert engendrerait des risques de sécurité. Un DDoS, par exemple, ne coûterait (presque) rien à des attaquants, exemplifie la branche cloud d'Amazon.
Microsoft et Google reprennent cet argument. Ils expliquent plus globalement que les egress fees contribuent à couvrir les investissements dans leurs infrastructures. À ce sujet, Google reconnaît que ses frais sont "probablement plus élevés" que chez la concurrence, mais qu'il fournit ainsi "de meilleurs produits réseau".
AWS avance quant à lui que l'autorité de la concurrence oublie d'intégrer les remises dans sa réflexion. Il souligne, en parallèle, que les frais plus élevés chez certains clients sont liés à la nature de leur activité et de leurs usages (transmission de données à des clients, par exemple).
Microsoft dit, en outre, craindre que la fin des egress fees n'engendre de mauvaises décisions architecturales chez les clients. Avec, éventuellement, des effets systémiques.
Sur les remises contre engagement
Les trois fournisseurs sont unanimes : sans ce système, il serait plus difficile de prévoir la demande... et donc d'investir dans le développement de l'offre.
Google considère que s'il fallait prendre des mesures sur ce volet, il conviendrait de les limiter à AWS et Microsoft : vu leur part de marché, les remises contre engagement ont beaucoup plus d'effet chez eux.
En cas de suppression du mécanisme, les concurrents trouveraient des substituts, poursuit Google. Par exemple, des remises "transversales" englobant produits cloud et non cloud.
Principal concerné par ce type de remise croisée, Microsoft nie en proposer. Il ajoute deux éléments. D'une part, il est faux de dire que les négociations avec un client donnent au fournisseur de a visibilité sur les workloads à forte adhérence, clame-t-il. De l'autre, il ne faut pas penser qu'un client ne modernise pas ses workloads - dans ce cadre, il explorera d'autres opportunités de plates-formes.
Sur le multicloud et le changement de fournisseur
En lift & shift comme en cloud-native, Google prétend être généralement choisi en tant que fournisseur secondaire. Initialement pour la résilience et la mise en concurrence, puis à terme pour l'intégration multicloud.
Microsoft insiste sur son travail avec les éditeurs pour améliorer ses API dans l'optique d'une interopérabilité entre clouds. Il assure que l'IA a changé son approche du multicloud, aboutissant à des outils comme Microsoft Fabric.
AWS fait remarquer que pour certains workloads, ce n'est pas la profondeur de catalogue qui intéresse le client, mais la disponibilité d'un service donné. Et de mettre l'accent sur son investissement dans "des services comme Kubernetes" pour faciliter le multicloud.
Sur les barrières techniques
Chaque client a sa perception des défis techniques lorsqu'il s'agit de changer de fournisseur ou de faire du multicloud, déclare AWS.
Selon Microsoft, il est nécessaire de trouver un compromis entre l'usage de produits "différenciés" et la mise en place d'architectures favorisant la portabilité.
Le témoignage de Google s'est centré sur le cas Microsoft. Plus précisément, sur les barrières que celui-ci aurait posées à l'utilisation de ses logiciels sur des clouds concurrents. Un dossier pas nouveau et objet, entre autres, de plaintes auprès de la Commission européenne.
L'un des catalyseurs fut l'imposition, en 2019, d'une souscription à la Software Assurance pour bénéficier de la mobilité des licences on-prem sur les services de cloud privé de quatre "fournisseurs listés" : Microsoft, Alibaba, Amazon et Google - les offres VMware des uns et des autres étant incluses dans le périmètre. Cette obligation ne s'était jusque-là appliquée qu'aux clouds publics. Sans Software Assurance, on ne pouvait donc plus déployer que chez soi (et sans certaines fonctionnalités), chez un fournisseur "non listé"... ou, pour Windows 10/11, sur Azure Virtual Desktop.
Microsoft a, depuis lors, desserré l'étau sur certains aspects. Par exemple en accordant une exception au DaaS Amazon WorkSpaces pour certaines licences de sa suite bureautique cloud (E3, E5, A3, A5, Business Premium), ainsi que Project et Visio.
Pour Google, cela ne suffit pas. Le groupe américain regrette notamment sur sur les machines fonctionnant chez lui ou chez AWS, les clients ne puissent pas gérer les politiques de sécurité à partir d'Entra ID dans Azure. Il souligne, plus globalement, l'horizontalité de l'IAM... et le poids des décisions associées : une fois passé d'AD à Entra ID, il n'y a "pas de retour", tant la stack est propriétaire et l'ouverture des API, "limitée".
Sur les licences
AWS aussi déplore les restrictions BYOL que Microsoft a actées en 2019. Elles ont affecté sa capacité à permettre l'usage de logiciels tiers sur ses services cloud.
Google n'en dit pas moins. Il est complexe et cher de moderniser les systèmes Microsoft, glisse-t-il en complément : une fois qu'on les déplace sur Azure, on se retrouve verrouillé. Par ailleurs, l'accord de licence "version 2019" comporte des restrictions non tarifaires (les "fournisseurs listés" ne peuvent pas diffuser certaines mises à jour de sécurité, notamment).
Sous ce régime, les coûts n'augmentent pas matériellement pour le client, se défend Microsoft. Quant à Amazon et Google, difficile pour eux de dire qu'ils n'ont pas les moyens de compenser.
Microsoft poursuit : les changements de 2019 visaient à mieux protéger sa propriété intellectuelle. Ils ont eu pour effet de limiter les marges qu'Amazon réalisait sur les produits concernés, en les mettant au niveau des commissions prises sur la vente d'autres logiciels sur la marketplace AWS.
Dans le cloud, l'usage de Linux croît plus vite que celui de Windows, fait aussi remarquer Microsoft. Et si le BYOL chez les "fournisseurs listés" est possible pour SQL Server mais pas Windows Server, c'est "parce qu'on traite différement les OS, davantage liés à du hardware spécifique".
Sur le paysage concurrentiel
AWS insiste : il existe une véritable concurrence avec le on-prem. Vu les coûts d'un datacenter, le fait que des clients rapatrient montre bien l'attrait de cette option. Les services cloud ne représentent qu'environ 15 % du marché des services IT, ajoute la filiale d'Amazon. Non sans glisser que si beaucoup de clients utilisent Azure, c'est parce qu'ils ont déjà des services Microsoft...
Google déplore que les problèmes structurels "de type restrictions de licences" l'empêchent de gagner des parts de marché chez les entreprises dont le SI n'est pas né dans le cloud.
Si Oracle s'est développé avec succès dans le cloud, c'est parce qu'il disposait d'une base progicielle, poursuit Google. Une situation qui n'était pas la sienne, explique-t-il : son développement s'est fait "au mérite", souvent comme fournisseur secondaire, avec des produits différenciés comme sur l'analytics. Quant au business publicitaire, il n'a pas de liaison avec le business cloud.
Ce lien potentiel, Microsoft l'a mis en avant dans son témoignage : Google peut fournir à ses clients des crédits publicitaires "presque gratuits". Il a d'autres avantages concurrentiels, dont une bonne réputation dans la data et l'IA ainsi qu'une forte relation avec la communauté open source.
Les logiques concurrentielles ont évolué avec les nouveaux workloads, ajoute Microsoft. En particulier dans le contexte où les clients envisagent d'incorporer de l'IA. Quant à la tendance des clients à être guidés par leurs choix technologiques précédents, elle a volé en éclats avec l'open source et les architectures cloud-native.
* Microsoft dti croire que le VDI continuera d'exister pour des cas d'usage spécifiques. Mais qu'à l'avenir, les postes de travail ne devraient pas être massivement délivrés par ce biais.
Google, au contraire, trouve que le VDI prend de plus en plus d'importance ; qu'il est populaire dans des secteurs comme la finance, la santé et le retail. Les déploiement sont dépendants de Windows et de Windows Server, note-t-il.
Illustration © Rawpixel.com - Adobe Stock
Sur le même thème
Voir tous les articles Cloud