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Comment le Cloud change l'entreprise mais aussi le monde

Le Cloud ne fait pas que bouleverser les rôles dans l'entreprise, en donnant plus de poids aux prestataires et en renforçant l'importance des aspects contractuels. Il change aussi le rapport de tout un chacun à la notion de propriété, explique Nicolas Glady, professeur à l'Essec.

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Comment le Cloud change l'entreprise mais aussi le monde

De Google à Netflix en passant par Dropbox, le Cloud est dorénavant partie intégrante de notre vie. A domicile mais aussi au travail, puisque de nombreuses solutions sont de plus en plus utilisées en entreprise : Amazon Web Services, Salesforce, où les solutions Office Cloud de Microsoft ou de HP. Tous les acteurs du numérique ont désormais passé le cap du Cloud et ceci a un impact considérable sur le monde de l'entreprise et l'économie en général.

Software as a Service (SaaS), Platform as a Service (PaaS), Infrastructure as a Service (IaaS), peu importe comment vous l'utilisez, le Cloud est partout. Selon IDC, ces différents services pesaient pour 40 milliards de dollars dans l'économie mondiale en 2012, et devraient générer 98 milliards de dollars en 2016. Et avec le Cloud hybride, c'est-à-dire la possibilité d'articuler une partie « publique » (en utilisant les mêmes services que d'autres entreprises) et une partie « privée », l'une des dernières barrières du Cloud - celle de la sécurité - est en train de sauter. L'actualité récente nous l'a d'ailleurs rappelé puisque Accenture et Microsoft ont annoncé en décembre 2014 une alliance sur le Cloud hybride : les deux géants américains ont bien compris qu'il était nécessaire d'investir massivement sur ce sujet.

Le « as a Service » a des avantages bien connus. En externalisant une partie de son processus, la partie logicielle avec le SaaS ou la puissance de calcul avec le IaaS, les entreprises peuvent se recentrer sur leur coeur de métier : diminuer leur coût et gagner en agilité. Le fait de pouvoir disposer d'un service Cloud n'importe où (Any Where), n'importe quand (Any Time) et sur n'importe quel appareil (Any Device) - le fameux ATAWAD - est aussi un avantage considérable pour l'utilisateur.

Le Cloud soulève aussi évidemment des problématiques depuis longtemps identifiées, comme celles de la sécurité ou de perte de contrôle pour l'utilisateur. Les scandales récents quant au « vol » de données par des puissances étrangères (Prism en tête) ayant souligné à nouveau l'urgence pour l'Etat et les citoyens de s'emparer de ces questions. Mais les nouvelles solutions (comme le Cloud hybride mentionné précédemment ou l'idée d'un Cloud européen comme l'a proposé l'ex-commissaire européenne Neelie Kroes), vont sans doute résoudre ces questions à terme. Il convient donc de s'interroger plutôt sur les changements profonds que causent le Cloud, et l'impact que cela aura sur nos vies.

Tout d'abord, l'impact direct sur la structure et la dynamique au sein de l'entreprise est que là où auparavant l'innovation informatique passait par des développements internes, celle-ci passe dorénavant par de la prestation. Si une entreprise développait 80% de ses solutions informatiques elle-même auparavant, et « intégrait » 20% de ses solutions grâce à des prestataires externes, ce rapport est dorénavant inversé.

La conséquence directe est que la DSI change de rôle. Il ne s'agit plus de développer mais d'intégrer. Les profils nécessaires sont de moins en moins des codeurs hors pairs et de plus en plus des facilitateurs capables de comprendre les besoins des clients internes pour aller chercher la bonne solution qui conviendra à la stratégie de l'entreprise. C'est un rôle qui n'en reste pas moins technique mais qui est plus lié à la capacité d'analyse fonctionnelle et stratégique qu'à celle de « simple » informaticien.

Ensuite, la multiplication des prestataires externes rend le contrat entre les fournisseurs de services et l'entreprise de plus en plus central. Quelle est la qualité de service (SLA) exigée ? Que faire en cas de défaillance ? Là où on ne serait jamais passé par des avocats pour régler ce genre de problème en interne, le rôle du juriste sera de plus en plus important dans le processus externalisé.

Et la question du droit est en réalité fondamentale : puisque notre rapport juridique au bien numérique est totalement transformé. Auparavant, on possédait un logiciel ou un serveur, dorénavant, on loue un service (SaaS) ou une capacité de calcul (IaaS). Cette question dépasse largement le périmètre de l'entreprise puisque le phénomène est le même pour les consommateurs : on ne détient plus un CD de musique ou un DVD d'un film, mais on paie un abonnement à Deezer ou à Netflix. Le modèle économique change complètement, ainsi que le droit de l'utilisateur envers ce qui est dorénavant un service et non plus un bien.

En fait, c'est la propriété elle-même qui est chamboulée. Auparavant, l'usage (usus) et la disposition (abusus, c'est-à-dire le droit de détruire, modifier ou céder) étaient parties intégrantes de la notion de propriété. Dorénavant, si nous achetons un ebook sur Amazon, ou un film sur iTunes, nous pouvons en jouir n'importe où, n'importe quand, ou sur n'importe quel appareil grâce au Cloud (sur ma tablette Kindle ou mon iPad pour le premier, sur mon Apple TV, iPhone, iPad, etc. pour le second). Mais je ne pourrai pas le modifier ou le céder à autrui ! Alors que je l'ai acheté !? Et que se passera-t-il le jour où Amazon ou Apple décideraient de fermer boutique ? Mon bien sera-t-il perdu dans les nuages ? C'est la notion de propriété elle-même qui est remise en question par l'impact que le Cloud a sur nos vies.

Le problème est encore plus évident lorsque nous voyageons. Un citoyen américain ayant un compte Netflix ne pourra pas voir les mêmes séries lorsqu'il sera de passage en France. L'accès aux contenus dépend en effet de la localisation géographique (via l'IP) de l'ordinateur. Cette situation est encore plus absurde entre la Belgique, la France ou l'Allemagne. En l'état, les offres seront différentes ; alors que nous sommes censés être dans un espace de libre circulation des biens et des services ! Et le problème est généralisé puisque la plupart des « stores » qui se trouvent dans le Cloud offrent des biens - mêmes dématérialisés - différents d'un pays à l'autre. Il serait grand temps d'harmoniser la situation, au moins entre pays de l'Union !

Et quand on sait que de plus en plus de sociétés aimeraient passer au « tout dématérialisé » : ne plus fournir de biens culturels (livres, jeux vidéos, films, etc.) que par l'intermédiaire du Cloud ou du numérique (pour des raisons évidentes de facilité d'achat mais aussi de contrôle de la part de l'ayant droit), on peut se poser des questions.

Il ne faut pas se tromper, le Cloud n'est pas qu'une révolution technologique, c'est aussi une révolution économique et sociétale. Il a ainsi un impact profond sur notre rapport aux

biens et aux services et chamboule la notion de propriété elle-même ; une notion qui est au coeur du processus juridique depuis des milliers d'années. Ce n'est pas seulement un sujet d'expert, mais aussi une préoccupation qui devrait être au coeur d'une réflexion citoyenne : travailler à un meilleur Cloud, mieux régulé, c'est aussi travailler à un monde plus juste.

Par Nicolas Glady, titulaire de la Chaire Accenture Strategic Business Analytics de l'Essec

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