IT bimodale : pourquoi ça ne marchera pas
Pour le cabinet d'études Forrester, la stratégie d'IT bimodale, qui consiste à faire cohabiter un système d'information agile avec les applications historiques (le legacy), est vouée à l'échec. Bien sûr, cette opinion ne peut être tout à faire étrangère à la concurrence entre cabinets d'études : populaire chez les DSI, l'IT bimodale a été conceptualisée par le Gartner, le principal concurrent de Forrester. Mais ce dernier égraine aussi des arguments autrement plus recevables, arguments que nous avons d'ailleurs déjà entendus dans la bouche de DSI.
Rappelons d'abord que, selon Gartner, l'IT bimodale est « une pratique consistant à gérer deux modes séparés et cohérents de fourniture d'IT, l'un centré sur la stabilité et l'autre sur l'agilité. Le mode 1 est traditionnel et séquentiel, mettant l'accent sur la sécurité et la fiabilité. Le mode 2 est exploratoire et non-linéaire, il privilégie l'agilité et la vitesse ». Bref, pour le Gartner, l'approche permet d'adopter des méthodes comme le Devops sans mettre en péril la stabilité des applications coeur des entreprises traditionnelles, portées par le legacy. De s'approcher des pratiques mises en vedette par les start-up sans tirer un trait sur le passé.
L'IT bimodale trop centrée sur la technologie
Mais, c'est précisément cette volonté de ménager la chèvre et le chou qui serait « contre-productive » selon Forrester. Le cabinet d'études estime que l'IT bimodale procure aux DSI un sentiment « de fausse sécurité ». Première flèche décochée à l'encontre de la stratégie estampillée Gartner : l'approche crée deux classes de systèmes, ce qui ajouterait de la complexité. « A une période où les entreprises ont besoin de rapidité et d'agilité, créer deux groupes qui devront s'affronter pour les budgets, les ressources, les talents et l'attention des métiers est un non-sens », écrivent John McCarthy et Sharyn Leaver, les deux analystes de Forrester à l'origine du rapport. La seconde critique est, elle aussi, assez logique : dans sa nature, l'IT bimodale est avant tout un modèle centré sur la technologie, sur l'organisation elle-même et non sur le client. Elle « fonctionne à l'envers de la création de rôles de CxO davantage cross-fonctionnels, permettant de faire fonctionner les métiers dans un mode omnicanal ».
Mais, ce sont les deux dernières torpilles lancées par Forrester qui menacent le plus la flottabilité du vaisseau amiral de Gartner. Selon le rapport « La fausse promesse de l'IT bimodale », cette stratégie perpétue le mythe de systèmes legacy qu'on pourrait conserver en l'état. Autrement dit, elle conforte les DSI dans leur propension à ne pas s'attaquer à la rénovation de ces systèmes. Ce qui, pour Forrester, va obérer la capacité des organisations à se reconfigurer en permanence pour s'adapter aux attentes de ses clients, faute d'une architecture suffisamment souple. Conséquence selon le cabinet d'études ? L'IT bimodale n'est qu'un facteur d'isolation de plus pour la DSI. Car, dans ce mode, c'est sur elle que va reposer l'essentiel de la transformation. Bref, c'est une menace pour la stabilité du poste de DSI qui, si on prolonge la réflexion de Forrester, devrait tôt ou tard être considéré comme le principal responsable de la lenteur de l'évolution des pratiques internes par sa direction générale.
L'entreprise 100 % agile
A l'appui de ses critiques, Forrester livre les noms et approches de certaines organisations, qui n'ont pas été convaincues par l'IT bimodale. GE notamment, qui affirme ne pas vouloir créer deux équipes séparées. Le géant américain ambitionne de fermer une trentaine de datacenters, de décommissionner 5 000 applications (sur un total de 9 000) et de basculer 90 % des logiciels qui survivront à cette simplification sur le Cloud public. Mais aussi Schneider Electric qui lie ses performances aux progrès de son Net Promoter Score (un indicateur de fidélité client) afin de casser les silos de son organisation et d'aligner cette dernière sur les besoins de ses clients.
Si Forrester dézingue l'IT bimodale, c'est aussi qu'il promeut sa propre approche, appelée Business Technology (voir le comparaison des deux approches produites par le cabinet ci-dessus). Une stratégie qui vise à mettre en place des pratiques de développement continu sur l'ensemble du système d'information, à bâtir des équipes embarquant de multiples fonctions et à généraliser l'intégration via les API. Bref, une forme de généralisation des principes de l'entreprise agile et du Devops, qui implique un profond bouleversement culturel des organisations. Particulièrement les grandes, où les silos restent très prégnants.
A lire aussi :
Les DSI ont un rôle de plus en plus central face au Cloud
Les dépenses IT en 2016 entrent dans l'ère du bimodal
Les DSI sont-ils plus rétrogrades en France qu'ailleurs ?
Crédit photo : Nuttapong Wongcheronkit / Shutterstock
Sur le même thème
Voir tous les articles Cloud