Sobriété numérique : le nouvel objectif des DSI
Allongement de la durée de vie des équipements, optimisation de l’efficience énergétique des datacenters, éco-conception, sensibilisation des utilisateurs… Les DSI disposent de plusieurs leviers pour réduire l’empreinte carbone de l’IT et s’astreindre à une sobriété numérique.
Sommaire
Elle ne se voit pas à l’œil nu et, pourtant, même dématérialisée, la pollution numérique n’a rien de virtuel. Avec la digitalisation de nos sociétés et de nos économies, l’usage irraisonné du numérique constitue même une menace croissante pour la préservation de notre planète.
Selon l’Ademe, le numérique représente déjà 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre — contre 1,5 % pour le transport aérien —, mais la forte augmentation des pratiques laisse augurer un doublement de cette empreinte carbone d’ici à 2025.
Pour concilier transformation numérique et transition écologique – les deux enjeux de notre siècle – on assiste à une mobilisation sans précédent. Le gouvernement a adopté la loi Chaize en novembre, visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique (REEN). Fin octobre 2021, le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance accueillait le « Meet’Up Greentech ».
Lire aussi : Intégrer la Chine à son réseau SASE, pas si simple !
Cet événement visait à soutenir les start-up et les PME vertes françaises qui mettent l’innovation au service du défi climatique.
En décembre, le Cigref, le club des grands DSI français, a organisé un nouveau colloque sur la sobriété numérique après celui de 2020. On peut citer aussi la création plus ancienne du projet
Planet Tech’Care, initié par Numeum, ou du think tank The Shift Project.
Dans le cadre des engagements de leur stratégie RSE, toutes les grandes entreprises se sont aussi saisies du sujet. Elles ont nommé un « monsieur » ou une « madame numérique responsable », ont signé la charte de l’Institut du numérique responsable (INR) ou le manifeste de Planet Tech’Care.
Pour aller au-delà de cette déclaration d’intention, il existe toute une série de leviers à actionner afin de réduire l’impact carbone d’un système d’information. Comme le dit le vieil adage : « On ne maîtrise bien que ce que l’on mesure. » Tout commence, donc, par une phase de diagnostic.
Lire aussi : 5 managers IT qui nous ont inspiré en 2024
Si l’Ademe ou l’INR proposent quelques indicateurs de suivi, « il y a encore assez peu de benchmarks et d’outils, selon Laurence Jumeaux, responsable de l’offre Sustainable IT chez Capgemini Invent.
À partir de ce diagnostic, une DSI établit sa feuille de route en priorisant les actions qui ont le plus d’impact. Ce cadre de gouvernance évite de s’essouffler en multipliant les initiatives dans tous les sens. »
1 Doubler la durée de vie d’un parc PC
Généralement, le poste à plus fort import impact concerne le patrimoine matériel, si l’on prend en compte l’intégralité du cycle de vie d’un équipement (serveur, PC, mobile…), de sa conception à sa mise au rebut et pas seulement son utilisation.
« La fabrication d’un smartphone ou d’un ordinateur suppose l’extraction de terres rares et d’une grande quantité d’eau, rappelle Frédérick Marchand, PDG et cofondateur de Digital4Better. C’est une catastrophe environnementale et sociale pour les pays émergents. » Selon l’Ademe, il faut mobiliser, en matières, l’équivalent de 50 à 350 fois du poids d’un appareil électronique pour le concevoir. Soit 800 kg pour un ordinateur portable.
Ces chiffres édifiants plaident pour un allongement de la durée de vie des équipements. Le renouvellement d’un parc de PC peut s’opérer bien au-delà de la durée d’amortissement fiscal de trois ans.
Le cabinet Mazars, en France, a ainsi porté cette durée à quatre ou cinq ans. » À l’issue de cette période, les ordinateurs sont remis aux stagiaires, équipent nos salles de formation ou sont proposés à l’achat aux collaborateurs, explique Christophe Tallot, son DSI. En fin de vie, les matériels sont confiés à des brokers écoresponsables certifiés DEEE qui assurent le traitement des déchets électroniques et le recyclage de certains composants. »
Entreprise adaptée qui favorise l’emploi des personnes en situation de handicap, ATF Gaia assure notamment ce type de prestation.
Frédérick Marchand est plus radical, et il estime que l’on peut doubler la durée de vie des équipements. « Chez Digital4Better, nous n’utilisons que des PC reconditionnés. Personnellement, je travaille sur un ordinateur de 2013. »
Délégué général du Cigref, Henri d’Agrain partage son avis. Selon lui, un parc de PC peut durer huit ans et une flotte de mobiles de six à sept ans. Il fait aussi un lien de causalité entre l’obsolescence matérielle et logicielle. « Les politiques de versioning de certains grands éditeurs peuvent provoquer une obsolescence accélérée des matériels. »
Avec trois autres associations européennes, le Cigref en octobre dernier. « La sortie de Windows 11 va inciter les entreprises à renouveler leur parc informatique, sans justification fonctionnelle pour les utilisateurs, comme ce fut le cas en janvier 2020 avec la fin du support de Windows 7 », poursuit Henri d’Agrain.
Dans le même esprit, le Cigref a soutenu la proposition de loi du sénateur de l’Ain Patrick Chaize
( LR) qui prévoit notamment de dissocier les mises à jour de sécurité des mises à jour fonctionnelles.
2 Cloudification : des impacts positifs
Un axe voisin d’une stratégie de numérique responsable porte sur l’optimisation de la consommation énergétique des datacenters. Avec pour objectif de faire baisser l’indice de référence, le PUE (Power Usage Effectiveness), qui mesure le rapport entre l’énergie totale utilisée par un datacenter et l’énergie effectivement consommée par ses équipements (serveurs, stockage, réseau). Différentes techniques permettent d’optimiser le rendement de la chaîne d’alimentation électrique et la consommation du circuit de refroidissement.
Utilisé par OVHcloud, notamment, le watercooling tire profit, par exemple, des propriétés caloriporteuses de l’eau. La conception même du datacenter, son implantation dans des zones septentrionales ou son alimentation par des énergies renouvelables sont d’autres pistes envisagées. Plus généralement, la consolidation du nombre de datacenters et la bascule dans le cloud sont porteuses des gains en matière de consommation énergétique.
« La puissance électrique nécessaire à l’exploitation de serveurs en racks dans un environnement on-premise est nettement supérieure à celle d’un datacenter optimisé d’un cloud provider, observe Henri d’Agrain.
De même, selon lui, l’emplacement des datacenters — donc la nature de l’énergie locale — peut être déterminant. « Entre un datacenter situé en France et alimenté par l’énergie décarbonée du nucléaire et un autre basé en Pologne dont l’électricité est principalement issue des centrales au charbon, le facteur est de six à huit. »
3 Optimiser les infrastructures
Laurence Jumeaux note également les impacts positifs de la cloudification du SI : « Les providers travaillent depuis quelques années à optimiser leurs infrastructures. Comme pour la sécurité, ils sont mieux armés sur ces sujets que les entreprises. »
« La difficulté est d’obtenir des métriques personnalisées et précises sur l’empreinte carbone de ses usages dans le cloud, au-delà des calculettes génériques proposées par les hyperscalers. Où sont datacenters ? Quels types de serveurs sont utilisés ? On n’a pas toujours les réponses. » détaille-t-elle. À cet effet, Capgemini a développé sa propre calculette.
En surveillant la consommation des ressources cloud, une approche FinOps peut, par ailleurs, réconcilier l’objectif de réduction de coûts avec l’enjeu de sobriété numérique. On parle alors d’écolonomie (écologie + économie).
La méthode FinOps imposera notamment aux équipes IT des règles d’hygiène élémentaire comme éteindre des ressources cloud inutiles la nuit ou de bien décommissionner les machines virtuelles utilisées pour un projet à la fin de celui-ci.
4 Écoconception : 30 % de gain d’énergie
Les collaborateurs de la DSI doivent être aussi sensibilisés aux principes de l’écoconception, ou comment prendre en compte les impacts environnementaux d’un applicatif dès la phase d’étude, quitte à bloquer les projets jugés trop « polluants ».
« Les directions métiers font leur liste au père Noël lors de l’expression des besoins alors que 20 à 30 % des fonctionnalités sont peu ou pas utilisées », observe Frédérick Marchand. « Chaque fonctionnalité a un impact environnemental et social négatif ou positif. Par exemple, l’autocomplétion d’un moteur de recherche qui consiste à proposer à l’utilisateur des résultats au fur et à mesure qu’il saisit une requête est particulièrement énergivore. »
Pour l’expert, il faut suivre la règle des 3 U. « Une fonctionnalité est-elle utile, utilisable et utilisée ? L’intérêt de la messagerie interne d’un service de banque en ligne pose, par exemple, question. Elle est rarement utilisée. »
L’écoconception est aussi, à ses yeux, un facteur d’inclusion en favorisant l’accessibilité à des populations fragilisées, un autre pilier du numérique responsable. Il rappelle qu’il y a des millions de malvoyants en France, au-delà des handicaps plus légers comme le daltonisme ou la dyslexie.
Par ailleurs, les applications ou les sites web écoconçus fonctionnent sur de vieux PC et d’anciennes versions de système d’exploitation ou de navigateur web.
« Si on intègre ces notions d’écoresponsabilité dès le début d’un projet, cela ne représente pas de surcoût », estime Laurence Jumeaux. Des gains peuvent aussi être obtenus sur les applications déjà en production. « Au fil des années, les sites institutionnels ont démesurément grossi par empilement de couches successives », illustre-t-elle.
Pour accompagner les DSI sur la voie vertueuse de l’écoconception, APIdays et GreeNet.io ont organisé, cette année, la deuxième édition de leur Challenge Sobriété numérique.
« Des équipes IT de grandes entreprises françaises se rassemblent pendant trois mois pour réduire l’empreinte carbone de leurs activités, explique Oury Thomas, COO d’APIdays. Accompagnées par des experts et des mentors, elles apprennent à optimiser leur code, le design de leurs applications, l’architecture technique sous-jacente ou la gestion des données. »
Financé par des sponsors comme Google Cloud, Back Market ou Ippon, ce programme de coaching est gratuit pour les DSI. Cette année les gagnants du challenge ont été Allianz, OuiSNCF, Yves Rocher, Leroy Merlin et Meetic.
Les activités à plus fort impact sont généralement des applications de front end ou des sites web. Allianz s’était ainsi donné pour objectif de réduire les émissions de carbone du site Allianz.fr, visité par des centaines de milliers d’utilisateurs, pour la consultation d’un contrat sur l’espace client.
Pour Henri d’Agrain, qui évalue le gain énergétique à 30 % entre le passage d’un code « traditionnel » à un code optimisé, « le monde académique doit aussi apprendre aux futurs développeurs et ingénieurs à coder de façon sobre. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas. Dans les années 1980, les informaticiens n’avaient d’autre choix, soumis à des ressources contraintes, que d’optimiser leur code. Aujourd’hui, le cloud propose des ressources qui paraissent infinies. Cela n’incite pas à produire un code sobre. »
Le délégué général du Cigref renvoie aussi la responsabilité aux éditeurs, à l’origine de l’essentiel du code qui tourne dans le monde. « Le régulateur a un rôle à jouer pour le contraindre à l’optimiser. Par ailleurs, des normes comme ISO 25010 ou ISO 5055:2021 encadrent également la qualité logicielle et donnent des orientations pour améliorer la conception sobre du code. »
Une fois l’application en production, il génère des données et Mazars s’est penché sur l’amélioration des espaces de stockage. « Nous avons revu notre système d’archivage qui reposait sur des cartouches physiques externalisées chez un hébergeur », explique Christophe Tallot.
« Il représentait un coût économique et écologique important. Ces cartouches ont été détruites par un spécialiste et remplacées par des disques durs bas débit dans nos infrastructures. Dans nos métiers du chiffre, nous avons aussi la fâcheuse tendance, par précaution, à garder tout type de données métiers bien au-delà des délais de conservation légale, qui s’échelonnent de 12 à 30 ans, poursuit Christophe Tallot. Un processus de suppression automatique les détruit maintenant au fur et à mesure que ces délais sont dépassés. »
Mazars a aussi introduit un processus de déduplication et de compression de la donnée. « Une même version d’un document peut circuler au sein du cabinet entre un consultant junior, un senior et un associé avec un taux de duplication pouvant atteindre 80-85 %. Outre le volet environnemental, ce travail de nettoyage offre une plus grande rapidité d’accès à l’information et un coût de stockage moindre. »
5 Sensibiliser les collaborateurs
Le dernier chantier n’est pas celui qui a le plus d’impact, mais il présente l’avantage de donner de la visibilité à une stratégie de numérique responsable : la sensibilisation du collaborateur.
« En tant qu’utilisateur, il doit prendre conscience des enjeux de la sobriété numérique, estime Laurence Jumeaux. Pour éviter l’envoi de vidéos ou de pièces jointes à de multiples destinataires, il s’agit de le responsabiliser sur ses actes. »
Cette sensibilisation peut, passer par l’organisation d’ateliers avec « La Fresque du numérique », la constitution d’un réseau d’ambassadeurs ou la tenue d’événements comme le Digital Cleaning Day où l’on apprend à nettoyer son PC.
Le cabinet Mazars a, lui, profité de la semaine RSE pour lancer une campagne « Nettoie ta boîte mail ».
« L’étape suivante consistera à se doter d’outils de mesure pour évaluer notre empreinte carbone sachant qu’avec la généralisation du cloud, nous sommes de plus en plus dépendants des providers sur ce sujet », expose Véronique Beaupère, associée chargée des initiatives de Green IT.
De son côté, Vinci a codéveloppé avec le cabinet Lecko une application qui mesure l’empreinte carbone associée aux pratiques et usages des solutions Microsoft365.
En cours de déploiement, GreeT permettra de sensibiliser les collaborateurs sur leur empreinte carbone et, à l’échelle d’une équipe, de lancer des défis réguliers pour encourager les utilisateurs à adopter des pratiques plus responsables.
Parmi les recommandations classiques, on peut citer la transmission d’un document depuis un lien, renvoyant à un espace de stockage en ligne, plutôt qu’une pièce jointe ou la coédition d’un document en mode collaboratif, le recours au Wi-Fi de l’entreprise plutôt que la 4G/5G ou l’extinction de son poste de travail avant de partir le soir.
Un guide de bonnes pratiques rappellera quand désactiver sa caméra en visioconférence ou comment supprimer les fichiers obsolètes sur un disque local, une messagerie ou sur les espaces serveur partagés.
Selon les experts interrogés, le terreau est actuellement favorable. Le Green IT entre en résonnance avec les préoccupations environnementales des collaborateurs et tout particulièrement des jeunes actifs des générations Y et Z. Même si ces derniers ont des comportements contradictoires.
« Ils se disent sensibilisés au sujet, mais consomment des vidéos à la chaîne sur TikTok », pointe Frédérick Marchand. En surfant sur cet engouement, une stratégie de numérique responsable peut, enfin, être un levier pour attirer et fidéliser des talents, notamment au sein de la DSI.
Sur le même thème
Voir tous les articles Green IT