Numérique : le poids environnemental des usages français hébergés à l'étranger
L'ADEME et l'Arcep ont actualisé leurs estimations sur l'empreinte carbone du numérique en France, en tentant d'intégrer les usages hébergés à l'étranger.

Difficile de juger l'empreinte carbone du numérique en France sans prendre en compte les usages hébergés à l'étranger ? L'ADEME et l'Arcep avaient en tout cas procédé ainsi jusqu'alors, non sans reconnaître les limites qui en découlaient.
Les deux agences ont finalement intégré cette dimension dans le cadre d'une mise à jour de l'étude qu'elles avaient publiée début 2022. Il en résulte une nette hausse de l'impact environnemental estimé. À commencer par les émissions de gaz à effet de serre (CO2e, "équivalent CO2"). La conséquence d'un cumul d'effets : plus de la moitié des usages français sont hébergés dans des infrastructures situées à l'étranger... où le mix énergétique n'est souvent pas aussi favorable que dans l'Hexagone.
L'ADEME et l'Arcep ont fait évoluer d'autres paramètres toutefois moins impactants. Elles ont, par exemple, intégré les résultats de leur étude sur l'empreinte environnementale de la fourniture d'accès à Internet en France. Et accru, dans leurs estimations, la part de TV à technologie OLED (plus consommatrices que les LED-LCD).
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Avec les datacenters à l'étranger, l'empreinte carbone du numérique augmente presque de moitié
Les chiffres initiaux portaient sur l'année 2020. Les émissions liées au numérique étaient évaluées à 17,2 millions de tonnes CO2e (soit 2,5 % de l'empreinte carbone de la France). 79 % provenant des terminaux, 16 % des datacenters et 5 % des réseaux (équipements pris en considération sur tout leur cycle de vie).
Réajustées avec la nouvelle méthodologie, les émissions du secteur pour 2020 passent à 25 Mt CO2e (+47 %). La répartition entre les catégories d'équipements change nettement: 54 % pour les terminaux, 42 % pour les datacenters et 4 % pour les réseaux.
En suivant cette même méthodologie, l'ADEME et l'Arcep ont entrepris de publier des chiffres pour l'année 2022. En ressortent des émissions estimées à 29,5 Mt CO2e (+18 %). C'est-à-dire 4,4 % de l'empreinte carbone de la France. L'écart entre les terminaux (49,5 %) et les datacenters (46,7 %) se réduit, alors même que le rapport est presque d'un pour trois quand on considère la consommation finale d'énergie (63,9 % pour les terminaux, 23,1 % pour les datacenters)*.
Une correspondance avec le modèle Masanet
Sur la partie terminaux, les deux agences ont repris la plupart de leurs hypothèses initiales (nombre d'équipements, configurations moyennes, durées de vie...). En appliquant, donc, une hausse de la proportion d'écrans OLED (13,3 %, contre 2,4 % en 2020). Et en ajoutant les casques VR : 971 215 à usage personnel, 115 520 à usage professionnel, pour une durée de vie de 3 ans et une consommation annuelle moyenne de 1,8 KWh.
Pour ce qui est de l'évolution des datacenters en France entre 2020 et 2022, le modèle Masanet - qui fournit des projections à partir de données Cisco - a été choisi. En ont découlé plusieurs paramètres :
- Augmentation de 2 % de la consommation électrique
- Diminution de 7 points de la part de consommation des datacenters traditionnels
- Augmentation de 6 points de la part de consommation des datacenters hyperscale/HPC
Le datacenter "traditionnel" du modèle Masanet est l'équivalent, dans la nomenclature ADEME/Arcep, des datacenters de catégories "public local", "public national" et "entreprises". Ceux de type "cloud" correspondent à "colocation" ; ceux de type "hyperscale", à "HPC".
Une métode de calcul... basée sur de nombreuses hypothèses
L'estimation de usages français hébergés à l'étranger s'appuie sur quelques suppositions. Parmi elles :
- Même répartition par type de datacenter que les usages mondiaux donnés dans Masanet (20 % traditionnel, 34 % cloud, 46 % hyperscale)
- Pour les datacenters traditionnels, hébergement de l'ensemble des usages en France
- Exclusion des usages étrangers hébergés en France, car jugés négligeables en termes de trafic
- Facteurs d'impact sur le cycle de vie similaires pour les datacenters en France et à l'étranger
- Densité, taux de charge et PUE identiques entre les datacenters "cloud" étrangers et les datacenters "colocation" en France ; ainsi qu'entre hyperscale (monde) et HPC (France)
Sur cette base a été réalisé le calcul suivant :
- Consommation des datacenters cloud en France (France vers France + France vers monde) = 5,72 TWh (d'après l'étude ADEME-Arcep)
- Consommation des datacenters cloud "France vers France" + consommation des datacenters cloud "monde vers France" = 34,42 % de la consommation totale des datacenters (projections Masanet)
- Consommation des datacenters traditionnels en France en 2022 = 4,95 TWh (ADEME-Arcep), soit 19,61 % de la consommation totale des datacenters (Masanet)
- Consommation totale des datacenters pour les usages français = 4,95 x 100 / 19,61 = 25,2 TWh
- Consommation des datacenters cloud "France vers France" + consommation des datacenters cloud "monde vers France" = 34,42 x 25,2 = 8,68 TWh.
- Consommation des datacenters cloud "monde vers France" = 8,68 TWh - consommation des datacenters cloud "France vers France" = 2,96 TWh
Pour la consommation électrique, on se base sur la répartition par région du modèle Masanet et on y applique un mix électrique niveau UE, USA ou Chine.
En faisant les mêmes hypothèses de densité électrique et de PUE, on peut estimer la superficie des salles informatiques des datacenters à l'étranger.
Surface des datacenters : des données obsolètes ?
Les multiples hypothèses qui soutiennent le calcul de cette part importée sont porteuses d'incertitudes sur le volet datacenter, reconnaissent l'ADEME et l'Arcep. Les deux agences soulignent par ailleurs que les usages hébergés en France et à l'étranger ne sont pas les mêmes. Par exemple, le contenu audiovisuel est hébergé en majorité sur des serveurs "cache" situés sur le territoire français. Tandis que les usages liés à la GenAI sont davantage localisés à l'étranger.
Entre autres limites, les réseaux télécoms hors France restent non pris en compte. En outre, l'estimation des surfaces totales par typologie de datacenter date de 2020 et "semble donc obsolète", pour reprendre les mots de l'ADEME et de l'Arcep. Des travaux d'actualisation sont en cours dans le cadre d'une étude prospective.
* En 2022, les datacenters ont utilisé 51,5 TWh, soit 11,3 % de la consommation électrique française. En y ajoutant les datacenters étrangers, on passe à 65 TWh.
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