Le plan de l'Etat pour enfin dématérialiser les factures
Pour généraliser la facture électronique dans le secteur public, l'Etat fait le choix d'une solution mutualisée, dont la conception est confiée à l'AIFE, l'agence qui pilote le progiciel comptable Chorus. Et espère que cette étape permettra de généraliser la pratique à toute l'économie française.
Accélérer dans la dématérialisation des factures en se servant de l'achat public comme d'un levier. C'est en résumé la démarche qu'entend mettre en place l'Etat, via une ordonnance du 26 juin dernier qui prévoit l'obligation pour les entreprises de dématérialiser leurs factures au secteur public entre 2017 et 2020. Si l'obligation s'étale sur 3 ans pour le secteur privé (les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés étant concernées dès le 1er janvier 2017, les microentreprises ayant elles 3 ans de plus pour s'y mettre), elle concerne d'emblée l'ensemble du secteur public. « C'est un point qui a insuffisamment été souligné », souligne Régine Diyani, directrice de l'AIFE (en photo ci-dessous), l'Agence pour l'informatique financière de l'Etat qui est chargée de mettre en place la solution mutualisée que devront exploiter les administrations d'Etat, les collectivités, les établissements publics nationaux ou locaux (y compris le secteur hospitalier) pour accepter les factures électroniques.
Si le chantier échoit à l'AIFE, c'est que l'agence dépendant du ministère des Finances a déjà développé une solution permettant d'injecter des factures dans Chorus, le progiciel comptable de l'Etat. Mis en service en 2012, ce module, baptisé Chorus Factures, répond à une première obligation légale, datant de la loi de modernisation de l'économie de 2008 et imposant à l'Etat d'être en mesure de recevoir des factures électroniques. Mais, faute d'obligation pour les entreprises, le système n'a pris en charge 'que' 400 000 factures en 2014, sur un total de 4 millions reçues par l'Etat, selon les chiffres donnés par l'AIFE lors d'un séminaire sur le sujet organisé à Bercy. Avec l'extension à l'ensemble du secteur public et l'obligation faite aux entreprises de passer par le système, la volumétrie sera toute autre : on parle ici d'environ 100 millions de factures et de 80 000 entités concernées du côté des récepteurs. « L'industrialisation sera un élément important, souligne Emmanuel Spinat, le directeur du programme au sein de l'AIFE. Y compris pour l'assistance et la gestion des sollicitations. »
Mise à niveau des systèmes d'information
Pour prendre en charge ces nouvelles contraintes et l'intégration à de multiples systèmes d'information - collectivités et établissements publics ayant des SI très disparates au contraire de l'administration d'Etat -, une nouvelle solution, basée sur les développements existants autour de Chorus, est en passe d'être développée. Pour l'Etat, elle remplacera Chorus Factures. Le chantier a été confié en décembre dernier à un groupement Sopra-Steria et Capgemini, pour un montant de 5,1 millions d'euros. Selon le calendrier, le développement de la solution, dont les spécifications externes viennent d'être publiées, doit s'achever au second trimestre 2016, pour laisser la place à des pilotes et à un déploiement simultané de la solution (voir ci-dessous). Un timing serré d'autant que la mise en place de Chorus Portail Pro 2017 - le nom du système mutualisé - implique des mises à jour des systèmes d'information des établissements publics, des collectivités et, dans une moindre mesure, des entreprises. Ce qui, vu l'échelle du projet, promet quelques difficultés, même si l'AIFE a entamé une démarche de concertation avec tous les acteurs concernés dès 2013.
L'enjeu financier est, lui aussi, de taille. Selon une étude d'impact réalisée en juin dernier, une fois généralisée (soit en 2020 selon le calendrier actuel), la mesure devrait générer quelque 710 millions d'euros d'économies à l'année, l'essentiel provenant de gains de temps (près de 12 000 équivalents temps plein !). Sur ce total, les entreprises s'adjugeraient plus de 330 millions d'économies et les collectivités 260. Reste que cette évaluation des gains repose sur des métriques issues du privé. Pas sûr que ces dernières soient pleinement transposables au public, comme le reconnaît d'ailleurs l'étude d'impact, qui relève notamment que l'organisation administrative qualifiée de très éclatée est « susceptible d'amoindrir les effets d'une automatisation ».
Si les gains réels restent difficiles à projeter, l'approche technique vise à offrir le maximum d'options tant aux émetteurs qu'aux récepteurs. Afin de limiter les résistances. « L'émetteur pourra choisir le mode d'émission de sa facture. Et, à l'autre bout, l'entité publique choisira son mode de réception, assure Emmanuel Spinat (ci-contre). La solution va masquer la complexité grâce à un format pivot facilitant l'intégration dans les systèmes d'information des destinataires. Toute la logique de la solution réside dans la simplification du côté émetteur et récepteur. » C'est bien cette moulinette qui est le coeur de Chorus Portail Pro 2017 (CPP 2017).
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Format pivot, portail ou API
Les fournisseurs pourront ainsi intégrer leurs factures via une saisie sur un portail, le dépôt de documents (XML ou PDF signés ou non) ou l'échange de données informatisées (en direct ou via un opérateur de dématérialisation). L'outil lui-même assurera des fonctions de contrôle de cohérence, de suivi des factures, un archivage des données (pour l'instant de 10 ans et pour le seul compte des fournisseurs, mais l'AIFE laisse entendre que le secteur public devrait aussi bénéficier d'une solution mutualisée au sein de CPP 2017) ainsi qu'une conversion au format pivot. Et proposera un annuaire des entités publiques. Ces dernières auront, elles, le choix entre trois modes d'accès aux données. Un mode portail, permettant simplement de rechercher, visualiser et télécharger des pièces. Un flux au format pivot permettant l'intégration aux systèmes d'information. Et un mode baptisé 'services', exposant les principales fonctionnalités du portail sous la forma d'une API Rest JSon. « Ce nouveau mode sera conforme aux normes préconisées par la Disic (la DSI de l'Etat, NDLR) », assure Emmanuel Spinat.
« Chaque entité publique disposera aussi de capacités de paramétrage, pour préciser le code du service concerné quand il n'y a pas de point de traitement unique de la facture ou le numéro d'engagement préalable de la dépense », reprend le responsable. Qui précise que chaque organisation pourra décider si ces mentions sont obligatoires ou pas. Rappelons que le rapprochement de la facture avec le numéro d'engagement est un point clef de la LOLF (Loi organique sur les lois de finances), car il permet de mettre en place un suivi budgétaire. Actuellement, les factures dématérialisées dans Chorus doivent obligatoirement comporter le numéro de l'engagement juridique. Il devrait en être de même pour 700 collectivités territoriales, groupements de collectivités ou opérateurs concernés par la réforme GBCP (Gestion Budgétaire et Comptable Publique) et la mise à jour des progiciels comptables qui l'accompagne. Les autres devraient donc avoir le choix. L'AIFE nous a d'ailleurs précisé, qu'à ce stade, Chorus Portail Pro 2017 ne comporte pas de dimension de suivi d'exécution budgétaire.
Format unique, investissement pérenne ?
Notons, en complément, que la solution devra afficher des informations de suivi de traitement des factures pour les fournisseurs. Ce qui signifie que les systèmes d'information des entités publiques devront également faire remonter des données dans Chorus Portail Pro 2017. « Pour les collectivités, un certain nombre de ces retours dépendront de Helios (progiciel de gestion des comptabilités des collectivités locales de la DGFiP, NDLR), mais n'existeront qu'à la condition qu'y soient intégrés les numéros de factures. Or, c'est peu le cas aujourd'hui », avertit Emmanuel Spinat. Bref, côté collectivités, tant en raison des chantiers technique qu'organisationnel (la période de transition 2017-2020 se traduisant par le maintien des anciens processus et des nouveaux), le chantier s'annonce complexe.
La perspective est toutefois bien accueillie par François Desgardin, sous-directeur de la compatibilité à la Mairie de Paris (en photo). « Ce projet doit nous permettre de continuer à réduire notre délai de paiement », explique-t-il, rappelant qu'un tiers des faillites en France provient de difficultés de trésorerie. Tout en gagnant en productivité au sein de ses équipes. Pour lui, la solution mutualisée de l'Etat aura surtout le mérite d'imposer un standard dans un domaine qui en manquait cruellement. « Chaque grand compte nous proposait son format propre de flux pour échanger des données de facturation. A un moment, on a décidé de tout arrêter car cet éclatement n'était plus tenable, explique François Desgardin. Là, avec un format unique, on peut espérer réaliser un investissement pérenne. On sait que la route sera longue et pénible. Mais je suis persuadé qu'on s'engage sur la bonne voie. »
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