Validés par la justice, les accès indirects secouent la communauté SAP
L'affaire a beau être britannico-britannique, elle n'en pas moins suscité des remous dans l'ensemble de la communauté des utilisateurs de SAP. Dans un arrêt du 16 février, la Haute cour de justice du Royaume-Uni a reconnu que des accès indirects à SAP - autrement dit au travers d'applications tierces - devaient donner lieu à des frais de licences, dûment acquittées à l'éditeur allemand.
Dans cette affaire, née d'une plainte de SAP, le groupe Diageo, un géant des boissons alcoolisées qui avait exploité les données de son ERP au sein de deux nouveaux systèmes (Connect et Gen2) bâtis sur les solutions Salesforce, se voit condamné par la justice britannique. Même si cette dernière a refusé de suivre SAP dans son calcul d'une amende. L'éditeur réclamait pas moins de 64 millions d'euros !
En France, pas d'affaire à ce jour
Exceptionnelle par sa portée - la reconnaissance des accès indirect, la principale pomme de discorde entre l'éditeur de Walldorf et ses clients - mais aussi par son mécanisme - c'est l'éditeur qui a porté plainte contre son client -, l'affaire a suscité plusieurs réactions. Nous en publions ci-après les meilleurs extraits.
Signalons que l'USF, le club des utilisateurs francophones, explique de ne pas avoir connaissance à ce jour d'une quelconque affaire de même nature devant les tribunaux français. Ce qui ne signifie pas, pour autant, que les relations entre les grandes entreprises françaises et la filiale hexagonale de SAP soient au beau fixe sur la question des accès indirects. En juillet dernier, l'USF dénonçait un durcissement des audits menés par l'éditeur, avec, dans certains cas, des redressements se chiffrant en dizaines de millions d'euros. Or, dans le cadre de ces audits, c'est souvent la question des accès indirects qui pose problème.
« Une défense contre les abus de SAP »
Duncan Jones, analyste chez Forrester, publie un billet de blog sur l'affaire où il met en garde contre une lecture trop rapide du jugement :
« J'ai lu de nombreux tweets disant que « les droits de licence SAP sont dus même pour les utilisateurs indirects ». Ce n'est pas nouveau ! Le tribunal n'a pas cherché à savoir si les prétendus utilisateurs se sont connectés ou non à SAP, car ce n'est pas une question pertinente. Vous ne devriez pas avoir besoin d'un juge de la cour suprême pour vous dire qu'abuser de la propriété intellectuelle de quelqu'un, en collant simplement votre interface au-dessus de son logiciel, n'est pas autorisé.
La juge [britannique] explique en revanche pourquoi le scénario d'utilisation en libre-service mis en oeuvre par le client se traduit par un emploi de SAP : « Chaque étape du processus de commande nécessite que le client lance la transmission d'un message de Connect (le système que Diageo a construit avec Saleforce, NDLR) à mySAP ERP et reçoive une réponse correspondante de mySAP ERP ». Peut-on raisonnablement prétendre que ceci ne revient pas à 'utiliser le logiciel' ?
Les principales conclusions [de la juge O'Farrell] reposent sur ce concept d'interaction pour distinguer les scénarios impliquant l'accès [à SAP] de ceux qui n'y ont pas recours. Par exemple, elle écrit : « Les commerciaux n'accèdent pas ou n'utilisent pas mySAP ERP lorsqu'ils récupèrent des données, comme celles relatives aux produits, dans le cadre de leurs appels ou de leurs visites aux points de vente ». La plupart des plaintes que j'entends de la part de clients concernant des revendications déraisonnables des vendeurs SAP impliquent ce dernier type d'accès - aux données - et non une intégration logicielle synchrone, un cas qui nécessite des licences d'utilisateur selon le juge. Par conséquent, le jugement renforce plutôt la défense des clients SAP contre les abus d'accès indirect. »
« A l'opposé de l'image que SAP veut se donner»
Chris Kanaracus, analyste pour Constellation Research, pointe les risques que prend l'éditeur en poursuivant ce qui peut être perçu par ses clients comme une politique jusqu'au-boutiste :
« SAP a longtemps utilisé les audits de licence pour inciter ses clients à effectuer des paiements pour ce qu'il considère comme un accès indirect illégal à son logiciel. Constellation s'accorde avec les paramètres généralement reconnus dans l'industrie sur l'accès indirect, qui devraient inclure la capacité à traiter les données par lots, à regrouper les informations dans un entrepôt de données ou autre stockage de données, à accéder à des données pour les utiliser dans un autre système par intégration et à entrer des données provenant d'un système tiers.
Sur cette base, il ne semble pas que Diageo ait enfreint les règles écrites ou non écrites. Diageo a le droit de faire appel de la décision du juge - et on pourrait s'y attendre. Mais, pour l'instant, la décision peut encourager SAP à chercher d'autres litiges autour de l'accès indirect non seulement au Royaume-Uni, mais aussi dans d'autres pays.
Constellation croit que la poursuite excessive de ces revenus supplémentaires est une politique anti-client, et s'affiche en contradiction avec l'image plus conviviale que SAP cherche à se donner sous la direction de son Pdg Bill McDermott. Cette politique est également contre-productive à long terme, car des options viables pour sortir de l'ERP SAP commencent à émerger de la part de concurrents. »
« Une destruction mutuelle»
Vinnie Mirchandani, ancien analyste et fondateur de Deal Architect, avertit SAP des effets négatifs d'une stratégie qui consisterait à multiplier les réclamations autour des accès indirects : certes sortir de SAP reste difficile. mais pas - ou plus - impossible selon lui :
« Si [ce jugement] encourage SAP à devenir plus agressif en poursuivant davantage de clients, je suis convaincu que cela va accélérer les stratégies d'adaptation des utilisateurs - la diversification loin de SAP et de ses partenaires. Sauf que cette fois, les clients vont aussi sortir SAP du coeur de leur activité. La réalité chez beaucoup de clients SAP est que [.] la couverture fonctionnelle effectivement fournie par l'éditeur est assez réduite. Beaucoup de systèmes périphériques offrent les fonctionnalités spécifiques à l'industrie ou d'autres elles-aussi critiques.
Les clients ont toléré SAP sur les fonctions coeur, mais la douleur financière et émotionnelle émanant des menaces constantes d'audits devient un peu trop insupportable. Oui, cela va coûter cher à ces clients de migrer loin de ce noyau ; en ce sens, on parle bien d'une 'destruction mutuelle assurée' pour les deux côtés. »
« Plus de clarté de la part de SAP»
Philip Adams, le président du groupe utilisateurs SAP en Grande-Bretagne et en Irlande, ne peut que constater les dégâts. Tout en dénonçant le manque de clarté de l'éditeur sur la question des accès indirects (la firme de Walldorf se refuse par exemple à les définir), Philip Adams adopte une position assez mesurée :
« Cette affaire souligne l'inquiétude grandissante entourant les accès indirects. C'est un sujet que nous avons soulevé lors de notre conférence annuelle de novembre, appelant à une plus grande simplicité et clarté de SAP sur ce qui constitue l'utilisation indirecte de ses technologies et les implications en matière d'octroi de licences. Nous incitons également tous nos membres à la vigilance et à examiner leurs positions individuelles en matière de licences.
Il est clair qu'il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce sujet ; les clients n'aiment pas les surprises et, faute d'une plus grande clarté de la part SAP, c'est exactement ce que nous pourrions obtenir. C'est pourquoi deux membres de notre conseil participent à la charte du Sugen (l'organisation qui fédère tous les clubs utilisateurs de SAP dans le monde, NDLR) sur le licensing et c'est pourquoi nous continuons à soulever cette question des accès indirects au niveau mondial et local auprès de SAP. »
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Crédit photo : Reynald Fléchaux
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