Luc de Brabandere,Big Data est un outil de découverte pas d'innovation
Luc de Brabandere est un mathématicien et philosophe belge. Ancien responsable de la practice créativité, il est aujourd'hui Fellow au Boston Consulting Group. Avant son intervention au colloque USI proposé par Octo, il nous a livré ses réflexions sur le Big Data.
Silicon : Pourriez-vous nous rappeler votre parcours au sein du BCG et le rôle particulier que vous jouez aujourd'hui ?
J'ai été associé douze ans au BCG en tant que responsable de la practice créativité. Vous savez, dans les entreprises, il y a une toujours une partie où il y a des chiffres, dans la finance ou la comptabilité par exemple. En revanche, il y a également toute une partie non chiffrée qui concerne la motivation, le stress, l'image de marque ou la créativité par exemple. Etre rigoureux lorsqu'il y a des chiffres c'est facile, mais lorsqu'il n'y en a pas, il y a toujours la tentation de la discussion du café du commerce. Ma spécialité, c'est la rigueur quand il n'y a pas de chiffres.
Dans le titre de votre conférence, vous présentez Darwin, Kepler et Champollion comme des pionniers du Big Data. Pourriez-vous nous expliquer cet anachronisme ?
Darwin a basé son analyse sur 5 ans de prise de notes, Kepler sur des millions d'étoiles. A leur échelle, il s'agissait de Big Data. Il y a d'ailleurs toute une partie qui est de l'ordre du concept. Le concept d'ellipse existait avant Kepler et je crois que le Big Data aurait pu le trouver car le concept existait. Par contre, concernant la théorie de l'évolution de Darwin, j'ai des doutes, car le champ des possibles est tellement vaste que cela sort de son système.
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Vous allez aborder la question de la découverte et de l'invention en perspective avec l'apparition Big Data. Pensez-vous que le Big Data va favoriser la créativité ?
Le Big Data est un outil extraordinaire pour découvrir, mais non pour inventer. La naissance des idées est de l'ordre du concept et non du chiffre. Tout le problème aujourd'hui, c'est que l'on manque de concepts. Or les concepts naissent de l'oubli, l'oubli des détails par exemple. Lorsque l'on mange dans plusieurs restaurants, alors émerge le concept de restaurant qui n'est pas lié aux détails. Une machine ne peut pas conceptualiser, elle ne peut pas oublier sa propre mémoire ou alors elle est programmée pour le faire : elle ne peut pas créer son propre programme.
Le Big Data n'est-il pas tout de même un outil qui peut permettre à l'homme de favoriser sa créativité par la découverte ?
Certainement, ce sont des outils d'une puissance extraordinaire. Mais il restera toujours le dernier chainon qui est purement humain. C'est absurde lorsque l'on dit que les algorithmes remplaceront les cadres. Par définition, le but du cadre, c'est de ne pas être un algorithme.
Cependant, même le nom de « Big Data » n'est pas bon. On pourrait croire qu'il s'agit de data « big ». Rien que de l'appeler comme cela montre le besoin de créativité. C'est la même chose avec les imprimantes 3D, elles n'ont plus rien à voir avec des imprimantes traditionnelles. On voit là le besoin de l'être humain de raccrocher toujours au concept précédent. Par exemple, au BCG, j'ai suggéré l'utilisation du terme d'Advanced Synthetics, car conceptualiser, c'est synthétiser.
En quoi le Big Data va-t-il changer le métier de consultant ?
Cela dépend de comment on définit le métier de consultant. Pour moi, un consultant est quelqu'un qui aide à changer. La manière dont il aide a déjà changé, car les modèles (cost-cutting, value-chain, etc) ont changé. Par contre, l'utilisation des modèles et la modélisation demeurent. La partie qui utilise les modèles est une partie algorithmique qui à mon avis sera un jour totalement sur les machines. La partie qui modélise est en train de bouger.
Voyez-vous des sujets qui vont changer l'humanité grâce au Big Data ?
C'est sûr que dans la médecine, il va y avoir des bonnes nouvelles. Par contre, il faut sortir de la question de savoir si le Big Data est bien ou mauvais, c'est bien et mauvais. C'est à l'utilisateur de se positionner. Dans l'éducation également, j'ai des collègues qui n'ont plus d'élèves, car il y a nettement mieux sur Internet, des professeurs de Stanford par exemple. Le jour où le CAC40 n'axera plus son recrutement sur les diplômes, mais sur d'autres critères, il y aura là aussi de profonds changements.
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