Paye des militaires : Louvois est enterré. et Steria dédouané ?
Le ministre de la Défense a tranché : Louvois, le système de paie des militaires source de multiples dysfonctionnements, va être abandonné. La responsabilité de Steria, à l'ouvre sur ce projet « catastrophique », ne semble pas centrale dans cet échec retentissant.
Il devait profiter d'une visite à Varces, en Isère, le 3 décembre pour annoncer la mort programmée de Louvois, le système d'information gérant la paie des militaires qui connaît une multitude de ratés. Mais Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, n'a même pas attendu cette échéance et a confirmé ce mardi matin, sur Europe 1, l'abandon de ce progiciel mis en place en 2011 et tant décrié depuis en raison de ses multiples erreurs dans le calcul de la solde des militaires. Un projet qualifié de « vraie catastrophe » par le ministre. Un projet qui avait déjà nécessité l'intervention de son prédécesseur à ce poste, Gérard Longuet. Deux ministres qui sont allés de promesses en ultimatums sans que réellement le projet ne se stabilise.
« On va remettre en place un dispositif plus robuste, qui va être préparé avec beaucoup de vigilance, qui va être expérimenté, et qui va se mettre en place dans les mois qui viennent », a promis Jean-Yves Le Drian, chez nos confrères.
En raison des difficultés récurrentes que connait le logiciel, l'hypothèse d'un abandon de Louvois avait déjà été évoquée. D'abord dans un audit remis en janvier dernier au ministre par Christian Piotre, le chef du Contrôle général des armées, où était préconisé « un retour provisoire à (.) l'ancien calculateur ». Un rétro-pédalage qui nécessiterait entre dix et quatorze mois de travail, avait alors expliqué le Contrôleur général des armées. L'ancien calculateur est encore exploité par la gendarmerie, où il gère la solde de 96 000 fonctionnaires, sans difficultés.
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Presque 20 ans de tâtonnements
De facto, retourner à l'ancien calculateur apparaît aujourd'hui comme l'hypothèse la plus probable, en attendant le raccordement au SI-Paye de l'Opérateur national de paie (ONP), une mutualisation de la paie des 1,3 million de fonctionnaires que compte le pays et qui prévoit la prise en charge des personnels du ministère (militaires inclus) en octobre 2016. Or, selon un rapport de la Commission de la Défense nationale datant de septembre, déployer un nouveau logiciel de solde prendrait « deux à trois ans ». Autrement dit, développer un nouveau système de paie ne paraît pas faire sens aujourd'hui. à moins que l'ONP ne dérape à son tour ! Reste évidemment la question de la production de la paye des militaires dans l'intervalle.
Décidé en raisons de la faible productivité des agents avec l'ancien calculateur (15 outils différents, 1 500 agents mobilisés dans les centres payeurs des trois armées et de la gendarmerie), Louvois est un de ces projets fleuves pas réellement nés sous une bonne étoile. Démarré. à la fin des années 90 et victime d'un premier échec (le marché était alors attribué à Sopra), il visait à rationaliser la paie des militaires dans un seul système, raccordé à 5 SIRH censés l'alimenter (un par corps).
Dans les faits, si le galop d'essai de Louvois avec le service de santé des armées, en avril 2011, semble s'être déroulé sans accroc majeur, l'arrivée en octobre de la même année des 130 000 personnels de l'armée de terre met le système au supplice. D'autant que ce corps connaît un grand nombre de situations particulières (comme celle des personnels en opérations à l'étranger). Retards, primes et allocations non payées s'accumulent. Les conjoints de militaires réagissent publiquement, notamment via une page Facebook. L'affaire prend alors une tournure politique.
Steria, un coupable trop parfait ?
Comme le souligne un rapport de la Commission de la Défense nationale, incriminer le seul Louvois est d'ailleurs assez injuste. C'est plutôt un « écosystème Louvois » défaillant qu'il faut pointer du doigt : le progiciel sert en effet de support à « une chaîne RH-solde, qui comprend aujourd'hui une succession d'actes et d'outils allant de la saisie administrative des actes de gestion dans les SIRH à l'émission du bulletin de solde et à la transmission de données à destination d'organismes sociaux et financiers ». Le seul système d'information Louvois comprend un calculateur de solde (baptisé SDI), mais aussi une fonction d'échange (GSI) avec les SIRH et un filtre de données (Condor). S'y ajoutent des données de référence auxquelles Louvois fait appel (référentiel des unités, codifications de référence des personnels).
Cet ensemble complexe (voit schéma ci-contre) permet de porter un jugement plus nuancé sur les responsabilités de cet échec retentissant. De facto, il semble difficile d'incriminer le seul Steria et d'obtenir des réparations de la SSII pour les investissements consentis en pure perte. Car, la société dirigée par François Enaud n'a pas développé le cour de Louvois, le calculateur SDI, mis au point par le ministère de la Défense à partir d'un logiciel de l'armée de l'air, mais seulement les interfaces et, plus tard, le filtre. Or, comme l'écrit la Commission de la Défense dans son rapport, « tous les acteurs interrogés par les rapporteurs reconnaissent que le calculateur qui constitue le « cour » du système d'information Louvois présente des défauts intrinsèques. En cela, Louvois a bel et bien créé des difficultés, et n'a pas seulement révélé les failles des autres systèmes d'information. »
La SSII est bien intervenue sur le cour de Louvois, mais dans un second temps et plutôt en appui, « les équipes du ministère n'ayant accepté que très tardivement de se faire assister sur ce composant », à partir de février 2011, précise la Commission de la Défense nationale. Et d'appeler à ne pas faire de la société Steria « le bouc émissaire des déboires de l'écosystème Louvois ». « La qualité des services de celle-ci n'a jamais été mise en cause par les audits successifs sur l'écosystème RH-solde, et les clauses pénales contenues dans les principaux contrats qui la lient à l'État n'ont, selon ses représentants, pas été mises en ouvre », écrit encore la Commission.
Un autre grand projet : fusionner les SIRH
Dans un communiqué paru ce matin, la SSII affirme s'engager « à assurer ses missions, à savoir la maintenance de Louvois, et à en réparer un maximum de dysfonctionnements jusqu'à la mise en service d'une éventuelle solution de remplacement ». Rappelons tout de même que Steria militait jusqu'à récemment pour la poursuite du projet Louvois, conseillant à la Commission de la Défense diverses actions correctives censées sortir le projet de l'ornière. Et, accessoirement, offrir à ses consultants de nouvelles missions.
Pour expliquer les incroyables dérives de ce projet, le même rapport pointe plutôt la direction du projet, trop cloisonnée et trop peu puissante, la légèreté des tests avant la bascule (particulièrement pour l'armée de terre dont la bascule a exposé en pleine lumière les insuffisances de Louvois) ou encore le contexte de réorganisation des armées (création des bases de défense se traduisant par le regroupement des cellules RH de proximité, réductions d'effectifs, objectifs de la RGPP.).
Louvois aujourd'hui enterré, la Défense va donc miser sur une solution transitoire en attendant l'ONP. Tout en rationalisant en parallèle ses SIRH, l'administration étant engagée dans l'harmonisation de ses processus RH. Ce qui se traduit par la fusion des 5 SIRH du ministère (Concerto pour l'armée de Terre, Rhapsodie pour la Marine, Orchestra pour l'armée de l'Air, Arhmonie pour le SSA et Alliance pour l'ensemble du personnel civil) en un seul, appelé à être raccordé à l'ONP. Ce projet, baptisé Source, est lancé depuis octobre 2011 et devrait coûter 57 millions d'euros d'ici à son déploiement, qui s'étalera de 2015 à 2017, selon les chiffres de la Commission de la Défense. Pour ne pas retomber dans les errements de Louvois, deux audits et une étude par une société tierce ont été menés depuis l'automne dernier. Elles préconisent notamment d'approfondir la conception détaillée de « toutes les fonctionnalités en lien avec le système de paiement de la solde ». Chat échaudé.
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