L'Europe des télécoms en crise doit s'ouvrir aux OTT, selon l'IDATE
2013 aura été une année plate pour les télécoms européens. « En 2013, il n'y a pas grand-chose de nouveau, souligne Yves Gassot, directeur général de l'Idate à l'occasion de la présentation du DigiWorld Yearbook 2014 qui porte sur les marchés des média, de l'IT et des télécoms. La tendance est mauvaise depuis trois ans. » Le constat est toujours le même : les processus de déflation liés à une concurrence accrue provoquant une guerre des prix sur le marché mobile pèsent sur les marges et les capacités d'investissement.
En 2013, les revenus des opérateurs de l'Union européenne ont ainsi chuté de près de 4%. Et de 12% depuis 2008. Dans le même temps, les acteurs américains ont bénéficié d'une croissance de 9%. Ces derniers ont d'ailleurs investi deux fois plus (27,4 milliards d'euros en 2013) que leurs homologues européens (13,4 milliards) dans l'infrastructure mobile (alors que le trafic data a progressé de 40% en Europe). Soit des hausses respectives de 67% et 13% entre 2008 et 2013. Un décalage plus que sensible même en regard de la différence des marchés respectifs (avec 4 opérateurs principaux aux Etats-Unis, dont les 2 premiers occupent 64% du marché, contre environ une vingtaine rien que dans l'Europe des 5 dont les 6 premiers occupent 65% du marché).
Accélération des mouvements de consolidation
Comment sortir de cette spirale déflationniste ? « La guerre des prix trouvera une solution dans la consolidation du marché, à l'échelle nationale dans un premier temps, éventuellement avec des fusions transnationales dans un second temps [allant ainsi dans le sens du marché unique des télécoms en Europe] », estime Yves Gassot. Lequel voit plutôt le mouvement comme salutaire pour le marché comme pour le consommateur final. « Il ne faut pas avoir peur [de la consolidation] car les autorités de régulation, nationales et européenne, sont compétentes aujourd'hui et peuvent contenir les impulsions primaires des acteurs à remonter les tarifs ou à créer des ententes tarifaires. »
Un mouvement de consolidation qui s'est amorcé l'année dernière avec les rapprochements de Telefonica et Hutchison Whampoa en Irlande, E-Plus (KPN) et O2 (Telefonica) en Allemagne. Citons les acquisitions de Vodafone dans le câble au Royaume-Unis (Cable & Wireless), en Allemagne (Kabel Deutschland) et, plus récemment, en Espagne (Ono) qui mettent en ouvre le modèle de la convergence fixe-mobile (porteur d'opportunités commerciales comme stratégique pour le déploiement de la 4G à l'échelle micro cellulaire). Elles se poursuivent, notamment en France, avec les acquisitions de SFR et Virgin Mobile par Numericable. D'autres sont attendues comme Bouygues Telecom avec Orange. ou Free.
Intégrer les OTT dans le modèle économique
Mais la consolidation ne réglera pas tout. Notamment le problème des OTT (Over the top), ces acteurs du Net mondial, tels Google, Facebook, Twitter mais aussi Netflix, WhatsApp ou Rackuten (e-commerce), à la croissance phénoménale qui s'appuient sur les infrastructures des opérateurs pour diffuser leurs contenus et services. Pour Yves Gassot, les opérateurs doivent réinventer leur modèle économique en y intégrant les OTT. « Notre vision est que tous les scénarios pour les OTT sont fondés sur la connectivité, donc le réseau. Les OTT sont une chance pour les opérateurs qui peuvent ainsi valoriser leur bande passante. Mais ils doivent être capable d'investir, ce qui implique un nouveau business model. » Autrement dit, atteindre une taille suffisamment grande pour être en mesure de « négocier » l'accès à leur réseau.
Pour cela, l'Idate souligne plusieurs sources de revenus potentielles. A commencer par la commercialisation directe de l'accès aux OTT pour offrir un service premium aux clients de l'opérateur. Le diffuseur de contenus vidéo Netflix et le cablo-opérateur Comcast ont ouvert la voie outre-Atlantique. Le premier s'interconnecte directement à l'infrastructure du second sans lui imposer de passer par un fournisseur de service d'interconnexion (Cogent en l'occurrence dans ce cas). Une interconnexion selon toute vraisemblance facturée à Netflix qui lui ouvre ainsi la base d'abonnés du numéro 1 des « cablo » américains sans que ce dernier n'intègre pour autant le service vidéo dans ses offres.
Les opportunités du M2M
Dans le même esprit, Netflix pourrait être vu comme un moyen de valoriser la fibre avec des diffusions en 4K, illustre Yves Gassot. « Les opérateurs doivent se différencier par une segmentation des offres et des services premium. » Une segmentation sur les accès à qualité variable aux contenus qui se heurte pour le moment aux « règles trop rigides de la Net Neutrality ».
Autres sources potentielles de revenus pour les opérateurs : l'accès pour les OTT à la plate-forme de facturation; la valorisation des données utilisateurs « anonymisées » commercialisées auprès de fournisseurs de services (notamment en matière de géolocalisation) via des API (à l'image de FluxVision d'Orange); ou encore le marché du M2M, qui représente 1 à 2% de croissance du chiffre d'affaires des opérateurs mais qui ouvre surtout l'entrée pour les acteurs des télécoms dans des grands groupes industriels avec l'idée de compléter le service avec des offres Cloud (pour les services) et Big Data (pour l'analyse des données). Une « stratégie de plate-forme 'two-sides' », résume Yves Gassot.
Face à l'évolution du marché, le dirigeant se veut optimiste car « l'Europe n'est pas à l'écart de l'innovation et le secteur n'est pas inerte [face à l'appétence des consommateurs pour les applications mobiles et la consommation de données]. Cela passera par des ajustements, douloureux pour certains, profitables à d'autres. »
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