Données personnelles et fiscalité : l'Afdel et le CNN lancent un appel
Dans le cadre des débats qui viendront alimenter le Conseil européen sur le numérique des 24 et 25 octobre 2013, l'industrie IT française prône « une solidarité fiscale européenne » et réaffirme son soutien à la réforme de la directive sur la protection des données.
Le projet de règlement européen vise à mettre en ouvre un cadre unique qui garantisse un niveau élevé de protection des données personnelles et concilie droits des individus et intérêts des entreprises. Favorable à la réforme, l'Association française des éditeurs de logiciels et solutions Internet (Afdel), vient de publier sa position en faveur d'un « système européen protecteur des droits des citoyens et favorable à l'innovation ».
Renforcer les moyens de contrôle des CNIL européennes
Dans un document de 56 pages, l'Afdel formule ses propositions et appelle les pouvoirs publics français à se mobiliser pour la compétitivité des entreprises. Pour l'organisation, l'adoption d'un cadre unique bénéficiera à la fois aux utilisateurs et aux entreprises, notamment en termes de simplification administrative.
« Les acteurs industriels ont bien compris qu'ils ne consolideront pas leur position dans la durée sans « confiance numérique ». Mais la compétition est très importante, les investissements considérables et il est difficile d'anticiper le risque « juridique » de chaque innovation. C'est pourquoi un cadre réglementaire unique en Europe qui s'appliquerait à tous, est perçu comme une véritable opportunité. Pour autant, l'utilisateur a aussi un rôle actif à jouer. C'est pourquoi nous soutenons fermement l'Éducation au numérique comme grande cause nationale en 2014 », explique à la rédaction Loïc Rivière, délégué général de l'Afdel.
Qu'en est-il des sanctions en cas de violation des règles relatives à la protection des données ? Pour rappel, en France, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) peut actuellement condamner à une amende maximum de 150 000 euros (300 000 euros en cas de récidive) une entreprise en infraction. Le projet européen propose de condamner les contrevenants à une amende de 250 000 euros (ou 0,5 % du chiffre d'affaires global de l'entreprise) pour les infractions mineures, et jusqu'à 1 million d'euros (ou 2 % du chiffre d'affaires global) pour les infractions les plus graves.
L'Afdel reste encore discrète sur le sujet. « Nous ne sommes pas rentrés à ce stade dans le débat sur la question du barème des sanctions, mais il faut considérer logiquement que la lourdeur des sanctions est d'autant plus admissible que le cadre réglementaire est adapté et stabilisé », souligne l'organisation.
L'association privilégie, par ailleurs, le renforcement des moyens de contrôle des régulateurs chargés de la protection des données, la CNIL en France. L'Afdel, en revanche, n'est pas favorable à la création de nouveaux droits en la matière. « On a tendance à penser que toute problématique sociale nouvelle suppose une réponse législative spécifique, commente Loïc Rivière. Ce qui conduit à une inflation de droit qui peut arranger le politique, dans la mesure ou la loi coûte beaucoup moins cher à écrire qu'à être mise en ouvre. Nous plaidons par conséquent pour un renforcement des moyens des autorités de contrôle. Dans bien des cas, Internet démultiplie des problématiques anciennes plutôt que d'en créer de nouvelles. C'est, selon le nous, le cas du droit à l'oubli ».
Le droit à l'oubli ou le droit d'opposition ?
Le « droit à l'oubli », qui consiste à offrir la possibilité aux utilisateurs de supprimer leurs données de réseaux et serveurs, fait l'objet d'un intense lobbying à Bruxelles. En juin dernier, les ministres de la justice des États membres ont donné leur feu vert à une proposition selon laquelle l'utilisation de données personnelles par les entreprises ferait l'objet d'un examen scrupuleux des régulateurs uniquement en cas de préjudice (violation de données, discrimination, etc.). Est-ce la fin du droit à l'oubli ?
D'après l'Afdel, ce principe « est déjà garanti en Europe sous la forme du « droit d'opposition » qui permet d'exiger l'effacement par le prestataire des données mises en ligne par l'individu ». Le droit à l'oubli, ajoute Loïc Rivière, « est un concept séduisant car assez intuitif, mais en réalité assez vague et limité. Ainsi le droit à la l'oubli voté en Californie la semaine passée n'est qu'une consécration mineure du droit d'opposition qui existe en France depuis 1978 (loi informatique et libertés) contrairement à ce qu'on a pu lire ici ou là ».
Il serait donc vain « de chercher à créer un nouveau droit qui serait insuffisamment clarifié ou à l'inverse pourrait porter atteinte à d'autres droits en instituant un droit au déréférencement ».
« Nous sommes clairement contre cette approche qui rendrait les moteurs responsables de l'éditorialisation du Web alors qu'ils ne le sont heureusement que de l'indexation. On voit ici les risques en termes de censure ou de manipulation de l'information en ligne. Il y a d'ailleurs un alignement objectif des positions des industriels et des défenseurs des libertés publiques sur ce sujet », poursuit Loïc Rivière.
Repenser la fiscalité numérique internationale
En matière de fiscalité, l'Afdel préconise l'équité, la stabilité et l'attractivité, ainsi que l'adoption de règles harmonisées à l'échelle européenne. Ainsi, l'organisation s'oppose à l'adoption d'une taxe sur les appareils connectés comme à l'instauration d'une taxe sectorielle nationale.
L'Afdel rappelle également que la gratuité de nombreux services numériques « résulte de la valorisation économique des données personnelles » et demande au gouvernement français de se mobiliser pour que « le nouveau système de protection des données préserve l'innovation et ne porte pas atteinte à la compétitivité des entreprises », notamment dans le Big Data ou le Cloud Computing.
Selon Loïc Rivière : « Il y a quand même encore aujourd'hui certains responsables publics qui semblent découvrir que des entreprises gagnent de l'argent avec leurs données personnelles et s'en indignent. Le débat public sur les données personnelles doit gagner en maturité et en expertise, c'est un enjeu fondamental ».
Le Conseil national du numérique (CNN) partage ce point de vue. L'instance, qui a remis à Bercy un rapport sur la fiscalité du numérique le mois dernier, se prononce dans Les Échos du 30 septembre pour « un profond aggiornamento de la fiscalité internationale ».
« Les États ont récemment perdu le contrôle des bases d'imposition et se sont vu dépassés par des entreprises qui tirent parti de la concurrence fiscale entre pays, de l'abus des règles de la propriété intellectuelle et, plus généralement, des ambiguïtés d'un droit fiscal international dont l'architecture reste celle des années 1920 », soulignent Benoît Thieulin et Godefroy Beauvallet, respectivement président et membre du bureau du CNN.
Pour l'instance consultative, la solution ne viendra pas d'un prélèvement « dans les profits de Google ou d'Apple en taxant aujourd'hui le clic ou les appareils connectés », ni d'une taxe « franco-française », mais « d'alliances progressives entre États volontaires ». Dans ce contexte, le CNN recommande une approche coopérative au niveau européen, sous la houlette de la Commission européenne, pour faire face « à des entreprises qui refuseraient de contribuer à la refondation d'une fiscalité respectueuse des modèles sociaux de leurs pays d'opération ».
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