Le Parlement européen vote une neutralité du Net pas si neutre
Le règlement européen pour un « Internet ouvert » divise. Pour ses détracteurs, le texte adopté par les eurodéputés sonne le glas de la neutralité du Net en autorisant les opérateurs à garantir le débit de services dits spécialisés. Pour ses promoteurs, il offre des garanties juridiques nouvelles.
Après deux ans de négociations législatives, le Parlement européen a adopté définitivement et sans amendement, mardi 27 octobre, le règlement télécoms européen mettant un terme aux frais d'itinérance pour les appels mobiles et « établissant des mesures relatives à l'Internet ouvert ». Ces dernières sont une douche froide pour les organisations de citoyens. Elles dénoncent un texte flou et ne digèrent pas le rétropédalage du Parlement européen, qui défendait encore, en avril 2014, une approche stricte de la Neutralité du Net. C'est un soulagement, en revanche, pour l'eurodéputée espagnole et rapporteur Pilar Del Castillo Vera, du parti populaire européen, qui évoque des « garanties » juridiques supplémentaires. Et c'est une « bonne nouvelle », enfin, pour l'exécutif européen (la Commission), qui y voit un premier pas vers le marché unique des communications électroniques.
Le blocage ou la limitation du trafic sont interdits.
« Il n'y aura pas de voies rapides », affirme dans un billet de blog Günther Oettinger, l'ex-commissaire à l'Énergie de la Commission Barroso II, devenu commissaire à l'Économie et la société numériques de la Commission Junker formée à l'automne 2014. « Avec le nouveau règlement, tout le trafic Internet sera traité équitablement, il n'y aura pas de priorisation payante du service d'accès. Le texte garantit que tous les Européens accèdent au contenu et services en ligne, sans discrimination. Le blocage ou la limitation du trafic sont interdits », ajoute-t-il. Ces garde-fous sont également mis en avant par Pilar Del Castillo. L'eurodéputée observe que « la nouvelle législation contraint les entreprises à proposer un accès à Internet pour gérer l'ensemble du trafic de manière égale, c'est-à-dire sans bloquer ou ralentir l'accès au contenu, aux applications ou à des services à partir de certains expéditeurs ou vers certains destinataires. » Elle ajoute que les FAI devront préciser les débits réellement proposés (par rapport aux débits annoncés) lors de la signature d'un nouveau contrat, et que toute différence significative, « entraînera le droit à des solutions, comme la rupture du contrat ou l'obtention d'un dédommagement. »
Mais « pas de définition claire de la neutralité du Net »
Pilar Del Castillo, qui semble oublier les règles pour un Internet ouvert entrées en vigueur aux États-Unis depuis la mi-juin 2015, a également déclaré hier : « grâce à cet accord, l'Europe deviendra la seule région au monde qui garantit juridiquement l'Internet ouvert et la neutralité du Net. » Et d'ajouter : « le principe de neutralité du Net sera appliqué directement dans l'ensemble des 28 États membres, ce qui empêchera d'avoir un Internet à deux vitesses. » Les organisations de citoyens et de défense des libertés numériques, dont La Quadrature du Net en France, ne croient pas à ce scénario, bien au contraire. Pour l'organisation, le texte voté au Parlement européen par 500 voix pour et 163 voix contre, « ne comporte pas de définition claire de la neutralité du Net », et laisse une large marge de manoeuvre aux régulateurs nationaux. « C'est donc un texte plein d'incertitudes qui sera appliqué, et dont les modalités pratiques risquent d'être établies dans l'ombre des négociations de techniciens, sans transparence et avec peu de moyens d'action des citoyens », déplore La Quadrature du Net par voie de communiqué.
Et les services spécialisés fâchent
Les critiques du texte voté par les eurodéputés sont nombreux, de La Quadrature du Net à l'inventeur du World Wide Web Tim Berners-Lee, en passant par un collectif d'entreprises technologiques - essentiellement des plateformes - et d'investisseurs américains (Automattic/WordPress.com, Foursquare, Netflix, Reddit, Union Square Ventures.). Ces derniers ont adressé une lettre aux institutions européennes. Tous regrettent l'autorisation du « zero-rating », qui permet aux opérateurs télécoms de ne pas décompter du forfait de leur abonné certains services. Ils pointent surtout les exceptions à la neutralité du Net rendues possibles, selon eux, par l'ambiguïté des termes « services spécialisés ». Ces services prioritaires que pourront proposer les opérateurs. Le commissaire Oettinger ne les a pas rassurés en déclarant : « nos règles permettent, sous la stricte supervision des régulateurs nationaux, de traiter le trafic de données hors accès Internet, par exemple des données générées par des capteurs médicaux, comme des services spécialisés à la condition que l'Internet ouvert ne soit pas impacté négativement. » Et Pilar Del Castillo indique elle-même que des mesures de « gestion de trafic » transitoires, « transparentes, non discriminatoires et proportionnées », pourront être appliquées « pour répondre à une décision judiciaire, respecter la loi, empêcher la congestion des réseaux ou lutter contre des cyberattaques. » Pour La Quadrature du Net, cependant, les carences du texte « laissent un boulevard aux entreprises de télécommunications pour abuser de leurs positions dominantes. »
La fin des frais de roaming dans l'UE
La neutralité du Net n'est pas la seule à diviser. La fin des frais d'itinérance pour les appels mobiles, l'envoi de SMS ou la data au sein de l'Union européenne, ne fait pas non plus l'unanimité. La mesure est saluée par les associations de consommateurs, dont l'UFC Que Choisir en France, mais pas par le lobby européen des opérateurs télécoms (ETNO - European Telecommunications Network Operators' Association) qui redoute un frein à l'investissement et des distorsions de concurrence sur les marchés nationaux européens. La mesure sera pourtant engagée progressivement avant sa mise en oeuvre effective au 15 juin 2017, comme prévu par les institutions européennes. Désormais, l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE ou BEREC, en anglais) a neuf mois pour établir des lignes directrices sur le règlement européen à l'attention des États membres.
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