Fusion Alcatel - Lucent: les actionnaires ont voté oui, mais...
Fin d'un lourd suspense. La fusion est acquise. Le communiqué officiel est tombé à 19H: des deux côtés de l'Atlantique, malgré les objections d'analystes, les actionnaires se sont rangés à la raison -à une bonne majorité à Paris mais de justesse aux Etats-Unis
Les actionnaires d'Alcatel, d'une part, et ceux de Lucent, d'autre part, ont approuvé la trentaine de résolutions relatives au projet de rapprochement entre les deux groupes.
Une seule résolution n'a pas été retenue, laquelle n'était pas agréée par le conseil d'administration, et qui portait sur l'annulation des droits de vote double.
« Je suis heureux que les actionnaires d'Alcatel aient approuvé le rapprochement avec Lucent Technologies, et je les remercie de leur
confiance » a sobrement déclaré Serge Tchuruk, p-dg d'Alcatel, et qui sera pour quelque temps président, non exécutif, du nouveau groupe ainsi constitué, Pat Russo, actuel p-dg de Lucent deviendra directrice générale -et sera la première femme patron d'un groupe du CAC40 [lire notre article par ailleurs].
Si le vote a été acquis à 85% pour Alcatel (il fallait la majorité de plus des 2/3), en revanche pour Lucent, il s'en est fallu de peu: 51,97% de parts de voix, alors qu'il fallait au minimum 50%.
L'Assemblée générale d'Alcatel a également approuvé les comptes consolidés de l'exercice 2005, ainsi que le paiement d'un dividende de 0,16 euro pour toute action ordinaire ou ADS (American depositary share).
Un rapprochement de taille
Ce rapprochement de taille donnera naissance au numéro deux mondial des fournisseurs d'infrastructures de télécommunications avec un chiffre d'affaires cumulé de 19 milliards d'euros, derrière Cisco et devant Ericsson-Marconi et Nokia Siemens Networks.
Alcatel Lucent, c'est 2 milliards d'euros de résultat net, 2,4 milliards d'euros de dépenses en R&D et 25.000 brevets.
Selon les termes de la transaction, la valorisation s'est faite au prix du cours de bourse actuel, c'est-à-dire sans prime payée aux actionnaires. Les actionnaires de Lucent recevront 0,1952 titre Alcatel American pour chaque action Lucent. Concrètement, Alcatel aura un poids supérieur à Lucent dans la nouvelle société, avec 60% du capital, contre 40% pour Lucent.
« La logique stratégique de cette transaction est incontestable. L'industrie des télécoms est au début d'une transformation majeure des réseaux, des applications et des services, qui devrait permettre d'offrir des services convergents pour les opérateurs et les entreprises, sur une gamme étendue de terminaux personnels. Elle représente des opportunités extraordinaires pour la société commune », souligne Pat Russo.
Le siège de la nouvelle entité sera à Paris. Un nouveau nom de société sera ultérieurement dévoilé.
« Cette fusion est le rapprochement stratégique de deux leaders établis de l'industrie des télécoms, qui ensemble deviendront le leader mondial de la convergence. Le principal objectif de cette fusion est de générer une croissance significative des revenus et des résultats en tirant parti des opportunités de marché dans les réseaux, services et applications de nouvelle génération, tout en réalisant d'importantes synergies » a déclaré Serge Tchuruk.
21 milliards de dollars de revenus.
Pour l'équipementier français, ce mariage lui ouvre, plus grandes, les portes du marché américain. « Alacatel va bénéficier de la grande exposition de Lucent aux Etats-Unis, le marché le plus rentable au monde », explique un analyste à la Tribune.
La capitalisation boursière de Lucent-Alcatel serait de plus de 28 milliards d'euros (18,35 milliards pour Alcatel et environ 10 milliards pour Lucent).
.mais 9.000 postes menacés
Alcatel et Lucent annoncent 1,4 milliard d'euros de synergies par an en année pleine au bout de trois ans. Ce qui devrait se traduire par la réduction d'environ 10% de l'effectif global qui était de 88.000 salariés au 31 décembre 2005. Soit la bagatelle de près de 9.000 postes.
Alcatel - Lucent : logique industrielle globale
Entre ces deux mastodontes de l'industrie des télécoms, les rivalités se sont peu à peu émoussées notamment depuis l'éclatement de la bulle Internet et la mise en difficulté financière de tous les opérateurs télécoms ou presque, au tournant des années 2000-2002.
En juin 2001, des discussions en vue d'un rapprochement avaient déjà été menées, mais sans lendemain -faute d'une entente sur la répartition des responsabilités entre français et américains, sur la l'implantation du siège social. En clair, Alcatel pesait déjà plus lourd mais la résistance était encore trop forte côté Amérique.
Lire aussi : La XRD peut-elle remplacer les SIEM dans les SOC ?
Mais déjà à cette époque, l'affrontement n'était plus direct comme il a pu l'être dans les années 1980 et 1990.
Alcatel reste, par exemple, le champion mondial inconstesté des accès ADSL, après avoir renoncé aux routeurs de réseaux de data (le domaine privilégié de Cisco Systems). Mais le groupe a continué de marquer des points dans les infrastructures de convergence fixe/mobiles, les réseaux de fibre optique, etc.
« La force d'Alcatel, nous expliquait récemment Serge Dujardin, patron d'Alcatel Solutions Entreprise en France, c'est d'être resté un équipementier avant tout, qui travaille à 100% avec des partenaires, que ce soit des intégrateurs, installateurs ou -plus nouveau, et stratégique - des partenaires « applications » (cf. messagerie unifiée, ou le fonctions convergentes SIP entre fixe et mobiles, etc.).
Pendant ce temps, Lucent Technologies s'est également réorienté stratégiquement vers les plates-formes de convergence des futurs réseaux, incluant la mobilité de 3è génération, et en visant d'abord les nouveaux services que commencent à offrir les opérateurs.
Le géant américain avait sorti de son périmètre l'activité Entreprise pour donner naissance à Avaya.
« Le groupe Lucent a fondamentalement changé. Depuis la crise 2001-2002, nous avons opéré une rupture dans notre stratégie, c'est vrai« , nous déclarait l'an passé, Pat Russo, président, au salon CeBIT de Hanovre. « Nous nous sommes recentrés sur le marché des services. C'est une décision que nous avons pleinement assumée, et qui nous a conduit à investir, par exemple, dans les métiers d'ingénierie« .
Lucent apporte également dans la corbeille de la mariée ses relations tout sa R&D, issue des Bell Labs, les célèbres laboratoires issus du démantélement d'AT&T au milieu des années 80. Certaines recherches et applications sont liées au secteur sensible de la défense américaine. D'où les premières réserves émises à Washington.
Il reste qu'une complémentarité plausible se dessine entre Alcatel et Lucent depuis moins de deux ans, avec une zone de recouvrement concurrentiel de leurs activités qui n'a cessé de diminuer.
En face, c'est la position dominante de Cisco, loin devant Nokia ou Ericsson, qui les a tenus en haleine.
Mathématiquement par addition de leur chiffre d'affaires, leur fusion ferait passer le nouveau groupe ainsi constitué au deuxième rang mondial des équipementiers réseaux avec 25,7 milliards d'euros (source: IDATE), devant Ericsson-Marconi à 20,8 milliards, mais derrière Cisco qui atteint 28,5 milliards avec Scientific Atlanta.
« C'est une initiative plutôt positive, car elle répond à l'évolution du marché qui pousse les opérateurs à certaines consolidations. Il est logique que cela ait une répercussion chez les équipementiers« , nous a commenté Julien Salanave, responsable des études Equipements télécoms à l'IDATE.
« Jusqu'ici, explique-t-il,on a vu, chez les fournisseurs d'équipements télécoms des acquisitions ciblées, visant à compléter leur offre: cas d'Ericsson et Marconi ou Cisco et Scientific Atlanta (pour son expertise en IPTV). Et nous avions prédit que le deuxième round verrait l'émergence de rapprochements d'égal à égal. Mais honnêtement, on n'imaginait pas que des discussions aussi avancées pourraient rapprocher si vite Alcatel et Lucent. Il est de notoriété publique que Siemens cherche aussi une issue pour sa division Equipements. »
« Fondamentalement, cette possible fusion est également poussée par des perspectives de croissance ralentie du marché des équipements télécoms situées mondialement entre +3 et +5%, pas plus« .
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