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Neutralité du Net : la CJUE adresse une piqûre de rappel aux FAI

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) juge non conformes au droit européen des offres groupées d'un FAI qui donnent un accès illimité à des services et brident les autres au-delà d'un certain volume de data.

Publié par Clément Bohic le - mis à jour à
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Neutralité du Net : la CJUE adresse une piqûre de rappel aux FAI

Un forfait qui donne un accès illimité à des services et en bride d'autres au-delà d'un certain volume de données ? Même avec l'accord de l'utilisateur final, ce type d'offre est incompatible avec la réglementation de l'Union européenne. C'est, en substance, le sens d'un arrêt que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu ce 15 septembre 2020.

La cour de Budapest-Capitale (Hongrie) l'avait sollicitée fin 2018 dans un dossier opposant l'autorité nationale des communications et des médias (Nemzeti Média- és Hírközlési Hatóság Elnöke) au FAI Telenor Magyarország Zrt. Ses demandes portaient sur l'interprétation du règlement européen 2015/2120.

Celui-ci établit des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert. Son article 3 énonce, dans ses grandes lignes :

  • Le droit des utilisateurs finaux à accéder aux contenus et à les diffuser, à utiliser et à fournir des applications et des services, ainsi qu'à exploiter les équipements terminaux de leur choix (paragraphe 1)
  • Le fait que les accords et les FAI et leurs clients ne limitent pas l'exercice des droits susmentionnées (paragraphe 2)
  • L'obligation, pour les FAI, de traiter tout le trafic « de façon égale ». Avec néanmoins la possibilité de mettre en ouvre des mesures « raisonnables » de gestion du trafic. C'est-à-dire, entre autres, fondées non sur des considérations commerciales, mais sur des « différences objectives entre les exigences techniques en matière de qualité de service de certaines catégories de trafic. Sauf si elles sont nécessaires pour se conformer à une législation, protéger l'intégrité et la sûreté du réseau ou « prévenir une congestion imminente et atténuer les effets d'une congestion exceptionnelle ou temporaire » (paragraphe 3)

« Trafic nul »

Au catalogue de Telenor figurent deux offres groupées : MyChat et MyMusic. La première permet d'acheter un volume data de 1 Go. L'utilisation de 6 applications spécifiques (Facebook, Messenger, Instagram, Twitter, Viber, WhatsApp) n'est pas décomptée de cette enveloppe. Elle relève d'un trafic dit « nul ». Une fois l'enveloppe data consommée, on continue à accéder sans restrictions à ces services, alors que pour les autres, le débit est limité. MyMusic fonctionne sur le même principe avec des services de streaming.

L'autorité hongroise des communications et des médias (ANCM) a considéré, d'une part, que de telles mesures étaient incompatibles avec le règlement 2015/2120. Et de l'autre, qu'il n'était pas nécessaire d'évaluer leur incidence sur les droits des utilisateurs finaux.

Pour sa défense, Telenor a fait valoir que ses offres font partie d'accords conclus avec les clients. Et qu'elles ne peuvent ainsi pas relever de l'article 3, paragraphe 3. Lequel vise uniquement les mesures de gestion du trafic que les FAI mettent en place de façon unilatérale.

L'ANCM a rétorqué que pour savoir au regard de quelle disposition de l'article 3 examiner un comportement, il fallait s'intéresser non pas à la forme de ce comportement, mais à son contenu. Et d'affirmer que ledit article interdit toutes mesures de gestion inégale, peu importe qu'elles découlent d'un accord conclu pour un utilisateur final ou d'une pratique commerciale.

Incidence cumulée

La cour de Budapest-Capitale n'a pas sur déterminer si les offres groupées en question relevaient de l'article 2 ou 3. C'est en partie à ce motif qu'elle s'est tournée vers la CJUE.

Celle-ci note que le paragraphe 2 visent les « accords » par lesquels un FAI et un client conviennent des conditions des services fournis. Elle en distingue les « pratiques commerciales », qui peuvent déboucher sur des accords.

À la lumière du considérant 7 du règlement 2015/2120, la juridiction suprême de l'Union estime que la compatibilité des accords tels que ceux que conclut Telenor doit être évaluée au cas par cas.

Sa perception : ces offres sont de nature à raréfier l'utilisation de services spécifiques. Et à raréfier l'utilisation des autres. Dans ce contexte, plus il y a d'utilisateurs, plus l'incidence cumulée est susceptible d'engendrer une limitation importante de l'exercice des droits de ces utilisateurs. Voire de « porter atteinte à l'essence même de ces droits ».

Les FAI conservent certes la possibilité d'adopter des mesures raisonnables de gestion du trafic. Sauf que pour Telenor, elle « apparaissent fondées sur des considérations d'ordre commercial ». Et, d'après la CJUE, aucune évaluation de leur incidence n'est requise. La raison ? Le paragraphe 3 ne prévoit pas une telle exigence pour apprécier le respect de l'obligation général qu'il prévoit.

En outre, les mesures visées s'appliquent à des services qui relèvent du paragraphe 3. Indépendamment de savoir si elle résultent d'un accord, d'une pratique commerciale ou d'une mesure technique.

Conclusion, les offres groupées de Telenor sont incompatibles :

- avec le paragraphe 2 (elles limitent l'exercice des droits des utilisateurs)
- avec le paragraphe 3 (elles se fondent sur des considérations commerciales)

Photo d'illustration © dvanzuijlekom via visualhunt.com / CC BY-SA

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