« Le CSA régulant Internet, ce serait l'ORTF 2.0 »
Cofondateur de La Quadrature du Net, Jérémie Zimmermann précise dans cet entretien les craintes de l'organisation concernant le rapprochement souhaité par le gouvernement entre le régulateur des télécoms (ARCEP) et l'autorité de l'audiovisuel (CSA).
Jérémie Zimmermann, cofondateur de La Quadrature du Net, précise la défiance de l'organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet concernant le rapprochement souhaité par le gouvernement entre l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Silicon.fr - Quel est votre point de vue concernant le rapprochement entre l'ARCEP et le CSA souhaité par le gouvernement Ayrault, et envisagé par la précédente majorité ?
Jérémie Zimmermann - Le principal danger est que l'on applique les modèles de régulation qui sont ceux du CSA à Internet. Le CSA régule la diffusion de contenus, de façon centralisée, par des acteurs commerciaux.
Tenter d'imposer le même type de règles à la multitude d'acteurs, commerciaux et non-commerciaux, qui constituent le réseau décentralisé qu'est Internet, dans lequel chacun peut consulter, mais également publier des contenus, est une aberration. Internet c'est aussi la diffusion de vidéos, mais c'est avant tout la mise en ouvre de nos libertés fondamentales, le partage de la connaissance et de la culture, la participation démocratique, etc.
L'arrivée de la « télévision connectée » est vue comme une attaque contre les modèles économiques des chaînes de télévision. Il semble qu'il y ait, dans la définition du problème, une erreur monumentale. La « télé connectée » n'est pas une télé, mais bien un ordinateur connecté à Internet permettant également de capter la télévision hertzienne. Il s'agit donc d'un terminal d'accès à Internet, en forme de télévision, posé dans la salle à manger.
Cela va peut-être changer les usages, mais l'arrivée de nouveaux types de terminaux ne peut en aucun cas justifier la mise en place de dispositifs de censure.
Le CSA est-il prêt à réguler Internet ?
Le président du CSA, Michel Boyon, s'est déjà prononcé en faveur de la mise en ouvre du filtrage des contenus sur Internet, afin de protéger les modèles économiques des chaînes de télévision. C'est une aberration !
Imposer ce type de réflexes de contrôle centralisé du XXe siècle aux technologies du XXIe est non seulement voué à l'échec, mais ouvrirait la porte à la censure administrative d'Internet. Le CSA régulant Internet, ce serait en somme l'ORTF 2.0.
Par ailleurs, alors qu'il y a à l'ARCEP des ingénieurs et des fonctionnaires compétents qui commencent à comprendre Internet et sa portée sociale et démocratique, les membres du CSA sont notoirement proches des chaines de télé, donc des grands groupes du divertissement qui prônent la mise en ouvre d'un droit d'auteur toujours plus répressif et, à ce titre, souhaiteraient qu'Internet soit mis sous contrôle (Hadopi, SOPA, ACTA, etc.).
La fusion du CSA et de l'ARCEP amènerait ces intérêts au cour de la régulation de nos communications. Si le CSA estime qu'il y a un problème avec Internet, le problème est sans doute le CSA, et pas Internet !
Régulation et Neutralité du Net sont-elles définitivement incompatibles ?
Non, au contraire ! Nous avons démontré, grâce à notre plateforme citoyenne RespectMyNet.eu que les atteintes à la neutralité du Net sont légion. Il y a plus de 170 contrats d'accès à Internet fixe ou mobile en Europe, dans plus de 15 États membres de l'UE, sur lesquels les opérateurs discriminent, priorisent ou filtrent les communications. C'est inacceptable !
Un gouvernement progressiste ouvrerait pour que, comme aux Pays-Bas, au Chili ou au Pérou, la neutralité du Net soit garantie par la loi : autrement dit, donner à l'ARCEP le pouvoir de sanctionner les pratiques des opérateurs qui discriminent les communications de leurs utilisateurs portant ainsi atteinte à leurs libertés fondamentales.
La Quadrature du Net, demande dans ses propositions que nos gouvernements et nos parlements élaborent des lois qui viseraient à protéger les libertés fondamentales des citoyens sur Internet, à garantir la capacité de chacun à participer à la vie démocratique et à innover en ligne. Il faut s'assurer qu'Internet reste l'infrastructure qui permettra d'améliorer nos sociétés connectées, et non un espace commercial sous contrôle de quelques grands groupes.
Nous attendons le gouvernement Ayrault au tournant et restons vigilants. Nous voulons un vrai changement par rapport aux gouvernements précédents, et non la continuité du tout répressif et du copinage avec les grands groupes industriels.
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