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Jérémie Zimmermann à propos de Net neutralité

Le porte-parole de La Quadrature du Net précise les interrogations de l'organisation quant à l'avis du CNN en faveur d'une inscription dans la loi de la neutralité d'Internet.

Publié par La rédaction le | Mis à jour le
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Jérémie Zimmermann à propos de Net neutralité

Dans son avis rendu public le 12 mars 2013, le Conseil national du numérique (CNN) recommande d'inscrire le principe de Net neutralité dans la loi française. Bien que La Quadrature du Net souhaite que la France légifère, l'association regrette « la dissolution du concept de neutralité du Net et l'absence de mesures contraignantes ».

Jérémie Zimmermann, cofondateur et porte-parole de l'organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet, précise son point de vue dans cet entretien.

Silicon.fr - Pour quelles raisons la Quadrature du Net déplore l'absence d'une définition précise de la Net neutralité dans l'avis du CNN ?

Jérémie Zimmermann - Toutes les cartes étaient sur la table pour que le CNN prenne le parti d'une défense forte et sans compromis de la neutralité du Net, en ligne par exemple avec les recommandations du rapport parlementaire transpartisan remis au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale par Laure de La Raudière (UMP) et Corinne Erhel (PS), il y a deux ans.

Au lieu de cela, on se retrouve avec un principe flou, mêlant allègrement neutralité du Net avec une étrange « neutralité de l'infrastructure » et une supposée neutralité des services en ligne.

Mais l'avis du CNN est d'inscrire le principe dans la loi, et non pas d'y inscrire les outils permettant de garantir sa mise en ouvre, comme des sanctions dissuasives pour les opérateurs qui y dérogeraient. Au lieu de cela, le CNN se défausse sur le juge. Le judiciaire a bon dos, mais on imagine difficilement comment des citoyens iront gagner en justice - et en combien de temps ? - contre SFR, Orange ou Free sur la base de principes aussi vagues.

Bref cette neutralité du Net « molle » semble neutralisée. Comme s'il s'agissait en réalité d'une volonté de botter en touche, comme si tout ceci relevait de l'effet d'annonce.

Reste désormais à voir ce que le gouvernement proposera côté législatif, comment ces dispositions s'articuleront avec les autres dispositions de la « grande loi » annoncée par le gouvernement pour 2014 et ce qu'elle contiendra potentiellement de dangereux par ailleurs pour la liberté d'expression ! Peut-être pourra-t-on compter sur les députés pour renforcer ce principe flou ? Bref, rendez-vous au Parlement.

Est-il vraiment insuffisant d'inscrire le principe de neutralité dans la loi sans imposer d'obligations aux prestataires techniques ?

L'approche proposée par le rapport de La Raudière/Erhel, et mise en ouvre aux Pays-Bas, en Slovénie et dans les autres pays ayant garanti la neutralité du Net par la loi est radicalement différente de celle du CNN.

Il s'agit de faire peser sur les opérateurs une obligation de non-discrimination et de dissuader, par des sanctions, de déroger à ce principe.  Évidemment il existe des exceptions dont la liste, qui peut évoluer avec le temps, est assez simple à établir en bonne intelligence avec les réalités techniques des opérateurs.

Il est tout à fait possible de mettre cela en ouvre d'une façon souple, qui ne fasse pas peser de contraintes injustes sur les opérateurs et qui garantisse l'intérêt général. Deux propositions de loi s'y sont essayées : l'une venant d'un député PS, Christian Paul, lorsque la droite était au pouvoir, l'autre d'une députée UMP, Laure de La Raudière, depuis que la gauche y est. Cela prouve bien que c'est faisable !

Selon vous, quelles mesures législatives pourraient justement protéger neutralité du Net et liberté d'expression ?

La Quadrature du Net a formulé ses propositions sur la neutralité dans différents documents, parmi lesquels :

Pour ce qui est de la liberté d'expression, nous sommes préoccupés par le discours politique qui est aujourd'hui tenu autour des polémiques relatives aux propos racistes et antisémites.

Si l'on s'accorde à dire qu'il faut combattre ces idées nauséabondes, il n'est pas sûr que la répression pénale soit la meilleure solution à l'ère de l'expression globalisée permise par Internet.

Au contraire, ceux qui tiennent de tels propos se complaisent souvent dans la victimisation, et les attaques à leur encontre ont souvent un effet contre-productif qui leur donne davantage de visibilité (le fameux « effet Streisand »).

Peut-être faudrait-il lancer une réflexion globale sur l'accompagnement de cette nouvelle capacité de chacun à s'exprimer sans frontières. Comme dit le journaliste et auteur canadien Cory Doctorow, aujourd'hui « la réponse à l'expression de la haine ("hate speech") c'est encore plus d'expression ("more speech") ».

Il est surtout urgent de protéger les citoyens contre les décisions arbitraires de censures des contenus par des entreprises privées (Facebook, Google, etc.). Il faudra suivre avec attention, au cours des prochains mois, les travaux sur ces sujets des ministères impliqués (Intérieur, Justice, Économie numérique).

L'enfer étant pavé de bonnes intentions, il ne faudrait pas qu'au prétexte de combattre les discours odieux, progressent les dispositifs de censure, qu'ils soient mis en ouvre par l'État ou par des entreprises privées.

En France, comme en Europe, l'exécutif tient des propos contradictoires sur la neutralité du Net. Qu'en pensez-vous ?

La pression de la part des opérateurs télécoms est énorme. On voit leur lobbying porter ses fruits, notamment à Bruxelles où le discours de Neelie Kroes, actuelle vice-présidente de la CE et commissaire en charge de la stratégie numérique, a considérablement évolué.

Lors de son entrée en fonction à la Direction générale pour la société de l'information, devenue la DG Connect en 2012, toute restriction était intolérable et la neutralité du Net devait être mise en ouvre. Aujourd'hui, Mme Kroes estime qu'il ne faudrait pas porter atteinte à « de nouveaux modèles économiques » basés sur les restrictions de l'accès ! C'est un pur discours de lobbyistes de grands opérateurs, qu'on ne connait que trop bien.

Il est clair que pour les pouvoirs publics, dans un tel contexte, l'inaction est beaucoup plus confortable que le courage politique. Il est grand temps de réaliser que l'intérêt général exige des décisions courageuses. Il s'agit de défendre les libertés des citoyens, parfois contre les intérêts de puissants lobbies industriels.

Ça n'est qu'à ce prix que nous bénéficierons des pleins bénéfices - sociaux, culturels et économiques - qu'Internet et les technologies numériques peuvent apporter à nos sociétés.

*BEREC = Body of European Regulators for Electronic Communications (Organe des régulateurs européens des communications électroniques).
**Arcep = Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

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