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Le Guichet unique, un projet informatique qui alerte la Cour des comptes

Confronté notamment à des difficultés techniques, le projet de guichet unique électronique des formalités des entreprises a fait l’objet d’un audit de la Cour des comptes.

Publié par Clément Bohic le | Mis à jour le
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Le Guichet unique, un projet informatique qui alerte la Cour des comptes

Le « Guichet Entreprises », sous-dimensionné ? Tout dépend pour quoi on l’utilise.

La France avait créé ce téléservice en 2009, pour satisfaire aux obligations d’une directive européenne. Il s’agissait de permettre d’effectuer les procédures et formalités nécessaires à l’accès à une activité de service.

La Cour des comptes le constate : le Guichet Entreprises n’était, dans la pratique, qu’une « strate supplémentaire » transmettant les dossiers aux CFE. C’est-à-dire aux centres de formalités des entreprises, appartenant à sept réseaux (chambres de commerce et d’industrie, chambres de métiers, greffes des tribunaux de commerce, Acoss, centres des impôts, chambres d’agriculture et, jusqu’en 2019, chambre nationale de la batellerie artisanale). Le volume de formalités qu’il a traitées est d’ailleurs resté à un « niveau très modeste » (à peine plus de 2 % en 2017).

Difficile, dans ces conditions, de tester la capacité de montée en charge. Les limites ont pourtant fini par apparaître, provoquant jusqu’à « une véritable crise ». Mais c’était dans le cadre d’un autre projet : le GUFE (guichet unique électronique des formalités des entreprises), aussi dit « Guichet unique ».

La loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) du 22 mai 2019 a formalisé cette initiative qui devait, à l’origine, se fonder sur le Guichet Entreprises. Elle portait le même objectif de centralisation. Mais elle devait aussi s’assortir de la création d’un RNE (registre national des entreprises). Et se substituer aux réseaux de CFE, tout en dématérialisant intégralement les procédures.

Une gouvernance à rebondissements

L’entrée en service du GUFE et du RNE avait initialement été fixée au 1er janvier 2023. Une échéance qui s’est rapidement révélée intenable. La conséquence, notamment, d’une étude d’impact insuffisante et d’une organisation inadaptée du pilotage comme de la gouvernance. Le tout associé au refus de remettre en cause ladite échéance, que prévoyait la loi.

Confiant à l’État la gestion des formalités des entreprises (et affectant par là même les attributions des organismes concernés), le projet a rencontré de fortes réticences dès l’origine, remarque la Cour des comptes.

En juillet 2019, un décret mettait en place une mission interministérielle chargée d’exercer la maîtrise d’ouvrage stratégique. Rien n’indiquait cependant qu’elle devait assurer la maîtrise d’ouvrage opérationnelle.
Le chef de cette mission présidait un compité de pilotage comportant des représentants des administrations concernées, ainsi que l’Insee.
Les membres de ce comité, associés aux représentants des trois réseaux consulaires (CCI France, CMA France, CA France), ont constitué des comités de suivi. Lesquels n’ont, déplore la Cour des comptes, « jamais eu un rôle de pilotage partenarial du projet permettant les échanges techniques sur son architecture et sur son développement ».

À deux reprises, cette gouvernance a évolué. À l’été 2022, Bercy reprenait la main sur les comités de pilotage. Les réunions hebdomadaires organisées par la suite permirent un début de coordination. En fin d’année, le comité de pilotage a hérité d’une mission plus opérationnelle, sous la bannière d’un « collège stratégique ».

Chargé, en juillet 2020, de la maîtrise d’œuvre*, l’Inpi (Institut national de la propriété intellectuelle) aurait n’a pas pu pallier l’absence initiale de maîtrise d’ouvrage opérationnelle. Sa cellule a effectivement travaillé en bilatéral avec chaque partenaire. Les trextes n’avaient par ailleurs pas prévu d’associer en amont les organismes – sociaux, fiscaux, Insee – partenaires des formalités. Ni les acteurs de l’assistance (réseaux consulaires) et les utilisateurs. Ce qui n’a pas facilité leur mise en ordre de marche. Il aura fallu attendre juin 2023 pour que soit décidée la mise en place d’une instance de coordination opérationnelle.

Le socle Guichet Entreprises finalement abandonné au profit d’un nouveau SI

L’Inpi dépendait des travaux normatifs de la mission interministérielle. Celle-ci devait en effet définir les spécifications fonctionnelles et les traduire dans la loi. La chronologie de la publication des différents textes a affecté directement le caledndrier de développement du projet, affirme la Cour des comptes. Il était, de surcroît, fréquent que ces textes comportent des dispositions différentes de celles sur la base desquelles l’Inpi avait commencé à travailler. Cela s’ajoute à des modifications du cahier des charges en cours de projet. Parmi elles, l’élargissement du périmètre à d’autres entités que les entreprises (associations, organisations professionnelles, syndicats de copro…).

Sur le plan fonctionnel, on s’est considérablement écarté du schéma initial. En particuliern en couplant GUFE et RNE, alors que la loi PACTE ne faisait pas apparaître de lien clair. Une décision prise au nom de l’expérience utilisateur, afin d’éviter des ressaisies aux déclarants. Conséquence : les formalités de modification et de cessation d’activité sont devenues dépendantes du RNE… pour lequel le décret fixant les conditions de fonctionnement ne parut qu’en juillet 2022.

Un autre infléchissement important était intervenu en amont. L’idée de départ était de s’appuyer sur le Guichet Entreprises. Mais un audit réalisé au deuxième semestre 2019 a révélé divers écueils :

> Dépendance à un outil informatique de conception ancienne
> Peu de documentation et concentration de la maîtrise des compétences sur quelques personnes
> Faible ergonomie
> Failles de sécurité critique

Aussi a-t-on décidé, début 2020, de repartir de zéro.

Tenir le calendrier quoi qu’il en coûte ?

Autant de difficultés qui n’ont pas convaincu Bercy de repousser l’échéance, malgré les injonctions de partenaires. Dans un tel contexte, l’Inpi a dû renforcer ses moyens humains. De 5 ETP en 2020, on est passé à 21 en 2023 pour le développement du projet global. Les équipes d’assistance du service « Inpi Direct » ont par ailleurs plus que doublé entre 2022 et 2023, passant de 25 à 55 ETP. Coût estimé pour l’ensemble : 5 M€.

À ce montant, il faut ajouter 10 M€ de coût de sous-traitance. C’est en tout cas le financement réel estimé au 31 juillet 2023, soit la période à laquelle la Cour des comptes s’est penchée sur le projet.

L’estimation réalisée début 2020 avait fait état de coûts d’investissement initiaux de 28 M€, répartis comme suit :

5 M€ pour le suivi de maîtrise d’ouvrage
7 M€ pour la construction du site et des interfaces entreprises/mandataires
7 M€ pour la mise en œuvre du back-office de validation
6 M€ pour la gestion de l’intégration et de la fiabilité des échanges
3 M€ pour les coûts d’infrastructure technique, sécurité et hébergement

Devaient s’y ajouter 5 M€ de coûts récurrents.

Les difficultés ont entraîné des coûts supplémentaires pour d’autres organismes. L’Insee, par exemple, a dû recruter 50 agents en CDD de fin 2022 à fin 2023. Tout particulièrement pour renforcer ses équipes de gestion du répertoire SIRENE. En toile de fond, l’activation d’une procédure de secours.

Inpi recherche testeurs

Le 1er janvier 2023 devait marquer le lancement du tandem GUFE-RNE et la fermeture concomitante des CFE. Ces derniers ont effectivement cessé leurs activités d’enregistrement. Mais à cette date, le GUFE n’était opérationnel que pour les formalités de création d’entreprises. Motif : des tests insuffisants sur les modifications et les cessations d’activités – ils n’avaient démarré qu’à l’automne 2022.

Les tests ont également manqué pour les formalités de création. Le module avait bien été ouvert par anticipation le 1er janvier 2022, mais beaucoup d’utilisateurs avaient continué à s’adresser aux CFE. Au 31 décembre, le GUFE avait enregistré 122 200 formalités, soit 6 % du volume de l’année. La publication tardive du décret imposant la fermeture du site CFE-Métiers (CMA) n’a pas aidé. Tout comme le choix de l’Urssaf de ne pas fermer le site Autoentrepreneur, mais d’afficher des bandeaux de redirection vers le guichet unique.

À l’été 2022, des acteurs parties prenantes de la réforme avaient commencé à alerte formellement le Gouvernement sur le risque de découverte d’anomalies lors de l’ouverture. À l’automne, Bercy avait mandaté le CGE (Conseil général de l’économie). Lequel avait évoqué l’éventualité d’activer la procédure de secours, faute de tests assez probants.

Dans ce cadre, les démarches de modification et de cessation se sont d’abord faites… sur le Guichet Entreprises, chargé de transmettre les dossiers aux ex-CFE compétents. Elles ont ensuite basculé vers Infogreffe. La période devait initialement se terminer fin mars 2023. On l’a finalement étendue à deux reprises, jusqu’à fin juin puis jusqu’à fin décembre.

Sur la création d’entreprises, quant à elle bel et bien généralisée à la date prévue, on a pu constater des complications techniques. La majorité avaient néanmoins disparu à l’été 2023.
La généralisation des formalités de cession est intervenue en mars. Puis celle des formalités de modification, en mai pour les personnes physiques et en juin pour les personnes morales.

Pour la Cour des comptes, il n’est pas possible d’exclure d’importants dysfonctionnements en ce début 2024 et la fin de la période de secours. « Les conséquences […] pourraient […] se faire encore sentir pendant plusieurs années sans avoir apporté aux entreprises la simplification attendue », avance-t-elle.

* L’Inpi tenait déjà le RNCS (registre national du commerce et des sociétés). On avait écarté l’idée de s’appuyer sur le portail Infogreffe, pour des raisons techniques (architecture centrée autour des greffes), de pilotage (absence de tutelle de l’État) et stratégiques (l’État ne serait pas propriétaire de la solution informatique).

Illustration © kwanchaift – Adobe Stock

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