La loi sur le Renseignement face au Conseil constitutionnel
Au lendemain du vote du Sénat et des révélations sur l'espionnage des présidents français Hollande, Sarkozy et Chirac par la NSA américaine, l'Assemblée nationale a définitivement adopté, mercredi 24 juin, le projet de loi relatif au renseignement. Et ce après le passage du texte en commission mixte paritaire dans le cadre d'une procédure accélérée engagée par le gouvernement le 19 mars dernier. Le texte définit les missions des services de renseignement et encadre le recours aux techniques de surveillance, dont les algorithmes de détection (boîtes noires) et les fausses antennes relais (IMSI-Catchers). Les enjeux sont stratégiques.
L'extension des interceptions extra-judiciaires au nom de l'antiterrorisme
Depuis trois mois, le projet cristallise les critiques d'organisations de défense des droits et libertés, d'autorités administratives indépendantes (CNIL incluse), d'hebergeurs et de citoyens. Les opposants au texte y voient l'instrument d'une surveillance de masse incompatible avec un État de droit. Ils gaussent un gouvernement qui s'offusque d'être espionné par Washington, mais promeut l'élargissement des écoutes administratives.
Les partisans du texte, de leur côté, estiment nécessaire, au nom de la lutte contre le terrorisme et de la sûreté nationale, de donner plus de moyens aux services de renseignement tout en renforçant l'encadrement des techniques utilisées. Les trois saisines du Conseil constitutionnel témoignent des ambivalences françaises sur ce texte. Les Sages vont se prononcer sur une loi à fort impact pour les libertés individuelles, comme ils l'avaient fait en janvier 1981 à propos de la loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes (dite loi sécurité et liberté).
Les libertés individuelles en question
Le chef de l'État, François Hollande, a été le premier à annoncer, en avril dernier, son intention de saisir le Conseil Constitutionnel, au terme de la navette parlementaire, pour s'assurer de la conformité du texte avec la Constitution et tenter de rassurer les sceptiques. Les députés Laure de la Raudière et Pierre Lellouche (Les Républicains) sont également à l'initiative d'une saisine deposée par une centaine de députés, dont 6 députés UDI et 14 écologistes, inquiets que le pouvoir judiciaire, garant des libertés individuelles, soit « le grand absent de la loi ». Certains ont voté pour le texte, mais veulent obtenir l'avis du Conseil.
Du côté des sénateurs, c'est le président de la chambre haute, Gérard Larcher, qui a indiqué saisir l'institution ce jeudi 25 juin. Le Conseil devra s'assurer que le texte réponde « aux exigences de protection des libertés fondamentales ». Profitant des nouvelles révélations sur les écoutes américaines de hauts dirigeants français, Gérard Larcher a aussi réaffirmé l'importance de l'encadrement des écoutes et déclaré que le Sénat a oeuvré en ce sens à travers différentes dispositions du texte « dont les pouvoirs de contrôle de la CNCTR ; la possibilité de saisir le Conseil d'État ; le contrôle des algorithmes de surveillance ; la limitation de la durée des autorisations de sonorisation et de captation d'images dans les lieux privés et de la durée de conservation des données collectées ».
La séparation des pouvoirs malmenée
Le texte a fait débat jusqu'à la dernière minute. Ardent défenseur du projet, le président de la commission des lois de l'Assemblée, Jean-Jacques Urvoas (PS) a glissé dans le texte harmonisé le 16 juin, un amendement qui prévoyait de surveiller les étrangers de passage avec autorisation du Premier ministre, certes, mais sans avis préalable de la future Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), qui est elle aussi une autorité administrative indépendante. Cette disposition d'inspiration américaine que la DGSE appelait de ses voeux, a été supprimée in extremis par un nouvel amendement déposé lundi par le gouvernement. Matignon craignait un problème de constitutionnalité et ne voulait pas légaliser un régime de surveillance d'exception pour les étrangers. Il reste que pour les opposants au texte, l'exécutif marche sur les plates-bandes du judiciaire. Ils estiment que le Premier ministre s'est arrogé des pouvoirs exorbitants et inscrit dans la pierre la mise à l'écart du juge, au risque de mettre à mal la séparation des pouvoirs.
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Une fois saisi, le Conseil constitutionnel a trente jours pour rendre sa décision.
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