Saga IT : comment Oracle s'est transformé depuis 40 ans
Avec un chiffre d’affaires avoisinant les 40 milliards de dollars, c’est la troisième force mondiale dans le secteur de l’édition de logiciels, derrière Microsoft et Google. Depuis sa création, il y a 42 ans, Oracle s’est mué d’un pionnier de la base de données en un mastodonte multi-spécialiste du logiciel d’entreprise qui a accompagné les évolutions majeures des systèmes d’information. Silicon.fr a retenu six dates qui ont marqué cette histoire.
Sommaire
1 1 – L’ère base de données
Le 16 juin 1977, Lawrence J. Ellison, Robert N. Miner et Edward A. Oates fondent, à Santa Clara, la société de conseil Software Development Laboratories.
Les trois ingénieurs se sont côtoyés chez Ampex (entreprise d’électronique). Ils ont, par le passé, contribué au développement de systèmes de gestion de bases de données pour le compte d’agences gouvernementales américaines.
La CIA sollicite leur expertise dans le cadre d’un projet mené sous le nom de code « Oracle ». En marge de ces travaux, Larry Ellison examine ceux qu’IBM mène autour d’un langage baptisé SQL (« structured query language ») et destiné à interroger des bases de données relationnelles.
En 1978, l’entreprise adopte le nom Relation Software et crée son premier logiciel commercial de gestion de bases de données. Elle le baptise… Oracle.
Codé en assembleur PDP-11, il est conçu pour fonctionner sur les ordinateurs VAX de Digital Equipment. Les mainframes sont alors écartés de la stratégie : IBM les cible déjà avec son produit concurrent System R, encore à l’état de prototype (il sera lancé en 1981).
En juillet 1979 sort la première version commerciale d’Oracle, vendue notamment à Bell Labs et à l’U.S. Air Force.
En 1981, la décision est prise de réécrire le logiciel en C pour en favoriser la portabilité. L’initiative se concrétise deux ans plus tard. Entre-temps, l’entreprise a changé de nom (Oracle Systems), s’est ouverte aux mainframes IBM et a dépassé les 2 millions de dollars de chiffre d’affaires.
L’arrivée sur PC intervient en 1984 avec la version 4.1.4 de la base de données Oracle.
La v5, lancée l’année suivante, introduit une forme de clustering sur les machines VAX. Elle prend par ailleurs en charge l’architecture client-serveur, permettant à plusieurs machines d’accéder, par le réseau, à un même serveur de base de données.
Le chiffre d’affaires s’élève à 23 millions de dollars cette année-là, marquée en outre par un partenariat avec IBM, qui s’engage à commercialiser le produit pour ses ordinateurs System/88.
Sur le volet technologique, l’année 1986 voit Oracle Systems ajouter à son logiciel la prise en charge des requêtes distribuées.
Le 12 mars, c’est l’introduction en Bourse, un jour avant Microsoft. À la fin de l’exercice fiscal (31 mai), le chiffre d’affaires atteint 55 millions de dollars.
2 2 – L’ère des applications d’entreprise
En août 1987, Oracle Systems fait son entrée sur le marché des applications d’entreprise en créant une division « Applications ».
Le groupe se met à développer des logiciels de gestion qui s’intègrent à sa base de données.
Le premier, General Ledger, est dédié à la finance. Il est lancé sur UNIX. Suivent Purchasing, Fixed Assets et Accounts Payable.
L’acquisition de TCI et son logiciel de gestion de projet assoit cette stratégie.
Pour l’accompagner, Oracle Systems crée des services de conseil et de support, ainsi qu’un programme revendeurs.
Cette année-là, le C.A. dépasse 100 millions de dollars.
La base de données continue d’évoluer. La v6, lancée en 1988, introduit notamment la possibilité de sauvegarder une base de données en cours d’utilisation. Elle permet aussi, lors des opérations d’écriture, de ne verrouiller que les lignes utilisées plutôt que toute une table.
En 1989, Oracle Systems lance ses premières solutions pour le secteur industriel, en établissant des jonctions avec le reste de son portefeuille d’applications.
Naissent une division Retail et une filiale Data Publishing orientée dématérialisation.
Le groupe déménage à Redwood Shores (Californie), où se trouve aujourd’hui encore son siège social.
En 1990, une première série d’applications est réécrite pour l’architecture client-serveur : Oracle Financials pour IBM OS/2.
Le début de la décennie est difficile. Il est émaillé de suppressions de postes, changements dans le top management, de fusions d’entités et de multiples emprunts bancaires.
En 1991, le C.A. dépasse 1 milliard de dollars, mais Oracle Systems enregistre ses premières pertes : 12,4 millions de dollars. « Grandir trop vite se paye », déclare Larry Ellison à Forbes, dans son style caractéristique.
Côté base de données arrive la prise en charge des systèmes massivement parallélisés, puis celle des routines au niveau serveur. L’offensive se poursuit dans les applications de gestion, avec une ouverture aux RH.
En 1993, toutes les applications sont réécrites pour l’architecture client-serveur. Oracle Systems se signale dans l’univers du multimédia en menant une expérimentation sur de la vidéo à la demande avec Apple et British Telecom.
Reflet d’une volonté de développer l’usage des bases de données sur le marché des services au grand public, la démarche trouve une continuité en 1994. Entre autres avec un outil d’authoring et un serveur de gestion d’applications multimédias (basé sur du matériel de nCube, société dont Larry Ellison est alors l’actionnaire principal).
3 3 – L’ère Internet
Le 1er juin 1995, la dénomination « Oracle Systems » laisse la place à « Oracle » après la fusion de l’entreprise et de sa holding cotée en Bourse.
Le groupe axe alors sa stratégie sur Internet. Larry Ellison la détaille le 4 septembre 1995 à Paris lors de la conférence annuelle IDC. Elle commence à prendre forme avec la plate-forme WebSystem, promettant aux entreprises de faciliter l’organisation et la distribution de leurs données. Le World Wide Web Interface Kit, destiné à faire le pont entre des serveurs web et des applications sur base Oracle, en est une composante.
Quelques mois plus tard, au cœur de la déferlante Windows 95, Larry Ellison attaque Microsoft en dégainant le concept du « Network Computer ». Ce PC « allégé », sans disque dur, accède à distance aux données, stockées sur des serveurs équipés de bases de données Oracle. Il n’embarque pas de système d’exploitation à proprement parler, mais un navigateur (Netscape).
Fin 1996, le concept, apparenté aux clients légers, a évolué en « Network Computing Architecture ». Soutenu notamment par HP et Sun Microsystems, il implique un ordinateur client, un serveur d’applications et un serveur de base de données.
La version 8 d’Oracle, lancée en 1997, tire parti des technologies associées à ce projet. Mais entre-temps, Microsoft a réagi, faisant l’acquisition de WebTV, concepteur d’un PC du même type que le « Network Computer » (ci-dessous, une série de publicités diffusées à la fin des années 90). Intel a accompagné le mouvement en baissant les prix de ses processeurs.
Début 1998, Larry Ellison reconnaît avoir échoué à délivrer sa promesse. Oracle continue néanmoins à élargir son catalogue « web-compatible ». Par exemple avec l’outil de conception de boutiques en ligne Internet Commerce Server. Ou avec le trio Web Customers – Web Suppliers – Web Employees, applications web destinées à simplifier la publication de données.
S’ouvre, en parallèle, un canal de distribution en ligne. Les entreprises peuvent télécharger des logiciels et les tester pendant 90 jours.
Arrive aussi Oracle Business OnLine. L’éditeur propose à ses clients d’accéder, par un navigateur web, à des applications qu’il héberge sur ses propres serveurs. Le tout sur abonnement mensuel. On ne parle alors pas encore de SaaS, mais de mode ASP (« application service provider »).
On entrevoit, dans le même temps, des signes de convergence entre front et back-office. D’abord avec l’offre Front Office (relation client), puis avec la suite Oracle Applications.
Le début des années 2000 est marqué par une offensive sur le marché des PME, entre autres avec une édition préconfigurée de la suite E-Business.
Avec l’offre Data Hub, on commence véritablement à parler d’une « vue unique » du client.
4 4 – L’ère des acquisitions
Les opérations de croissance externe se multiplient pendant la deuxième moitié de la décennie.
L’une d’entre elles porte sur PeopleSoft. Elle est bouclée le 13 décembre 2004, Oracle mettant 10,3 milliards de dollars sur la table pour s’emparer de cet éditeur d’applications de gestion (CRM / ERP).
Le chemin fut long pour parvenir jusque-là. En l’occurrence, 18 mois de luttes intenses entre les deux groupes.
Oracle avait ouvert les hostilités le 7 juin 2003 en lançant une OPA hostile à 5,1 milliards de dollars. L’initiative avait mis en lumière la fragilité de nombreuses entreprises high-tech, devenues des proies idéales pour des éditeurs plus solides tentés par la croissance externe.
PeopleSoft avait intenté, devant la justice américaine, une action visant à écarter l’OPA. Laquelle visait, selon ses dires, à empêcher la fusion tout juste conclue avec J.D. Edwards et qui aurait donné naissance au deuxième éditeur sur le marché des applications de gestion, devant Oracle.
Oracle avait successivement revalorisé son offre à 6,3 milliards de dollars et lâché du lest sur les conditions qu’il avait initialement imposées eu égard au plan de fusion avec J.D. Edwards.
En juillet 2003, PeopleSoft officialisait finalement l’acquisition de J.D. Edwards, À la suite de quoi Oracle relevait son offre à 7,5 milliards de dollars. Entre-temps, les autorités antitrust américaines avaient réclamé des informations complémentaires sur l’OPA.
Début 2004, alors que l’opération semble compromise, Oracle dépose une nouvelle offre, à 9,4 milliards de dollars. Le ministère américain de la justice dépose quant à lui une plainte au nom d’une déstabilisation de la concurrence.
Quelques semaines plus tard, la Commission européenne rejoint la boucle et oppose elle aussi des objections.
Au cœur du printemps, après les mauvais résultats de PeopleSoft, Oracle revoit son offre à la baisse : 7,7 milliards.
La Commission européenne donne finalement son feu vert en octobre, quelques semaines après les États-Unis. La voie est libre pour Oracle, qui finit par forcer le verrou en réévaluant son offre à plusieurs reprises.
Quelques mois plus tard, l’éditeur annonce son « Project Fusion », qui vise à combiner ses technologies et celles de PeopleSoft. La même année, il complète son portefeuille en s’offrant Siebel Systems (ERP). Portal Software (gestion financière), Stellent (gestion de contenu), Hyperion (gestion de la performance) et Agile (gestion produit) s’ajoutent rapidement à la liste.
5 5 – L’ère « full-stack »
Le 27 janvier 2010 intervient une autre acquisition importante : celle de Sun Microsystems.
Oracle fait, par ce biais, une entrée de plain-pied dans le monde du hardware, tout en enrichissant de façon spectaculaire son portefeuille de solutions logicielles.
L’OPA amicale avait été annoncée en avril 2009, pour 7,4 milliards de dollars, au nez et à la barbe d’IBM.
Les autorités antitrust américaines avaient donné leur aval en août 2009, après avoir sollicité davantage d’informations sur la licence Java.
Le blanc-seing de leurs homologues européennes avait attendu janvier 2010, Bruxelles craignant des effets négatifs sur la concurrence dans le secteur des bases de données.
Sur le volet hardware, l’acquisition a apporté à Oracle :
- les serveurs SPARC, largement utilisés dans l’univers des applications critiques ;
- le système d’exploitation Solaris, atout complémentaire à Oracle Enterprise Linux ;
- les appliances de stockage Sun Storage.
Sur le volet logiciel (liste non exhaustive) :
- la plate-forme de programmation Java, alors utilisée au sein de 840 millions d’ordinateurs, de 2,6 milliards de téléphones, de 5,5 milliards de cartes, et base de la plupart des logiciels middleware d’Oracle ;
- MySQL, système open source de gestion de bases de données sur lequel Sun avait mis la main en 2008 ;
- l’offre de virtualisation Xen ;
- la suite bureautique OpenOffice.
Un premier produit de ce mariage était sorti en septembre 2010 : l’appliance Exadata Database Machine, associant la base de données Oracle aux serveurs x4170 et aux équipements de stockage x4275 de Sun.
D’autres produits sont nés par la suite pour accueillir les bases de données dans le datacenter. Notamment le serveur Oracle Exalogic Elastic Cloud et les racks SPARC SuperCluster T4-4 (sur base Solaris).
La défiance de la communauté vis-à-vis d’Oracle a engendré des bifurcations (forks) de projets open source dont Sun assurait largement la gestion. Tandis que LibreOffice a émané d’OpenOffice, le fondateur de MySQL a créé MariaDB.
6 6 – L’ère Cloud
On l’a vu : les premiers pas d’Oracle dans le domaine de l’externalisation logicielle remontent aux années 90.
À la fin de la décennie, Larry Ellison avait déclaré, lors d’une conférence au World Trade Center : « Le moyen le plus économique de servir du logiciel, ce n’est plus Windows : c’est Internet » (Computerworld, 11 octobre 1999).
Oracle proposait alors, dans le cadre de son offre Business OnLine, un hébergement sur ses propres serveurs. Il se différenciait, en ce sens, de ses principaux concurrents PeopleSoft et J.D Edwards, qui s’appuyaient sur des hébergeurs tiers.
Une entité Oracle Outsourcing était née en 2002 pour accompagner le développement de ce modèle. Il était alors question de l’introduire en Bourse à terme.
La marque Oracle on Demand avait été adoptée en 2004. Il a fallu attendre 2010 pour qu’elle soit renommée Oracle Cloud. Cette même année, la suite bureautique Oracle Cloud Office était lancée, entre autres logiciels cloud.
L’une des acquisitions emblématiques de la transition vers le cloud a été annoncée le 28 juillet 2016 et bouclée environ quatre mois plus tard. Montant : 9,3 milliards de dollars pour s’emparer de NetSuite.
Cet éditeur américain avait, dès sa création en 1998, fait le pari de focaliser son offre ERP en mode SaaS. Tandis qu’Oracle faisait persister le modèle économique des licences logicielles.
Le rapprochement fut d’autant plus sensible que le deuxième actionnaire de NetSuite était… Larry Ellison.
Le portefeuille cloud d’Oracle comprend aujourd’hui du SaaS (ERP, RH, expérience client, gestion de performance, supply chain), du PaaS (Oracle Cloud Platform) et du IaaS (réseau, stockage, calcul).
Photo d’illustration principale (Larry Ellison en 2012) © Hartmann Studios
Sur le même thème
Voir tous les articles Workspace